ROMANO LALLA (1906-2001)
Née en 1906, Lalla Romano a traversé le xxe siècle, et appartenait à la même génération que Pavese ou que Vittorini. Les femmes qui, en Italie, ont écrit dans les mêmes années, peuvent, schématiquement être caractérisées ainsi : Anna Banti était davantage une intellectuelle, Elsa Morante montrait un tempérament de romancière classique, Natalia Ginzburg, en ses portraits, était historienne autant qu'intimiste, Anna Maria Ortese disait ne savoir ni ce qu'elle avait voulu ni qui elle était. Lalla Romano, elle, s'emprisonne et semble se livrer dans le dire autobiographique.
Née à Demonte, dans la province de Coni, elle est d’origine piémontaise. Le mathématicien Giuseppe Peano était son grand-oncle. Elle fait des études supérieures de lettres à l'université de Turin. Dans la seconde moitié des années 1920, pour une étudiante de qualité, fréquenter les cours, c'était choisir librement d'aller écouter tel ou tel professeur et, si on en juge à la façon dont Lalla Romano parle dans Giovinezza inventata (Une jeunesse inventée, 1979) de l'enseignement du philosophe Pastore ou de la personnalité de l'historien de l'art Lionello Venturi, c'était trouver un lieu où se former intellectuellement. À partir de 1929, Lalla Romano, qui épouse en 1932 un employé de banque promis à une brillante carrière, est professeur dans l'enseignement secondaire : à Coni d'abord, puis à Turin ; de 1947 à 1959 elle enseigne à Milan. Parallèlement, elle fréquente Anna Banti, Natalia Ginzburg, Elsa Morante.
Lalla Romano a vraiment été une femme de lettres. Le critique s'avoue impuissant à cerner sa biographie hors des textes qu'elle a elle-même produits. Aucun lecteur n'échappe à la situation contraignante où l'installent des œuvres dont le texte se soutient de la répétition du „Je“. Maria, paru en 1953, fait le portrait d'une jeune paysanne employée comme domestique, à travers le regard de celle au service de laquelle elle se trouve. Dans Tetto murato (1957), le Je narre un chaste jeu de couples en Piémont pendant la période de la Résistance. À moins que le livre ne soit avant tout une exaltation de la force féminine : celle de l'héroïne du récit, personnage qu'une autre femme construit avec des éléments du réel. Lalla Romano choisit une optique résolument autobiographique dans La Penombra che abbiamo attraversato (La Pénombre que nous avons traversée, 1964) : l'auteur y dit un retour au pays natal et au temps où, dans la mémoire, les lieux ont acquis une consistance liée à l'image de la mère, de la famille, des êtres de l'enfance. L'œuvre de Lalla Romano n'a cessé de poursuivre une phénoménologie du rapport qu'entretient le Je avec les composantes fragiles de la structure familiale : le fils, dans Le Parole tra noi leggere (Ces Mots doux entre nous, 1969) ; le petit-fils dans L'Ospite (L'Hôte, 1973) et Inseparabile (1981) ; le mari mort dans Nei mari estremi (Tout au bout de la mer, 1988). Le Je voit, ressent, se souvient avec discontinuité, juge, triche sans doute : il écrit.
Cette femme de lettres n'a pourtant pas commencé par l'écriture. Il semblait qu'elle dût devenir peintre. Des expositions lui sont encore consacrées. Le désir de produire une image de ce qui tombe sous le regard – soi ou les autres – engendre des textes où rien ne paraît le produit de l'imagination, puisque ce qui s'y dit semble toujours avoir été vécu d'une façon ou d'une autre. On ne s'étonnera pas non plus de l'intérêt que Lalla Romano a porté à la photographie. En 1975, notamment, elle a publié une sorte de roman, Lettura di un'immagine, en symbiose avec les photos qu'avait faites son père.
La présence obsessionnelle du Je sur la page, l'accumulation de notations insignifiantes[...]
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Écrit par
- Claude AMBROISE : professeur des Universités, en poste à l'université de Grenoble-III-Stendhal
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