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GOETHE JOHANN WOLFGANG VON

Un modèle humain

Goethe passe la plus grande part de son temps à parachever pour la postérité son personnage, à classer ses collections, ses souvenirs, ses manuscrits, à mettre au point l'édition définitive de ses œuvres, à préparer vingt volumes à publier après sa mort. Comme il a, sa vie durant, travaillé à sculpter sa propre statue, il ne laisse à personne le soin d'ériger son mausolée. Il le fait sans complaisance, non pour paraître ni pour se glorifier, mais pour porter témoignage. Croyant plus à la vertu de l'exemple qu'à celle de la prédication, il s'applique à dresser l'image de ce qu'a pu être l'existence d'un homme de bonne foi et de bonne volonté, aux dons exceptionnels, et qui a eu – sans plus – sa part de chance. Et il conclut : « Qu'il soit comme il veut, ce monde était bien beau. » Dans une œuvre immense et complexe qui – sans exclure les œuvres scientifiques – est une seule et continue confession transposée, il a rassemblé une profusion inouïe de réflexions et d'observations dont aucune n'est futile ou médiocre. Mais il ne gonfle pas sa personne. Quelques semaines avant la fin, il dit à Soret : « Le génie prend son bien où il le trouve. » Et encore : « Qui suis-je, moi ? Qu'ai-je créé ? J'ai tout reçu, tout accueilli, j'ai assimilé tout ce qui passait à ma portée. Mon œuvre est celle d'un être collectif qui porte un nom : Goethe. »

Qu'on n'imagine pas pour autant quelque enfant gâté de la Fortune, un homme heureux au sens du vulgaire. Il disait n'avoir connu en tout que quelques semaines de félicité vraie. Sa santé lui causa toujours des déboires et il ne se maintint que par une stricte discipline psychosomatique. Il se sentait côtoyer constamment l'abîme. Hypersensible, il devait protéger un équilibre intérieur toujours fragile, toujours menacé par l'intensité même de ses fonctions et facultés perceptives. Rien de moins exact que sa réputation de sérénité. On le disait froid, insensible, indifférent même. Non. Il lui fallait simplement se contrôler, se ménager, pour survivre. Sa vie a été une lutte acharnée et ponctuée d'innombrables échecs. Il a été poursuivi par un sentiment tantôt insidieux, tantôt angoissant de solitude. Peu d'amis, perdus en cours de route pour la plupart. Un certain nombre de femmes dans son existence, mais point de compagne à part entière, associée dans le bonheur d'être deux. Il survit à son épouse, à son fils. Ses petits-enfants : des ratés. Son ambition majeure aurait été d'être reconnu comme un grand esprit scientifique ; il se mesurait à Newton et pensait avoir raison contre lui. On ne lui rendit même pas justice. Son éditeur refusa longtemps de publier ses écrits scientifiques. La pratique des arts ? Il songea quelque temps à se faire peintre ; il se croyait du talent pour le dessin ; il travailla beaucoup dans ce sens, jusqu'au jour où une amie, le peintre Angelica Kauffmann, lui dit dans un accès de franchise : « Mon cher Goethe, vous savez voir admirablement », ce qu'il interpréta sans doute exactement : « Vous ne saurez jamais vraiment dessiner » ; et il jeta ses crayons. La musique ? Lui qui écrivait volontiers des livrets d'opéra, il ne rencontra que des compositeurs médiocres ; à la mort de Mozart, il comprit que la chance d'une possible conjonction était irrémédiablement manquée. Mais il ne sut pas apprécier Beethoven, il méconnut complètement Schubert qui, pourtant, rendait ses Lieder si populaires : Goethe n'en a pas écouté un seul. Les spectacles ? Directeur du théâtre de Weimar de 1791 à 1817, il ne disposa jamais que d'acteurs médiocres, sauf Corona Schröter, trop belle, trop artiste, à qui il dut bientôt donner son congé en raison des intrigues qui se nouaient autour d'elle. Le[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, ancien professeur à la Sorbonne

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Johann Wolfgang von Goethe - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Johann Wolfgang von Goethe

Les Souffrances du jeune Werther, Goethe - crédits : AKG-images

Les Souffrances du jeune Werther, Goethe

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