JUSTICE DISTRIBUTIVE
Cette justice ne consiste pas à « récompenser les bons et punir les méchants ». La notion fait intervenir l'idée d'une inégalité ou, plus exactement, d'une proportionnalité dans la « distribution » des biens, des récompenses ou des honneurs qui tient compte de la valeur de chacun. Particulièrement mise en évidence par Aristote, qui, reprenant l'analyse de la vertu de justice, à laquelle s'était attaché son maître Platon, la considère comme le respect de la loi et la poursuite de l'égalité ; la justice dans son acception la plus générale est donc légale et égale. C'est dans l'appréciation de cette égalité qu'Aristote est conduit à distinguer la « justice distributive » et la « justice corrective ». Le Livre V de l'Éthique à Nicomaque contient l'exposé le plus développé de la conception aristotélicienne de la justice distributive. Mais Aristote en traite également dans La Politique (III, 9, 1208 a et III, 12, 1282 b). Selon lui, la justice distributive repose sur une égalité non absolue, mais proportionnelle. Par exemple, l'attribution des charges et des honneurs dans la cité devra se faire selon la proportion des mérites et des apports personnels de chaque citoyen. La justice consiste donc à traiter inégalement des individus inégaux. Ainsi il n'est pas vrai que A = B, mais A/B = C/D. Car « la justice c'est l'égalité [...] mais seulement pour des égaux » et « l'inégalité [...] est juste [...] mais seulement pour des individus inégaux ». « La justice est relative à des personnes et une distribution doit se faire en gardant la même proportion au sujet des choses et pour les personnes » (1280 a).
Déjà Platon dans Les Lois (757) avait distingué « deux égalités, qui portent le même nom, mais qui en pratique s'opposent presque sous bien de rapports ». L'une, « la plus vraie et la plus excellente [...] attribue davantage au plus grand et moins au plus petit, donnant à chacun en proportion de sa nature ». Au milieu du ~ ive siècle, Isocrate dans son Discours aréopagitique (vii, 21-22) se référait aussi à « deux égalités [...] dont l'une distribue la même part à tous et l'autre à chacun ce qui lui convient ». Ces idées grecques furent reçues à Rome. Cicéron, dans de nombreux passages, rappelle que l'égalité proportionnelle réalise l'équité. C'est l'équité qui fait attribuer des droits identiques dans des situations identiques (Topiques, 4, 23), et la justice consiste à attribuer à chacun ce dont il est digne (De inventione, II, 53, 160) ou ce qui lui revient (De officiis, I, 6, 15 ; De republica, III, 9 ; De natura deorum, III, 15, 38). On retrouve la même idée chez les juristes, à qui elle est familière. Elle s'exprime dans la définition célèbre de la justice donnée par Ulpien (Digeste I, 1, 10, pr.) et reproduite par les Institutes de Justinien (I, 1, pr.) : « la volonté d'attribuer à chacun ce qui lui revient ». C'était la reprise de la définition donnée par la Rhétorique à Herennius (III, 2, 3) : « La justice est l'équité qui attribue à chacun son droit selon sa dignité. » À la suite des philosophes et des juristes, les Pères de l'Église latine formulent la même idée : la justice attribue à chacun ce qui lui revient, dit saint Ambroise lorsqu'il reprend Cicéron dans son traité Des offices des ministres (I, 24, 115), et saint Augustin a des formules analogues De libero arbitrio (Du libre arbitre, 1, 13, 27) ; Cité de Dieu (XIX, 21) ; Comm. sur le Psaume LXXXIII (11 et sqq.). Toutefois, à côté de cette conception d'une justice essentiellement sociale qui attribue à chacun la place et la part qui lui reviennent dans la société, Augustin, interprétant la Bible et utilisant Platon, tient la justice pour[...]
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Écrit par
- Jean GAUDEMET : professeur à la faculté de droit et des sciences économiques de Paris, directeur d'études à l'École pratique des hautes études
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