LES TEMPS MODERNES, film de Charlie Chaplin
Une critique des conceptions modernes du travail
À cause de sa sympathie pour les classes opprimées et les pauvres, manifestée dans ses films et ses propos publics, Chaplin a souvent été traité aux États-Unis de « communiste ». En réalité, Les Temps modernes ressembleraient plutôt à un film anarchiste. Sans renvoyer tout le monde dos à dos (il y a bien des exploiteurs et des exploités), l'œuvre n'aborde pas la question sociale sur le terrain de la lutte collective.
Contrairement à la foule qui se laisse mener au travail (évoquée au début du film par l'image métaphorique d'un troupeau de moutons), les deux personnages principaux sont des individus libres, des êtres de la rue. La gamine (qui au départ, dans le scénario, devait être un gamin), jouée par la splendide Paulette Goddard, alors compagne du réalisateur, est moins une créature idéalisée qu'une camarade et une complice, un alter ego féminin, doté du même esprit d'enfance et de débrouillardise. Les Temps modernes contrastent ainsi avec Le Gosse (The Kid, 1921), Le Cirque (The Circus, 1928), et Les Lumières de la ville par la discrétion des éléments mélodramatiques qui se cantonnent à une brève scène sur l'alcoolisme du père de la gamine. C'est plutôt avec une tendresse amusée que sont évoqués les rêves de confort petit-bourgeois des deux héros, installés dans un grand magasin où ils trouvent l'équivalent d'un pays de cocagne, et qui ensuite repartent sur les routes un sourire accroché aux lèvres.
Auparavant, pour la première et la dernière fois, le Vagabond aura fait entendre sa voix, dans une chanson burlesque et mimée aux paroles incompréhensibles, improvisées par le personnage sur l'air de Je cherche après Titine. « Charlot » disparaît avec Les Temps modernes ; le film suivant verra Chaplin se dédoubler entre un barbier juif et un dictateur éructant : ce sera son premier vrai parlant, Le Dictateur (The Great Dictator, 1940), pamphlet sublime contre Hitler.
Mais les séquences les plus célèbres du film évoquent le dérèglement de la machine, c'est-à-dire d'une conception rationaliste de la vie et du travail, qui tourne au délire. Dans le film, on ne voit même pas ce que produisent les usines. La machine devient une fin en elle-même. Indirectement, le film s'en prend à l'industrialisation du cinéma, industrialisation à laquelle le parlant, par les problèmes techniques nouveaux qu'il imposait de résoudre, avait contraint le cinéma à se plier. Chaplin a connu l'âge artisanal du cinéma, et, devenu riche et autonome, maître du temps et du budget, il va tenter de prolonger cet artisanat aussi longtemps que possible.
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Écrit par
- Michel CHION : écrivain, compositeur, réalisateur, maître de conférences émérite à l'université de Paris-III
Classification
Média