AMADO JEAN (1922-1995)
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D'ascendance juive smyrniote et comtadine, le sculpteur Jean Amado est né à Aix-en-Provence le 27 janvier 1922. Toute sa vie, il fut animé par une passion d'artisan pour le beau matériau patiemment, amoureusement, poétiquement élaboré. Excellent dessinateur, il travaille d'abord la céramique avec sa première épouse, Jo Steenackers. En 1954, l'architecte Fernand Pouillon leur commande, pour la façade d'une des tours qu'il élève sur les hauteurs d'Alger, un immense décor : 40 mètres de hauteur, 6 mètres de largeur. Ce Totem, comme l'appelèrent les habitants du lieu, est mis en place deux ans plus tard. Mais sous d'autres climats, où ils sont exposés aux intempéries, des ouvrages d'une telle ampleur exigent un matériau plus résistant que la terre cuite. En 1957, Jean Amado crée ce qu'il nomme le Cerastone, un mélange de sable de basalte et de ciment fondu. Cuit au four aux environs de 1 000 0C – après 1974, on le laissera simplement durcir à l'air libre –, ce béton revêt une tonalité ocre ; par l'emploi de certains oxydes, il peut offrir au regard une plus large gamme de colorations. Des qualités et des exigences de cette matière découlent les traits caractéristiques des créations d'Amado. Chaque structure, préparée par une suite de dessins minutieusement cotés, est composée de plusieurs pièces, fabriquées l'une après l'autre, chacune sur la précédente, ciment frais contre ciment dur, ce qui assure un ajustage précis et la nécessaire cohésion de l'ensemble. Les lignes d'emboîtement, elles-mêmes déterminées par les dimensions et le poids des divers morceaux s'encastrant dans cette sorte de puzzle, commandent la dynamique de l'œuvre, lui confèrent son aplomb, sa nervosité et, par un jeu de décrochements, de fissures et d'anfractuosités, une vie étrange, caverneuse et secrète.
En 1964, l'année qui suivit la mort de Jo, Jean Amado achève, hors commande, sa première sculpture en volume. Dès lors, il ne concédera plus au bas-relief qu'un rôle secondaire. Après son mariage avec Claudie Duhamel, encouragé depuis 1967 par Jean Dubuffet qui le soutient de sa particulière estime, il abandonne aussi progressivement l'émail : dépouillés de cette pellicule de surface, les objets qui sortent de ses mains prennent une unité plus franche et vigoureuse. Désormais, les recherches de l'artiste porteront principalement sur la pigmentation de la masse. C'est à cette époque que, par l'entremise de Dubuffet, la galerie Jeanne-Bucher accueille à Paris Jean Amado. Aussitôt, d'un coup, sa renommée se répand de toutes parts. Commence alors une période intensément féconde. Si le sculpteur poursuit jusqu'en 1982, dans des formats modestes, l'élaboration de la longue suite des Barques, son œuvre, pour l'essentiel, qu'elle réponde à des commandes publiques ou qu'elle naisse de son propre désir, est conçue pour se dresser, dominante, en plein vent, offerte aux brûlures du soleil, aux assauts des bourrasques, de plus en plus vaste et impérieuse, jusqu'à ce projet démesuré de 1984, étudié en collaboration avec Paul Coupille, et qui malheureusement, faute de moyens, ne fut jamais réalisé : modeler les collines arides, implanter sur le roc la silhouette d'habitats imaginaires à l'entrée et à la sortie du tunnel des Treize-Vents sur l'autoroute A55 entre Fos-sur-Mer et Marseille.
1970, première exposition personnelle à la galerie Jeanne-Bucher ; 1979, première rétrospective à la Mathildenhöle de Darmstadt ; 1980, rétrospectives au musée de Sculpture et de Peinture de Grenoble et au Rijksmuseum Kröller-Muller à Otterlo ; 1985, rétrospective au musée des Arts décoratifs de Paris. Oslo en Norvège, Aalborg au Danemark, Darmstadt en Allemagne, le musée Kröller-Muller aux Pays-Bas, le palais de l'Élysée achètent respectivement Qu'est-ce qu'il traîne, la Barque no 14, Roseberg, De la mer le passage, Maman. Érigé face à la ville, soulevé par tous les souffles de la mer, Hommage à Rimbaud est inauguré en 1989 à Marseille, sur la plage du Prado. Les sculptures d'Amado se voient un peu partout en France, sur les places, dans les cours des grandes demeures. Beaucoup sont des fontaines. “L'eau, écrit l'artiste, apporte à la sculpture et la sculpture à l'eau quelque chose que j'ignore, peut-être un mystère de plus, mais il y a échange entre l'une et l'autre, comme dans ces fontaines que la mousse recouvre au point de nous dérober ce qu'il y a dessous.”
“Forteresses du désir” (la formule est devenue le titre d'un film qui présenta à la télévision l'œuvre de Jean Amado), figures immobiles ou rampantes que l'on dirait venues du fond des âges, usées par de séculaires érosions, ces sculptures surgissent comme sous la pression de torsions telluriques, semblables à celles qui firent éclore la Sainte-Victoire à l'horizon d'Aix-en-Provence. “Il faut, confiait leur auteur à Bernard Noël, que cela pousse de soi-même.” Jean Amado a voulu ses œuvres fortement enracinées dans la terre mère, il les souhaitait envahies par des végétations insidieuses. Elles sont creuses. “N'est-ce pas, disait-il, pour approcher l'idée de matrice, de corps, de tombeau ? [...] Je ne cherche pas au niveau du faire mais du besoin. Pour échapper à tout ordre immuable, pour m'incorporer aux grandes forces vitales, pour trouver un temps entre la vie et la mort et retarder le moment de disparaître.” Jean Amado est mort le 16 octobre 1995 à Aix-en-Provence. Quelques mois plus tôt, il ramassait des pierres, les retaillait et les confiait, parées de brefs artifices (Pierres), au fondeur de bronze.
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Écrit par
- Georges DUBY : de l'Académie française
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