JARDINS Les Français et leurs jardins
Le jardin des Français a changé d'aspect, changé aussi de raison d'être. Il a de moins en moins pour fonction de nourrir la maisonnée, ce qui fut pendant des siècles son objectif essentiel. En milieu rural, il était synonyme de potager et sa production suffisait à couvrir en grande partie les besoins de la famille. Il avait bien des traits communs avec le potager urbain, celui des jardins-ouvriers devenus plus tard jardins familiaux : le savoir-faire, le goût du bricolage et de la récupération, l'habitude de donner ou d'échanger les plantes. Ces traits n'ont pas disparu et dans les banlieues comme à la campagne, on continue de consommer les fruits et les légumes du jardin. Mais il s'agit moins désormais d'assurer sa subsistance que de cultiver fraises, salades, haricots verts ou tomates pour des plaisirs saisonniers.
On pouvait croire à la disparition prochaine du jardin vivrier. Il n'en est rien, et l'on verra plus loin qu'il renaît aujourd'hui sous des formes inédites. Il n'empêche que sous sa forme la plus répandue le jardin est devenu d'agrément, un agrément qui s'est largement démocratisé au fil du temps. Observons ses métamorphoses à travers les modes et les modèles qui se succèdent et circulent entre l'espace public et l'espace privé, entre le monde rural et le monde citadin, entre amateurs et professionnels.
Le jardin pavillonnaire
Soixante pour-cent des Français disposent d'un jardin. C'est l'effet du développement massif de la maison individuelle dans les communes périurbaines comme dans les communes rurales pendant ces dernières décennies. Qu'il s'agisse de maisons anciennes ou de constructions neuves, de ville ou de village, le jardin s'est mis à l'unisson : le style pavillonnaire est devenu la norme. Y compris chez les agriculteurs qui ont été parmi les premiers à construire, ou se sont appliqués, s'ils conservaient la ferme de leurs parents, à distinguer l'habitation des bâtiments d'exploitation en ornant ses abords. L'espace décoratif à l'entrée de la maison était autrefois le signe d'un statut social privilégié, il est devenu règle commune, indispensable à la présentation de soi. Cet « espace de devant » suppose le retrait des façades par rapport à la rue. Il apparaît pour la première fois en France dans les cités-jardins de l'entre-deux-guerres, en rupture avec le type traditionnel des maisons ouvrières, celui des corons du Nord par exemple, où l'accès au logement se fait directement depuis la rue. La partition entre jardin de devant et jardin de derrière s'est imposée durablement après la guerre – une étude pionnière sur l'habitat pavillonnaire dans la région parisienne en établissait le constat à la fin des années 1960. Devant, l'espace exposé à la vue, avec sa pelouse, ses arbustes d'ornement, ses potées fleuries, ses objets décoratifs. Derrière, l'espace utile, où l'on cultive les légumes, où l'on mange en plein air, où l'on étend le linge, où l'on répare le vélo, bref le lieu qui abrite l'intimité de la vie familiale. Depuis les banlieues urbaines, le dispositif s'est diffusé dans les campagnes, où il a accompagné le développement de la construction pavillonnaire à partir des années 1970.
La politique menée par les pouvoirs publics en matière de fleurissement a joué un rôle important dans l'élaboration d'une norme commune. Les premiers concours du « village coquet » organisés par le Touring Club dans les années 1920, puis à partir de 1959, institutionnalisation de différents types de concours sous l'égide du secrétariat au Tourisme, ont progressivement contribué à forger un code de bonne présentation. En 1972, un Comité national du fleurissement de la France (C.N.F.F.), association[...]
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Écrit par
- Françoise DUBOST : directrice de recherche honoraire au C.N.R.S.
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