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REVERZY JEAN (1914-1959)

Jean Reverzy est âgé de quarante ans lorsqu'il publie son premier roman, Le Passage (1954), qui obtient le prix Renaudot à la fin de la même année. Rien ne semblait destiner ce provincial timide, médecin de quartier à Lyon, à la notoriété littéraire. De fait, le succès sera éphémère puisque son public diminue notablement avec ses romans suivants à la fois plus difficiles et plus exigeants, Place des angoisses (1956), Le Corridor (1958), le dernier à être publié de son vivant. Après sa mort, Maurice Nadeau, qui l'avait découvert, regroupera en deux volumes dans le titre À la recherche d'un miroir (1962), deux romans, Le Silence de Cambridge et La Vraie Vie (1960), ainsi que des nouvelles, articles et textes divers.

C'est poussé par une urgence extrême que Reverzy se décide à tenter l'aventure romanesque : le poids d'une expérience humaine considérable qu'il vit intensément, la certitude que peu de temps lui reste à vivre et le désir qu'il a toujours eu d'écrire ne lui laissent guère de choix.

Parce qu'il était médecin comme lui, on eut tôt fait de le comparer à Céline. Mais l'entreprise de Reverzy est au départ beaucoup plus modeste : elle semble s'insérer sans bruit dans la littérature traditionnelle. Le Passage — initialement intitulé Psychologie des agonisants — raconte l'histoire d'un homme qui a vécu dans les îles des mers du Sud et qui, malade, revient au pays (Lyon est ici facilement reconnaissable). Le narrateur, médecin, le soignera et l'aidera à bien mourir. L'attrait qu'exerçait l'océan sur Reverzy, son métier, sa connaissance de la maladie et de la mort, quelques souvenirs sont, à travers une très légère fiction et l'utilisation d'effets littéraires discrets, les principaux éléments de ce premier livre.

Dans Place des angoisses le narrateur, médecin encore, se remémore ses premiers pas dans la profession et ceux, malades, professeurs, ombres disparues, qu'il croisa alors. Avec ce deuxième roman, techniquement beaucoup plus élaboré, la recherche de Reverzy se précise, se resserre autour de ce qui en est le centre : la maladie, la mort. Mais ce texte provoque chez son auteur une crise grave : Reverzy se découvre menacé par la littérature. Alors qu'avec Le Passage il s'était contenté de puiser dans sa seule expérience, il craint de devenir avec Place des angoisses un professionnel des mots. Il comprend aussi que l'écriture qu'il avait pu considérer un moment comme l'instrument de son salut, ou au moins comme celui de sa sauvegarde, est en réalité une entreprise de mort, qu'elle participe de ce mouvement généralisé de perte qui nous précipite vers la fin, qu'elle l'accompagne, le souligne et bientôt s'y perd. Le résultat de cette réflexion sera Le Corridor qui en est en quelque sorte la systématisation. Ce troisième roman fut mal reçu, ignoré ou classé avec légèreté comme « nouveau roman ». Le narrateur y ressemble à un pantin évoluant parmi d'autres pantins. Son existence n'est définie, prouvée que par les mouvements et gestes qui l'animent, et la lecture se nourrit de ce drame suspendu que signifierait leur cessation, mais aussi de cet autre drame, avéré celui-là, que provoque leur enchaînement en quoi se manifeste la fuite de la vie et que le mouvement de l'écriture redouble.

L'extrémisme du Corridor est resté sans lendemain. Cependant les quelques textes qui suivent ce roman ne sont pas en rupture. Simplement, parce qu'il est passé par cette ascèse, Reverzy peut à nouveau et de manière moins « expérimentale » diversifier ses approches, réintroduire, nommée comme telle, son expérience quotidienne. Tout risque de littérature, de complaisance, d'aveuglement a disparu.

Bien que Reverzy les ait reniés après le bouleversement[...]

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