KADARÉ ISMAÏL (1936-2024)
Ismail Kadaré est un auteur albanais dont l'œuvre est aussi inattendue qu'inespérée. Dans un pays qui fut l'un des plus totalitaires de la planète, l'Albanie, il parvint à se hisser au rang d'écrivain national, tout en façonnant une œuvre de plus en plus critique. Le paradoxe est de taille et n'a pas manqué de nourrir une certaine suspicion à son égard. Force est de reconnaître, cependant, que l'auteur a mené un authentique combat littéraire. À plusieurs reprises, il fut sérieusement inquiété jusqu'à ce que, au moment d'être condamné, le dictateur, Enver Hoxha vienne interrompre le processus.
Un écrivain national sur la sellette.
Ismail Kadaré est né le 28 janvier 1936, à Gjirokastër, dans le sud montagneux de l’Albanie. Il grandit avec le communisme qui s'est instauré dès 1945 dans le pays. Étudiant, il est envoyé à Moscou pour parfaire ses talents littéraires. En parodiant L'Enfer de Dante, il raconte, dans Le Crépuscule des dieux de la steppe (1978), le profond dégoût que lui inspira le réalisme socialiste. L'écrivain considère qu'il fut immunisé contre cette doctrine grâce aux modèles classiques qu'il vénère et dont ses œuvres sont imprégnées : Homère, Eschyle, Dante, Shakespeare, Cervantès, Gogol. En 1960, la rupture albano-soviétique l'oblige à rentrer à Tirana. Sa vie va alors se confondre avec son œuvre. Le succès à l'étranger de son roman, Le Général de l'armée morte (1963), publié en France en 1970, va lui assurer une notoriété unique dans son pays. En dépit de quelques tentations, Kadaré se refusera à le quitter. Ses ouvrages seront presque tous publiés, encourant, le plus souvent, le silence de la part de la critique ou des remontrances. À quatre reprises, il essuya de vives réprobations : en 1973 (L'Hiver de la grande solitude), en 1975 (pour le poème « Les Pachas rouges »), en 1982 (Le Palais des rêves), en 1985 (Clair de lune). Il fut, néanmoins, au vu de sa célébrité, nommé député en 1970 avant d'être démis de son poste en 1982. Dans l'austère Tirana, Kadaré a ainsi édifié une œuvre considérable, sans exercer pour autant d'influence politique. Il a eu, toutefois, le privilège rare de pouvoir voyager. Cependant, la lecture entre les lignes à laquelle invitaient, ses ouvrages, courrouça le pouvoir qui le déclara officiellement « ennemi », lors du Plénum des écrivains de 1982, mais sans lui infliger la moindre peine... L'écrivain a ainsi fini par acquérir le statut de seul opposant toléré dans ce pays sans dissidence – une situation qui lui valut tout à la fois prestige, incompréhension et haine. En novembre 1990, trouvant que les réformes tardaient, et se sentant personnellement menacé, il décida de demander l'asile politique à la France. Après la chute du régime communiste, en 1992, il refusa la présidence de la République.
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Écrit par
- Jean-Paul CHAMPSEIX : professeur agrégé, docteur en lettres modernes, habilité à diriger des recherches en littératures comparées
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