BOUNINE IVAN (1870-1953)
Témoin de son peuple
Mais son art n'est pas figé dans un académisme. Quoi qu'il en dise, des influences modernes pénètrent son œuvre (il y a du « décadent » chez lui dans Le Village, une influence symboliste possible dans Le Val sec, 1912). Un autre renouvellement lui est apporté par les voyages qu'il entreprend en Orient (Le Temple du Soleil, 1907-1911). La révolution de 1905, dont il ressent le tragique, sinon la portée, accentue l'évolution de ses thèmes lyriques : aux paysages traités dans le style de Fet succède la réflexion philosophique influencée par Tioutchev. Le poète devient le témoin de son peuple et de l'humanité. De plus en plus, dans toutes ses œuvres, il s'intéresse au passé de la Russie, à son folklore, à la langue et aux traditions paysannes, dont il est un parfait connaisseur, les soucis esthétiques se doublant d'une recherche métaphysique de l'essence de son peuple. Avec la même inquiétude, qui le fait évoluer d'un athéisme très littéraire vers une vision panthéiste du monde, il interroge tour à tour les diverses civilisations. Monde antique, Islam, aube du christianisme, son génie poétique se prête à toutes les métamorphoses : d'où ses fameuses traductions du Chant de Hiawatha, de Longfellow (1896), des œuvres philosophiques de Byron (Caïn, Manfred), de Leconte de Lisle. Mais, au-delà de l'exotisme seule compte l'universelle présence de la mort, dans la fascination qu'exercent le tombeau ou les rites de l'Église orthodoxe, dont Bounine saura mieux que personne exprimer la beauté. C'est le thème dominant de sa nouvelle peut-être la plus célèbre, Le Monsieur de San Francisco (1915), où le souci flaubertien d'immortaliser la vie par la perfection de la forme reste au service d'une morale et même d'une technique très tolstoïennes.
La révolution et l'exil en France (1920) – il devait mourir à Paris – ne feront évidemment qu'accentuer ce pessimisme : « Jours maudits », qu'il raconte dans un journal, difficultés de toutes sortes, souffrances devant l'écroulement d'un monde, longue peine de l'exil. Les thèmes autobiographiques s'épanouissent dans La Vie d'Arseniev (Paris, 1930), une de ses œuvres les plus achevées, qui est aussi la fin d'un genre : celui des mémoires d'écrivains de la noblesse, propriétaires fonciers. Ce splendide requiem de la vieille Russie est moins une victoire de l'artiste accédant à l'éternel que le bilan d'une destinée. Cependant la tragédie s'élargit et devient lutte des deux forces de vie et de mort. La vie est passion, et souvent destructrice, mais la mort n'est-elle pas la plus sûre consolatrice, le dénouement nécessaire et apaisant ? Telle est l'inspiration des récits d'émigration, pleins de destins brisés.
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Écrit par
- Jean BONAMOUR : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification
Média
Autres références
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RUSSIE (Arts et culture) - La littérature
- Écrit par Michel AUCOUTURIER , Marie-Christine AUTANT-MATHIEU , Hélène HENRY , Hélène MÉLAT et Georges NIVAT
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...1890-1900 : Vladimir Korolenko (1853-1921), Vsevolod Garchine (Garšin, 1855-1888), Anton Tchekhov (Čehov, 1860-1904), Maxime Gorki (Gor'kij, 1868-1936), Ivan Bounine (Bunin, 1870-1953), Alexandre Kouprine (Kuprin, 1870-1938) et Léonide Andréïev (Andreev, 1871-1919). Porté à la perfection par Tchekhov...