DUPIN JACQUES (1927-2012)
Poète et critique d'art né à Privas (Ardèche), Jacques Dupin partageait avec quelques-unes des voix poétiques majeures de sa génération – Yves Bonnefoy, André du Bouchet avec lesquels il fonda en 1967 la revue L'Éphémère – le souci de rendre l'expérience poétique à sa vocation ontologique. Salué dès son premier recueil, Cendrier du voyage (1950), par René Char, Jacques Dupin s'est en effet distingué très tôt des poétiques issues du surréalisme par son refus des séductions de l'imaginaire autant que de l'intériorité subjective.
Partie du constat d'un « rapport excédant de l'homme et du réel », cette œuvre n'a cessé de s'affirmer comme une poésie d'expérience et de connaissance de la réalité dans son opacité irréductible aux catégories du langage. Fasciné, comme Char, par la puissance fécondante du négatif à l'œuvre dans la parole lapidaire d'Héraclite, Jacques Dupin a choisi d'emblée de s'établir dans le monde le moins habitable. Comme celui d'André du Bouchet, son paysage poétique est élémentaire, minéral, sans luxe de végétation. Ici nulle célébration lyrique des virtualités du sensible, mais un hérissement des réalités inassimilables pour exalter le surgissement vertical de l'être. Les recueils qui jalonnent le parcours poétique de Dupin, Gravir (1963), L'Embrasure (1969), Dehors (1975), la traversée de la mort qu'évoque Une apparence de soupirail (1982), Contumace (1986), Échancré (1991), Le Grésil (1996) ne cessent d'accuser, à travers le morcellement du poème, l'ellipse de son sens, l'altération de sa métrique (« Je marche pour altérer quelque chose de pur »), le désir d'adhérer au monde et de s'obscurcir avec lui. Coudrier (2006) renoue avec les plus hauts moments de l'œuvre, traversée de violence et d'abruptes béances. Il s'agit bien, selon les mots de Jacques Dupin, « faire le vide, [d']appeler le crime, [de] le laisser habiter la langue pour qu'elle affronte nue, et dangereusement, le plaisir, pour qu'elle fraye le chemin ».
La poésie de Jacques Dupin ne gagne la pureté de son chant qu'à s'exposer, comme les personnages de L'Éboulement (1977), « à tous les déchaînements du dehors ». Étrange pièce de théâtre que cette mise en scène des forces exaspérées de la vie jouant le rôle corrosif et libérateur de la peste dans le théâtre d'Artaud. Le ressort proprement existentiel de la poétique de Dupin s'y exhibe dans la figure menaçante de Thomas et les passions qu'il éveille à son retour au village. Mais, surtout, le recours à une forme non directement poétique dénote ici l'exigence d'une approche plus immédiate du réel qui s'avouera pleinement chez le critique d'art.
Après avoir travaillé pour la galerie Maeght, Jacques Dupin fonde avec Daniel Lelong la galerie Lelong. Les artistes de ce temps auxquels il s'est intéressé, s'ils donnent tous à voir le monde sans son insurrection sensible, ne cessent pas non plus de s'interroger sur son sens : prise de possession de l'espace chez Miró « par la dissémination et la surprise », « libération du regard » devant l'immédiat inconnu chez Giacometti, conflit du signe et de la matière chez Tàpies. Œuvres que Dupin questionne comme « le trajet le plus court » vers ce qu'il cherche à nommer en poète : le conflit du sens et de la présence que trahit cette irruption du visible dans le lisible dont témoignent certains de ses textes. L'Espace autrement dit, recueil d'essais publié en 1982, fait suite aux importantes monographies de Miró (1961) et de Giacometti (1962) et tente là encore de saisir ce moment où l'artiste s'avance dans un espace vierge, et, dessaisi des moyens de son art, accepte de faire le[...]
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Écrit par
- Pierre DUBRUNQUEZ : peintre, écrivain
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