BOUVERESSE JACQUES (1940-2021)
Figure majeure de la philosophie française, Jacques Bouveresse est né le 20 août 1940 à Epenoy, un village des hauts plateaux du Doubs. On lui doit une œuvre abondante – quinze ouvrages en dix-huit ans –, surtout consacrée au grand philosophe austro-anglais Ludwig Wittgenstein, mais aussi à des philosophes logiciens épris de science comme Gottlob Frege, Bertrand Russell, Rudolf Carnap ou à de célèbres écrivains autrichiens comme Karl Kraus et Robert Musil, qui cultivent l'ironie. Non seulement il fait autorité en matière de modernité viennoise et de pensée autrichienne, mais il a travaillé à introduire en France la philosophie du langage anglo-saxonne, la philosophie analytique. Ses ouvrages dépassent le genre du commentaire en incarnant littéralement une manière sobre et rigoureuse de philosopher pour laquelle il a plaidé dans La Demande philosophique, sa leçon inaugurale au Collège de France. Méticuleux, cultivant le scrupule, Jacques Bouveresse est passé maître dans l'art d'amener un problème philosophique à un degré inhabituel de clarté et de précision.
Rigueur critique
Formé au séminaire de Besançon, Jacques Bouveresse ne s'en est pas laissé conter, dans les années 1960, par les courants philosophiques dominant à Paris – structuralisme, psychanalyse lacanienne –, ni, dans les années 1970, par le postmodernisme. Il s'en est pris très tôt à une forme littéraire de philosophie pratiquant la séduction par la rhétorique, pour lui opposer la clarté et la rigueur de la philosophie anglo-saxonne, et se faire le champion du rationalisme et des valeurs des Lumières. Il a critiqué ce qu'il nomme « la posture héroïque en philosophie » – un héritage du romantisme allemand – et certaines conséquences du statut singulier de la philosophie en France : la prétendue omniscience du philosophe, prêt à s'exprimer dans les médias sur toute question d'intérêt général, et notamment politique ; le mépris des problèmes philosophiques spécifiques, surtout s'ils sont techniques. Il s'est prononcé en faveur d'une reprofessionnalisation de la philosophie. Se déclarant, à cet égard, « très peu français », il a reproché à la philosophie universitaire française de se borner à enseigner l'histoire de la philosophie, tandis que la philosophie d'avant-garde sombrait dans le littérarisme. Ni académique ni avant-gardiste, ce franc-tireur, assez classique au fond, s'inscrit plutôt dans une tradition française de philosophie des sciences illustrée par Henri Poincaré, Pierre Duhem, Jules Vuillemin et Gilles Gaston Granger, dont il se sépare néanmoins par sa verve de polémiste.
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Écrit par
- Christiane CHAUVIRÉ : professeure à l'UFR de philosophie, université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
Classification
Média
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