JUIN HUBERT LOESCHER dit (1926-1987)
De son vrai nom Hubert Loescher, Hubert Juin est né en 1926 à Athus, en Lorraine belge, curieux mélange de la douceur grand-ducale et de l'âpre netteté des marches orientales de la France. La sidérurgie y côtoyait alors un monde rural, immobile et immémorial, qu'elle commençait à déchirer. À ces premiers décalages s'ajoutent ceux de la famille de l'écrivain qui est élevé par ses grands-parents. Si ceux-ci participent encore au microcosme rural, ils ont par contre reçu quelque instruction. Qui plus est, ils ont ouvert dans la région le premier cinéma, le Perbal, où leur petit-fils, fasciné, contemple un des films tirés des Misérables de Victor Hugo. Les parents, eux, sont dans les affaires. Ils séjournent pour l'essentiel à Bruxelles. L'enfant y rencontre une vie tout à l'opposé du monde taciturne et mythique qui le baigne quotidiennement.
Il n'en faut pas plus pour que le langage, toujours quelque peu problématique en Belgique, devienne une obsession croissante chez un pupille dont la vivacité intellectuelle va de pair avec une instabilité précoce. Comme chez Christian Dotremont qu'Hubert Juin côtoiera plus tard, les fugues sont très vite à l'honneur. Elles préfigurent une vie éclatée, toujours menacée, qui connut même la clochardisation. L'exacerbation des tensions idéologiques à la fin des années 1930, la débâcle et l'exode de 1940, l'imposture des mots sous la houlette nazie, leur permanence aussi, incompréhensiblement, achèvent de secouer les assises du monde structuré et clos des hameaux. La crise religieuse, qui affectera le disciple d'Albert Beguin, et la rencontre du communisme complètent cet itinéraire marqué par l'étrangeté au cœur des choses et des mots, plus que par la souffrance du langage.
Hubert Juin ne connaît en effet ni la menace de l'aphasie ni la tentation de pulvériser la langue. Le silence qui le hante, mais ne le stupéfie pas, est d'abord celui qui entoura son enfance. Ce n'est pas celui d'Auschwitz. Tout cela se révèle dès son premier grand livre : Les Bavards (1956). Essai lyrique et méditatif, à forte base autobiographique, comme le sera plus tard Célébration du grand-père (1965), ce texte constitue le témoignage, vivant et non pédant, d'un intellectuel de l'après-guerre en quête d'un langage capable de retrouver les hommes au plus près ; il permet aussi l'évocation de cette langue du monde que l'écrivain connut encore dans sa jeunesse. S'ébauche en outre, dans ce livre, le projet de donner voix et visage par les mots à ceux qui en usaient si peu et que la vie moderne a condamnés. Cette restitution différée de l'univers des ruraux prend forme au sein de ce qui est le cœur de l'œuvre d'Hubert Juin : la création romanesque. Celle-ci s'ouvre en 1958 avec Les Sangliers, récit féroce de l'arrivée au village (tel est le terme retenu, et non précisé) de Joséphine. Cette femme de la ville, divorcée et désirable, vient d'épouser un certain Dopin. Elle fait l'objet d'une traque sauvage dans la forêt. Ne représente-t-elle pas l'intolérable altérité, l'expression des désirs inavoués, la menace pour le silence qui sert de ciment à la communauté villageoise ? Suivent La Cimenterie (1962), histoire d'un autre crime et d'un impossible retour au pays natal ; et Chaperon rouge (1963), évocation des villages qui se défont (à partir de l'enterrement d'une vieille). C'est alors qu'Hubert Juin choisit de structurer ses récits en un cycle : Les Hameaux. De ce cycle, Le Repas chez Marguerite (1966) est le chef-d'œuvre. Plus complexe que les autres volumes pour ce qui est du déploiement de la phrase, il atteint au mythe en narrant la fureur progressive du village contre Mathieu, le vieux sage, qu'unit à la jeune Marguerite[...]
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Écrit par
- Marc QUAGHEBEUR : directeur des Archives et du musée de la Littérature, Bibliothèque royale Albert-Ier, Bruxelles
Classification
Autres références
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BELGIQUE - Lettres françaises
- Écrit par Marc QUAGHEBEUR et Robert VIVIER
- 17 494 mots
- 5 médias
...provinces belges (Dulle Griet, 1977 ; L'Enragé, 1978), voire à ses amours essentielles (Le Lit, 1960 ; Trente Ans d'amour fou, 1988). C'est Hubert Juin évoquant dans le cycle Les Hameaux (1978) les villages gaumais de son enfance, sans tomber dans les poncifs passéistes du roman régionaliste....