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JEU Le jeu dans la société

À travers ses manifestations diverses, le jeu apparaît en définitive comme une manière de prendre quelque distance à l'égard des déterminations qui, dans la vie sociale courante, fixent l'individu à sa place et le situent dans le monde qui l'entoure. On retrouve ainsi l'un des sens apparemment secondaires du mot, puisque l'on dit d'une pièce qui n'est pas entièrement prise dans un mécanisme qu'elle a du jeu, c'est-à-dire une certaine aisance dans ses mouvements et une certaine indépendance par rapport à la machine dont elle fait partie. De la même façon, en jouant, l'homme se donne l'illusion d'une liberté dans son rôle social. On comprend, dès lors, que le jeu puisse, en même temps, aussi longtemps que ce rôle n'est pas lui-même bien défini, permettre une sorte d' apprentissage de la vie collective par une appropriation des rôles qu'elle peut proposer. Ainsi, l'activité ludique pourrait être un processus important dans la socialisation de l'individu, par le fait même qu'elle suppose une distance à l'égard des déterminations. C'est probablement la raison de la connivence évidente entre l'enfance et le jeu.

Jeu et socialisation

L'apprentissage social

On ne s'étonnera donc pas que des psychosociologues aient vu dans le jeu l'un des facteurs les plus importants pour la formation de la personnalité sociale. C'est ainsi que George Herbert Mead attribue la formation du soi, c'est-à-dire de la personnalité dans ce qu'elle a de conscient et de réfléchi, à un processus social d'interaction et d'intériorisation des rôles d'autrui. Or c'est le jeu qui, dans l'enfance, réalise cet apprentissage des rôles et par conséquent façonne progressivement la base sociale du soi. Mais l'analyse de cette fonction du jeu révèle qu'il présente successivement deux aspects. On aboutit ainsi à une autre typologie dualiste particulièrement adaptée au phénomène de la socialisation, et qui correspond d'ailleurs à une distinction établie dans certaines langues, en particulier dans le vocabulaire anglo-saxon. En effet, le mot français jeu peut être traduit soit par play, soit par game. Dans la première phase de son évolution psychosociologique, selon Mead, l'enfant pratique le jeu libre (play) en imaginant un compagnon invisible, par exemple pour jouer au gendarme et au voleur, ou bien à la maman avec sa poupée. Il assume ainsi à son gré toutes sortes de rôles dont il reste le maître. Puis, entre six et huit ans, l'enfant passe à la pratique du jeu social et réglementé (game). À partir de cet âge, en effet, il prend plaisir à une conduite régie par des règles et même il s'amuse à inventer des règles, ce qui revient à définir des rôles permettant de prévoir des réponses aux actions et aux attitudes des uns et des autres. Tandis que dans le jeu libre les rôles ne sont pas liés entre eux, au contraire dans le jeu réglementé (par exemple dans la partie de football) tous les rôles différents se trouvent intériorisés sous la forme d'un tout cohérent qui est une situation sociale. L'intériorisation de cet ensemble organisé de rôles correspond à ce qui, sur le plan objectif, est un groupe institutionnalisé. L'enfant, grâce au jeu réglementé, assume non plus seulement le rôle de tel ou tel partenaire, mais finalement celui d'un autrui généralisé, ce qui précisément permet à la personnalité consciente de s'élaborer à partir d'un substrat social. La distinction établie ici entre deux sortes de jeux correspond en grande partie à celle qui est établie par ailleurs entre les jeux dans lesquels le sujet se donne liberté de changer lui-même son rapport au monde et ceux qui reposent sur la création artificielle d'un monde régi par des règles qu'on lui assigne. Dans le premier cas, les rôles sont créés selon la fantaisie du sujet,[...]

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Écrit par

  • : membre de l'Institut, professeur émérite à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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Médias

Casinos de Las Vegas - crédits : David Tomlinson/ The Image Bank/ Getty Images

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