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SELBY HUBERT (1928-2004)

L'écrivain américain Hubert Selby Jr est né en 1928 à Brooklyn. Il est d'ascendance anglaise : ses ancêtres se sont établis en Amérique dès le xviie siècle. Il a dû être, plaisantait-il, le seul « Anglais » de tout Brooklyn – une autre forme de survivance. Originaire du Kentucky, son père, orphelin, a travaillé à treize ans dans les mines avant de s'engager dans la marine marchande.

Selby a seize ans lorsqu'en 1944 il s'engage à son tour, en trichant sur son âge, dans la marine marchande. Il connaît la fin de la guerre dans les ports d'Europe et contracte la tuberculose. On lui donne « deux mois à vivre ». Suivent quatre ans d'hospitalisation. Au terme de multiples opérations, il ne lui restera plus, en guise de poumons, qu'une « pierre noire », à peine de quoi respirer. Et, comme le personnage de L'Homme au bras d'or de Nelson Algren (1949), Selby est passé de la morphine médicale à l'héroïne. Cette addiction durera vingt ans.

Dans les années 1950, il vit dans le bas Manhattan qui fut le milieu beat « d'avant la route ». À partir de 1956 , il commence à écrire les nouvelles dont le cycle formera Last Exit to Brooklyn, que publie avec éclat en 1964 la Grove Press de Barney Rosset, et qui se vendra à quelque trois millions d'exemplaires. Les scènes se passent « sur les quais », dans le quartier de Red Hook, au bas de Brooklyn. On se souviendra sans doute de « la Grève », où le leader syndicaliste Harry Black se laisse subrepticement tenter par l'homosexualité et découvre l'envers nocturne de la ville : lorsqu'à la fin il fait des avances à un jeune garçon sur un terrain vague, il est empalé par une bande de loubards sur les pieux de la clôture. Ou de l'histoire de « Tralala », prostituée alcoolique de dix-huit ans, qui finit elle aussi sur un terrain vague, couverte de sperme et de bière, un manche à balai enfoncé dans le vagin.

Un peu comme Nelson Algren, mais sur un mode plus « gothique » et plus strident, Hubert Selby est, comme il aimait le rappeler, un enfant de la Dépression. Son œuvre constitue comme un prolongement du roman social des années 1930. Mais cette fois, le prolétariat a laissé place aux marginaux de la « zone » urbaine. La facture doit sans doute beaucoup à Louis-Ferdinand Céline, chez qui il reconnaît une « rage quasi maniaque », qu'il partage. Céline et, à travers lui, Zola, Artaud, Genet : voilà sa famille. Cela explique peut-être que l'écrivain soit allé rejoindre ces dandys déjantés que, depuis Edgar Allan Poe, la France aime tant découvrir en Amérique : Henry Miller, William Burroughs, voire Charles Bukowski.

Jamais plus Hubert Selby ne connaîtra le succès de son premier livre. En 1971 paraît La Geôle, long monologue d'un psychopathe anonyme qui attend son procès et projette ses fantasmes de viol et de haine. Suivent le Démon (1976) et Requiem for a Dream (1978, Retour à Brooklyn), qui sera porté à l'écran vingt ans plus tard, par Darren Aronofsky. Les années 1970 voient également Hubert Selby devenir une sorte de héros du milieu rock punk. Avec Nelson Algren et Delmore Schwartz, il fait partie des trois « ancêtres » de Lou Reed. Et son legs se retrouvera chez Richard Price, Bruce Benderson, ou en Grande-Bretagne chez l'Irvine Welsh de Trainspotting – mais aussi, une génération plus tard, dans American Psycho de Bret Easton Ellis.

En 1983, Hubert Selby, en ayant fini avec la drogue, part vivre sur la côte Ouest. Il habite un minuscule appartement de North Orlando, à Los Angeles, et enseigne l'écriture à l'université de Californie du Sud. Un long silence est interrompu par la publication de Willow Tree (1998, Le Saule) – où s'entrecroisent les monologues intérieurs d'un jeune Noir dévoré de rage et d'un vieux Juif, ancien déporté, qui lui enseigne le pardon.[...]

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Écrit par

  • : professeur de littérature américaine à l'université de Paris IV-Sorbonne et à l'École normale supérieure

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