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LONDRES

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Royaume-Uni : carte administrative - crédits : Encyclopædia Universalis France

Royaume-Uni : carte administrative

Depuis qu'elle est entrée dans l'ère moderne, Londres semble systématiquement anticiper les grandes étapes de l'histoire urbaine. Première ville millionnaire du monde, au moins occidental, dès le début du xixe siècle, sa forte croissance démographique s'est traduite plus tôt que partout ailleurs par des formes d'étalement et de suburbanisation permises en particulier par la mise en œuvre d'un réseau ferroviaire mobilisé, dès son origine, comme moyen de transport intra-urbain au service des « navetteurs ». Après la Seconde Guerre mondiale, alors qu'elle entrait dans une phase de désurbanisation, Londres a été la première métropole concernée par une forme singulière d'embourgeoisement, la gentrification, justifiant la création de ce néologisme dès 1964. Du point de vue économique, Londres s'est ouverte très tôt à l'internationalisation des échanges qui ont stimulé une industrialisation originale dans le contexte du xixe siècle, au regard de l'éloignement de la capitale britannique par rapport aux gisements de matières premières. Depuis le début des années 1980, la ville s'est résolument engagée dans la voie d'une économie structurée autour du secteur financier et des services supérieurs liés à son statut de métropole mondiale, maintenant dans le même temps une part non négligeable de sa population en marge de la croissance. Cet apparent paradoxe n'est d'ailleurs pas le seul dont Londres peut se prévaloir. Bien qu'il s'agisse d'une énorme métropole tentaculaire, elle est constituée d'une multitude de « villages » auxquels correspondent autant de véritables identités et communautés locales. De même, les vestiges du mur d'enceinte de Londinium côtoient aussi bien la Tour de Londres que la tour du Gherkin, pour composer un improbable et touchant patchwork de formes urbaines qui soulignent toutes les ambivalences, contradictions et ambiguïtés qui font la richesse de la capitale britannique et de ses habitants.

Histoire d'une capitale

De la fondation à la fin du Moyen Âge

Au mythe de la Troja Nova qui fait remonter Londres à une époque plus ancienne que Rome, on préférera la réalité : Londres est née après la conquête romaine en 43 de notre ère, d'abord camp militaire, bientôt cité commerciale et centre administratif (Londinium) ; ses premiers murs datent du iiie siècle et sa population aurait alors avoisiné les 30 000 habitants ; déjà, sa fonction portuaire et l'existence d'un pont de bois en font un important carrefour de communications. Des restes de murailles aux vestiges d'un temple de Mithra en passant par des mosaïques et des documents épigraphiques, les signes abondent de sa vie de cité. Les invasions saxonnes contribuent à la ruiner, malgré des survivances dont, au vie siècle, l'installation d'un évêque saxon qui prend ainsi la suite lointaine du premier évêque de 314. Les siècles suivants sont faits de relèvements et de destructions renouvelées, liées aux invasions de Vikings, mais aussi à la vulnérabilité aux incendies d'une ville construite en bois.

À l'arrivée des Normands, Londres semble déjà dotée d'une autorité locale embryonnaire, sous la tutelle de l'évêque et du roi, et elle est divisée en 28 wards, chacun sous l'autorité d'un échevin. Ce statut est confirmé par Guillaume qui, méfiant, fait aussi construire deux forteresses de surveillance, dont la Tour à l'est. Westminster, où Édouard le Confesseur avait fait ériger une abbaye, devient, à l'écart de la ville, le centre de l'administration monarchique et ne sera jamais soumise à la Cité. Dès ces premiers siècles normands, Londres est de loin la ville la plus riche et la plus grande, la construction de maisons nouvelles se faisant dans une superficie si restreinte qu'on se plaint amèrement, vers 1300, du manque de place et de l'étroitesse des ruelles. Commerce et artisanat y sont les activités majeures, le négoce en partie aux mains d'étrangers, marchands de Cologne invités par Henri II dès 1152, autres Allemands qui bénéficient du Statut des marchés de 1283, nombreux juifs (sans doute 2 500 vers 1200) sous la sauvegarde du roi jusqu'à la grande expulsion de 1295. La bourgeoisie se développe et obtient confirmation et extensions successives des chartes de franchise ; en 1215 est permise la première élection d'un maire et, en 1319, l'autonomie de la Cité est acquise. Le xive siècle voit la définition des grandes institutions municipales, le Common Council élu par les corporations, les sheriffs chargés de la justice. Siégeant au Guildhall, le maire est le véritable « roi de Londres », le second personnage du royaume ; il a droit de justice, il délivre aux officiers royaux et au roi lui-même les autorisations nécessaires à leur venue dans la ville.

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La ville du xive siècle est déjà inégalement sûre, des chroniques anciennes mettent en garde contre les voleurs, les charlatans, les diseurs de bonne aventure ; est-ce en contradiction avec cette affirmation des années 1380 selon laquelle Londres serait « la place la plus sûre du royaume » ?

La Cité médiévale est fortement marquée par la ferveur religieuse : une centaine d'églises paroissiales, vingt-trois monastères s'ajoutent à des institutions développées au-delà des murs : hôpitaux, maison des Chartreux. Entre 1245 et 1269 est édifiée l'abbaye gothique de Westminster, « à la fois Reims et Saint-Denis réunis ».

Tower Bridge, 1 - crédits : Sven Hansche/ Shutterstock

Tower Bridge, 1

La Tour, aux constructions sans cesse renforcées et complétées, protège un pont qui, à partir du xiie siècle, est de pierre.

Le nombre des habitants a varié : 40 000 probablement avant la Peste noire, la moitié à la fin du xive siècle.

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Le xve siècle apporte peu de changements ; le grand négoce se développe, toujours en partie aux mains des Allemands de la Hanse, ainsi qu'un précapitalisme marchand avec une classe de drapiers qui jouent le rôle de fabricants contrôlant des ateliers ruraux plus ou moins éloignés. La population se reconstitue partiellement grâce à l'immigration et, au début du xvie siècle, aurait atteint 50 000 habitants, quatre à cinq fois la population de Norwich, la seconde ville du royaume.

Le premier grand essor et les épreuves de la fin du XVIIe siècle

Aux xvie et xviie siècles, la population de Londres décuple et la ville devient l'une des grandes métropoles occidentales ; malgré les épidémies, les incendies, les nombreux troubles politico-religieux et le lourd fardeau des taxes et des emprunts royaux lorsque l'Angleterre vient défier les grandes puissances du temps. Elle attire les cadets de familles nobles, auxquels la primogéniture ne laisse d'autre issue que le commerce ou les professions juridiques ; elle draine aussi des gens de toutes classes, à la recherche de l'argent bien ou mal gagné, d'un emploi, de la charité. Les souverains s'épuisent à interdire périodiquement la construction de nouvelles maisons et l'installation de familles de gentlemen, et se consolent en collectant les amendes sanctionnant le délit constaté dans la plus totale impuissance. Un dixième de la population est en général une masse effrayante d'indigents, de chômeurs, de mendiants, de délinquants de tous ordres, et cette lie populaire fournit, en cas de troubles, quelques éléments de la « foule » pillarde et aisément fanatisée.

La croissance même de la ville, qui entraîne de nombreuses constructions, fascine les candidats à la migration intérieure. Sous les Tudors, le lotissement de nombre de biens monastiques – certains, comme Covent Garden, offerts à de grands conseillers de la couronne qui, plus ou moins rapidement, se transforment en urbanistes et en constructeurs – a apporté la solution au problème du terrain ; l'époque élisabéthaine est celle du destin mondial du port de Londres et des constructions de docks et d'armements navals en aval du pont, pour le plus grand bénéfice des compagnies de commerce : Marchands Aventuriers ou, en 1600, la prestigieuse Compagnie des Indes orientales.

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Entre la Cité et Westminster, le long du Strand, les grandes familles édifient de somptueuses demeures qu'un embarcadère privé relie à la Tamise proche.

Sur la rive sud, à la fin du xvie siècle, aux auberges et tavernes s'ajoutent des théâtres, prohibés dans la Cité, et contraints à s'installer à l'écart de sa juridiction : le Globe, construit en 1599, abrite la célèbre troupe de William Shakespeare.

Au siècle des Tudors, la population de la capitale a quadruplé, elle atteint 200 000 habitants à la mort d'Élisabeth. La ville est le sujet d'une première représentation cartographique en 1588 et d'une première grande étude par John Stow en 1628. On y est en général admiratif et perplexe, à l'instar d'un Jacques Ier, qui prophétise une époque où « Londres [serait] toute l'Angleterre ». Les deux premiers Stuarts ont tout lieu de s'inquiéter des dangers d'une croissance que rien n'arrête. Veiller au ravitaillement de la ville devient pour eux une obsession, et les réquisitions de victuailles, voire de bétail sur pied mené en grands troupeaux vers la capitale, ont l'inconvénient de désoler les provinces sans résoudre facilement les problèmes.

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La variété des occupations nourrit les rangs d'une solide classe bourgeoise, des imprimeurs aux fabricants, des armateurs et négociants aux hommes de loi, des orfèvres-banquiers aux maîtres artisans. Londres regorge d'argent, et les souverains, au cours des deux siècles considérés, ne se privent pas d'en retirer le maximum à leur profit, sous la forme de taxes, de douanes, d'emprunts forcés aimablement qualifiés de dons gracieux ou « amicaux », de saisies de dépôts, opérations certes lucratives, mais qui contribuent à créer, entre la Couronne et les classes dirigeantes, plus que des tensions. D'autant que, parcourue par d'innombrables voyageurs étrangers, en rapports avec le continent, en particulier les Hollandais, la capitale est accueillante aux idées, aux principes, aux mouvements religieux venus d'ailleurs, qui enfièvrent esprits et imaginations. La Cité, fière de se gouverner elle-même, est de plus en plus soumise aux oligarchies et, parmi les corporations, une hiérarchie croissante crée des distances visibles ; mais la ville se pose en contestataire de décisions royales. Pourtant, la monarchie lui apporte beaucoup : des édifices monumentaux – dont Inigo Jones, introducteur du style baroque, dresse à tout le moins les plans (il modifie la façade de Saint-Paul et suggère à Charles Ier les plans de son nouveau palais de Whitehall) –, des autorisations de lotissement ordonné – dont le modèle, à partir de 1631, est le Covent Garden d'Inigo Jones, inspiré de la place des Vosges –, des efforts pour garder à Londres le quasi-monopole de la fonction judiciaire nationale : toutes les grandes cours de justice y ont leur siège, les juges partant faire des « chevauchées » en province ; d'où, pendant les sessions judiciaires, la pleine activité des Inns of Court, à la fois hôtels-auberges pour les juristes et écoles de droit réputées. On ne veut voir que l'incapacité du gouvernement à stimuler le commerce, ou on soupçonne Charles et ses conseillers de rêver la restauration du catholicisme.

Londres joue un grand rôle dans la révolution ; la révolte de la Cité, en janvier 1642, contraint le roi à s'éloigner ; par la suite, les milices urbaines contribuent, d'une manière décisive, à prévenir une réoccupation militaire. Période d'exaltation, de profits pour les marchands et fournisseurs aux armées, les années révolutionnaires font aussi de Londres, pour la première fois de son histoire, le chaudron provisoire d'une démocratie que rêve d'édifier le mouvement des Niveleurs, dont la capitale constitue le seul grand bastion.

Le calme revenu avec la Restauration, Londres connaît pourtant son épreuve suprême : après une grande peste, c'est, en 1666, un gigantesque incendie, la « Grande Conflagration », dont Samuel Pepys, fonctionnaire sans scrupules et chroniqueur de génie, a laissé la description saisissante ; en l'espace de la semaine du 2 au 9 septembre, 150 hectares construits à l'intérieur de la Cité sont ravagés, 25 autres hors les murs, 13 200 maisons et 87 églises sont totalement détruites. La reconstruction exigera dix ans, elle se fait en partie selon les vues de sir Christopher Wren, qui a dessiné les plans de 51 églises nouvelles, de la cathédrale Saint-Paul, du « Monument » commémoratif de la catastrophe. Mais l'urbanisme rêvé par l'architecte ne s'impose pas et on reconstruit les rues à l'identique avec quelques modifications mineures. Une conséquence de l'incendie a pourtant été la croissance de faubourgs, le lotissement de nouveaux quartiers : Lincoln's Inn, puis Soho. Le Parlement a aussi édicté de nouvelles règles de construction, et la brique et la tuile prennent désormais la relève du bois et du chaume. Au temps de la glorieuse révolution, bénéficiaire de l'immense essor du commerce au lointain, mais aussi de l'installation en nombre grandissant d'immigrants huguenots français, dont 30 000 vont peupler le quartier textile de Spitalfields, Londres aurait plus que compensé les effets des cataclysmes, elle compterait un demi-million d'habitants, près de vingt fois la population de Bristol, la deuxième ville du royaume. Et, les activités semblant appeler les activités, c'est dans les années 1680 qu'apparaissent les premières sociétés d'assurances, comme la Lloyd's ; c'est en 1694, avec la fondation de la Banque d'Angleterre, que la capitale anglaise commence à poser sa candidature à la succession financière d'Amsterdam.

Cathédrale Saint-Paul, à Londres - crédits : English Heritage/ Heritage Images/ Getty Images

Cathédrale Saint-Paul, à Londres

Cathédrale Saint-Paul, Londres, déambulatoire - crédits :  Bridgeman Images

Cathédrale Saint-Paul, Londres, déambulatoire

L'âge d'or de l'urbanisme et la croissance ordonnée

Avant que la révolution du chemin de fer et l'extraordinaire élan vital de l'âge victorien triomphant ne perturbent la ville, sa population augmente à un rythme soutenu, mais régulier et, sous l'égide des riches possesseurs du sol, s'étend par lotissements successifs de grande ampleur . En 1801, sa population approche le million d'habitants et représente alors environ 10,7 % du total national, sans changement par rapport à 1700 ou 1750. Vingt ans plus tard, elle n'a encore que 1 140 000 habitants, mais, dès les années 1850, l'agglomération métropolitaine dépasse deux millions et demi d'habitants, près de 15 % de la population anglo-galloise, plus de 12 % de la population de la Grande-Bretagne en 1851. Elle a continué d'attirer les forces vitales du pays, au point qu'en 1757 on estimait aux deux tiers, voire aux trois quarts les Londoniens originaires d'autres parties du royaume ; l'abaissement des taux de mortalité permet, à la fin du xviiie siècle, de dégager des excédents naturels, mais ils ne suffisent pas aux besoins d'expansion. L'attraction qu'elle exerce sur les immigrants continue de s'expliquer par la croissance des activités et la grande diversité des emplois offerts. Au cœur d'un réseau commercial national dense, la capitale britannique est aussi demeurée le centre d'un énorme commerce international. Le port est devenu de plus en plus encombré, et, au début du xixe siècle, entre 1802 et 1807, les compagnies à charte construisent de nouveaux docks : West India, London, East India et Surrey Docks ; la part de la capitale dans le commerce extérieur diminue, mais, en valeur absolue, la croissance est à la mesure de la révolution commerciale vécue par la Grande-Bretagne : la valeur des marchandises échangées fait plus que doubler de 1699 à 1790 quand la part de Londres passe des trois quarts à moins des deux tiers. D'autres fonctions connaissent un développement remarquable : la banque, les assurances, la bourse (le premier Stock Exchange est inauguré en 1802) ; les industries sont pratiquement toutes représentées, à l'exception de la métallurgie lourde ; le rôle judiciaire et administratif s'accroît pendant que se multiplient les cas soumis aux diverses instances judiciaires et que se développe le premier, puis, après la crise de 1776-1783 (indépendance des États-Unis), le deuxième empire colonial. La capitale des affaires est aussi celle des plaisirs, des arts, des lettres, elle attire les visiteurs, sa vie mondaine exerce une attraction irrésistible sur les élites sociales... comme sur la pègre. Une main-d'œuvre toujours plus abondante est sollicitée, y compris pour les tâches multiples de la domesticité, du transport, des soins à donner aux chevaux, de la construction de logements, voire de quartiers entièrement nouveaux. Et, toujours, mendiants, vagabonds, voleurs font partie d'un paysage humain qui effare l'observateur étranger.

La croissance urbaine résulte de cette fièvre d'expansion. Elle se traduit symboliquement, dans la vieille partie de la ville, en 1760, par le démantèlement des murailles de la Cité, dont les portes sont découpées et transformées en petites pièces souvenirs qui font la fortune de quelques artisans ingénieux. Ainsi peut se faire la fusion des « deux Cités  ». Surtout, on assiste à une œuvre considérable de création de lotissements urbains grâce à l'action hardie de quelques grands propriétaires aristocratiques : confiant leurs terrains à des entrepreneurs, les concédant, avec les constructions, à des baux emphytéotiques qui préservent, dans un avenir de trente à quatre-vingt-dix-neuf ans, les droits de reprise de leur famille et ainsi un énorme capital sans cesse revalorisé, ils imposent aussi des règles très précises sur la répartition des logements, la place à accorder ou non aux commerces, le tracé des principales artères, la création de « centres » constituant autant de petites unités architecturales. Né au siècle précédent, cet urbanisme privé est aussi pratiqué, par la Cité ou les hôpitaux, sur les terrains qui leur appartiennent. Les résultats sont remarquables, mais deux phénomènes se confirment : l'extension de la ville hors de ses limites traditionnelles, la constitution de la capitale en un conglomérat de « villages » auquel manquera toujours une planification centrale comparable à ce que connaît le Paris monarchique, impérial ou républicain ! Parmi les grands squares créés sur les « estates aristocratiques », on citera Bloomsbury, né et développé à partir de 1661 déjà, Grosvenor Square, Berkeley Square, tous achevés au milieu du xviiie siècle ; une vague nouvelle, à partir de 1763, conduit à la création de Portman Estate, puis des plus célèbres Bedford, Russell, Tavistock et Euston Squares.

Trafalgar Square - crédits : Jorg Greuel/ Stone

Trafalgar Square

Ce n'est qu'au début du xixe siècle qu'un plan public de développement, confié à l'architecte John Nash, est destiné à doter le West End des vastes avenues et perspectives qui lui manquaient : Regent Street est percée entre 1817 et 1823, Regent's Park et Saint James Park sont redessinés et bordés de Terraces, immeubles joints à la façade courbe et harmonieuse, Trafalgar Square est commencé en 1830. Quelques bâtiments de prestige portent aussi la marque du pouvoir, dont le British Museum et l'arc de triomphe de Hyde Park Corner.

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Les contemporains n'en sont pas moins impressionnés par la poursuite d'efforts privés, qui, sous la direction de l'entrepreneur T. Cubitt, dotent le Londres de la Régence des nouveaux quartiers de Pimlico et de Belgravia. Ville du bruit, des odeurs, du crime, des nuisances de toutes sortes, dont le « fog » sulfureux, encore confinée sur la rive nord, Londres attend 1855 pour que soit enfin créé un premier organisme centralisateur, le Metropolitan Board of Works, doté des moyens de mettre en œuvre une politique cohérente d'hygiène publique. Il n'avait pas fallu autant de temps pour que naisse une « police métropolitaine », en 1829, grâce au ministre de l'Intérieur, sir Robert Peel : les bobbies, au nombre de plusieurs milliers, garantissent à tout le moins une sécurité relative.

Pendant tout le xviiie siècle et la première moitié du siècle suivant, Londres a constitué un lieu exceptionnel d'activisme politique. Une population aussi nombreuse et concentrée, l'ouverture à tous les courants idéologiques, la présence de masses mal intégrées et disponibles pour les mouvements soudains de foules et des « émotions » plus ou moins organisées n'ont jamais été sans inquiéter les autorités responsables de l'ordre ; pouvoir central et Cité n'ont pas été en constante harmonie dans ce domaine, la seconde parfois complice de fait de manifestants en faveur de libertés publiques ou de contestataires de décisions religieuses : on le vit bien au temps de l'affaire Wilkes sous George III et au début des émeutes « Gordon » qui, en juin 1780, passent rapidement de la remise en question d'une politique de tolérance à l'égard des catholiques à une véritable émeute sociale qui, seule, inquiète les dirigeants locaux ! Les troubles occasionnés directement par des conflits du travail sont relativement rares, mais des grèves des ouvriers de la soie de Spitalfields, des mouvements d'apprentis ne sont pas rares au milieu du xviiie siècle. Surtout, à l'époque de la Révolution française, Londres devient un lieu de propagation d'espérances démocratiques, renouant avec les souvenirs des Niveleurs du xviie siècle ; une « Société de Correspondance » devient un moment le point de ralliement du jacobinisme anglais, crée une panique dans les milieux dirigeants dans les années 1793-1795, fait naître la tradition de « radicalisme », voire de républicanisme populaire qui a longtemps constitué une originalité de la capitale britannique. Nul étonnement dès lors de voir s'amplifier encore ces menaces au temps de la révolution industrielle et, entre 1838 et 1848 notamment, de connaître ici un des bastions du «  chartisme », mouvement de revendication des libertés démocratiques ; il paraît pendant une décennie susceptible de se transformer en un immense mouvement révolutionnaire qui n'aurait pas épargné la propriété ; les Londoniens, au sein du chartisme, ont cependant incarné la tendance « pacifique », hostile à la violence armée, dont les chefs entendent obtenir satisfaction par le meeting et la pétition.

La métropole victorienne et édouardienne

Londres reflète parfaitement, dans la seconde moitié du xixe siècle et avant la Grande Guerre, l'orgueil triomphant de la domination du plus vaste empire jamais construit et, malgré le déclin relatif de la fin de la période, l'étonnante richesse d'ensemble et la réelle prospérité d'un géant économique mondial. La première Exposition universelle, en 1851, a permis de faire éclater une supériorité alors indiscutable. Le « Grand Londres » atteint plus de trois millions d'habitants en 1861, près de cinq au début des années 1880, six et demi en 1901, 7 252 000 en 1911 ; jusqu'en 1901, son rythme de croissance a toujours été supérieur à celui de la population anglaise et, au tournant du siècle, un Anglais sur cinq vit dans l'agglomération métropolitaine. L'extension se fait surtout vers de nouveaux quartiers et faubourgs : de 1861 à 1911, le « comté » (dont la définition administrative date de 1888) a augmenté sa population de 61 %, la « conurbation » de 125 %. L'ensemble s'est nourri des apports migratoires les plus divers : des provinciaux, mais aussi des étrangers, qui constituent, par exemple, près du tiers de la population de l'arrondissement de Whitechapel en 1901 ; les Irlandais comptent moins que les juifs d'origine polonaise ou russe dans la population de l'East End. La ville a pourtant cessé d'être un tombeau et, dans la seconde moitié du xixe siècle, plus des quatre cinquièmes de la croissance sont dus à l'excédent naturel. À la fin du siècle, le départ vers des zones éloignées de l'ancien centre, East et West Ham, Tottenham, Croydon, Willesden, signifie, pour les pauvres, un environnement plus sain et des conditions d'existence moins désastreuses. Tant il est vrai que le surpeuplement effrayant des quartiers et logements du Londres municipal, et qui croît quand on passe d'ouest en est, s'accompagne de taux de mortalité très élevés et de la virulence particulière de maladies comme la tuberculose. Les bourgeois sont parfois tentés eux aussi par le départ, mais bénéficient de la construction de nouveaux quartiers du West End entre 1830 et 1880, ainsi Bayswater, Notting Hill, Kensington et Chelsea. La fièvre d'urbanisme ne s'accompagne pas d'une unité de styles, bien que constructions publiques et même gares s'inspirent d'un goût excessif pour le néo-gothique : en témoignent le nouveau Parlement de Westminster ou la gare de Saint Pancras. Le « palais de cristal » de l'Exposition de 1851, transporté à Sydenham, dans le sud de la capitale, témoigne, jusqu'à sa destruction en 1937, d'une audace mieux inspirée. Les activités sont d'une variété qui défie la description. Le port de Londres continue de croître, de nouveaux docks s'ajoutant aux anciens, sous l'autorité unique, à partir de 1909, d'une Administration du port de Londres. La Cité remplit les fonctions financières les plus variées, cependant que l'industrie employait, en 1861 par exemple, un Londonien sur cinq, d'aucuns surexploités dans les industries de la confection à domicile. Les transports publics ont connu un essor d'autant plus remarquable que Londres a été éventrée par des chemins de fer : six gares terminales de grandes lignes, quinze gares au total en 1899, certaines gigantesques et prolongées par des hôtels, voire des ensembles de magasins et de bureaux. Le chemin de fer remodèle le cœur de l'agglomération, ses grands travaux font naître des chantiers immenses, entraînent la destruction de quartiers entiers, poussent à l'édification de nouveaux ensembles d'habitation et de bureaux loués ou vendus à des prix démesurément gonflés. En 1890, on achève la première ligne de métro du monde entre la Cité et les chemins de fer du sud. Ateliers, magasins grands et petits (Harrods naît en 1849), lieux de plaisir et de débauche, services les plus divers coexistent dans une ville qui, plus que jamais, est une juxtaposition de quartiers entre lesquels la ségrégation sociale n'a jamais été aussi forte. Le guide Baedecker de 1890 s'émerveillait devant « une extension de 14 miles d'est en ouest », une superficie de 316 kilomètres carrés, un dédale de 7 800 rues « formant une longueur totale de plus de 4 800 km ».

Big Ben - crédits : Joe Cornish/ The Image Bank/ Getty Images

Big Ben

Omnibus à l'impériale - crédits : London Stereoscopic Company/ Hulton Archive/ Getty Images

Omnibus à l'impériale

Sociologues et réformateurs sociaux abondent dans la fin de la période, dénoncent les aspects effrayants du « Londres des rejetés », soulignent, à l'instar de Charles Booth dans sa grande enquête des années 1889-1897, la proportion d'un quart à un tiers d'habitants vivant à la limite de l'indigence, s'épouvantent de l'ampleur de la criminalité et de l'existence d'une véritable contre-société des bas-fonds où, du grand criminel au pickpocket ordinaire, de la prostituée déchue à la demi-mondaine, de l'escroc au voleur à la tire, on constate l'étrange reflet d'une hiérarchie fondée sur la richesse. En 1872, les illustrations de Gustave Doré ont révélé les contradictions étonnantes de la Babylone des temps modernes.

Dans cette agglomération immense, malodorante, bruyante, dangereuse et à la croissance dynamique, les problèmes administratifs sont tels qu'ils déterminent des réformes majeures . En 1888, une loi crée le Conseil du comté de Londres, élu démocratiquement, qui se voit confier, immédiatement ou peu à peu, les principales responsabilités en matière d'hygiène publique, d'éducation, d'aide sociale, de lutte contre l'insalubrité, mais non pas celles de police, partagées entre le ministère de l'Intérieur et la Cité traditionnelle. Un parti « progressiste » contribue, au sein de ce Conseil, à déterminer les contours d'un socialisme municipal de grande portée, inspiré par les Fabiens.

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Le besoin de changements a trouvé d'autant plus d'audience que Londres demeure le champ d'ardents combats politiques et sociaux, le lieu où s'est naturellement établie la Confédération intersyndicale fondée en 1868, la ville où se constituent les partis et clubs socialistes et où, à l'occasion, ainsi lors des grandes manifestations de chômeurs de 1886 et 1887, souffle un vent révolutionnaire ; la ville de quelques dures grèves, dont celle, célèbre, des dockers en 1889.

L'enfer londonien appelant l'utopie, à la suite de la dénonciation des laideurs de la ville, par John Ruskin ou William Morris notamment, apparaît l'idée des cités-jardins et s'édifie, en 1903, la première « ville nouvelle » au nord de la capitale : Letchworth, construite conformément aux principes d'Ebenezer Howard et de Raymond Unwin.

Vers l'époque contemporaine

L'entre-deux-guerres a constitué, dans l'histoire de la ville, le prolongement de l'époque victorienne, l'agglomération gagnant encore un million et demi d'habitants avant 1939, débordant ses limites en particulier vers le nord jusqu'à Harrow et Watford, multipliant les voies de communication internes routières ou ferroviaires, mais sans plan d' urbanisme cohérent. Le Conseil du comté aide à la rénovation des quartiers insalubres et participe à la création de grands ensembles, les housing-estates, loin de la ville même, dont le plus important se trouve à Becontree-Dagenham. Après 1932, une loi sur la planification des sols a permis d'esquisser un grand projet de ceinture verte autour de la capitale. Mais on risque toujours d'être pris de vitesse par l'aggravation des problèmes, quand des quartiers entiers se dégradent et deviennent des zones de taudis, tels Fulham, Islington, une grande partie de l'East End. Les constructions de mairies et de bibliothèques, la prolifération des cinémas et palais de la danse, l'édification du grand centre universitaire à Senate House, les vitrines de grands magasins, le stade de Wembley inauguré en 1926 représentent des améliorations de l'environnement et de l'esthétique urbaine sans répondre aux besoins primaires. Les affrontements sociaux y gagnent en intensité, se colorant parfois d'extrémisme lorsque les thèses fascistes font de l'East End de Londres un bastion du parti de sir Oswald Mosley et que s'y développent contre les juifs de véritables pogromes en 1934-1936. On s'explique, l'amélioration des communications aidant, la tentation de la fuite vers les banlieues des petits bourgeois et l'ampleur croissante qui en résulte du double phénomène de la banlieue-dortoir et de la mobilité quotidienne des employés et travailleurs. La banlieue modèle a été construite en Hertfordshire : Welwyn Garden City, due à un autre projet de Howard, est une cité-jardin qui associe de riches résidences, des quartiers ouvriers et des zones industrielles.

Bombardements de Londres - crédits : Keystone/ Getty Images

Bombardements de Londres

La guerre apporte deux modifications majeures. Elle inflige le traumatisme de destructions considérables, en particulier dans les quartiers du centre et de l'East End. Elle offre l'occasion d'une réflexion sur l'urbanisme de l'avenir avec, en 1943 par exemple, la publication de l'ouvrage de Patrick Abercrombie, Un plan pour le comté de Londres, source parmi d'autres de l'application à partir de 1947 d'une loi sur la planification des sols urbains et ruraux qui inclut la mise en place de villes nouvelles.

La reconstruction s'accompagne ainsi d'une modification considérable du dessin urbain antérieur. Neuf villes nouvelles sont construites dans un rayon de 50 kilomètres autour de la capitale, auxquelles s'ajoutent ultérieurement d'autres localités plus éloignées, certaines à près de 125 kilomètres de la Cité. La taille ultime qui leur est fixée pour la fin du xxe siècle varie de 30 000 à plus de 200 000 habitants, mais, dès la fin de 1967, leur population va des 28 800 habitants de Bracknell aux 75 800 de Harlow. La migration vers les banlieues et les villes nouvelles explique l'arrêt de la croissance du Grand Londres.

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Ce déclin démographique ne signifie nullement une décadence économique. Si le port a perdu une grande partie de son rôle international au bénéfice d'autres installations en aval du fleuve, l'industrie continue d'employer quelque 20 % de la population active et fait de la métropole la première ville industrielle du Royaume-Uni. Les fonctions commerciales et financières demeurent prépondérantes, et l'informatisation de la Bourse de Londres à la fin de 1986 a marqué la volonté de la Cité de préserver et de développer son rôle mondial. La fonction culturelle est d'autant plus grande que l'université de Londres, fondée en 1836, est à présent la troisième du pays, après Oxford et Cambridge.

Immigrés jamaïcains - crédits : Chris Ware/ Hulton Archive/ Getty Images

Immigrés jamaïcains

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Des quartiers londoniens continuent de se dégrader, en particulier dans le sud-est, ainsi à Brixton, sous l'effet de l'installation d'une forte population de couleur immigrée à la fin des années 1950 et dans les premières années de la décennie suivante : la pauvreté des nouveaux venus et les violences raciales ont contribué à les transformer en ghettos. D'autres parties de la capitale ont été dotées de constructions de prestige et d'intérêt culturel, en bordure de la Tamise, avec le London Festival Hall, mais aussi, dans le cas du centre culturel et d'habitation du Barbican, en plein cœur de la Cité. Remodelages, rénovations (comme à Pimlico), refonte complète (telle la réhabilitation de Picadilly Circus) ont conduit à donner un lustre nouveau à la capitale tout en menant à la « gentrification » de bien des quartiers, c'est-à-dire à un habitat résidentiel réservé aux classes les plus aisées.

— Roland MARX

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Écrit par

  • : chargée de recherche au CNRS, Laboratoire techniques, territoires, sociétés (LATTS)
  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
  • : maître de conférences en géographie, université de Limoges, Géolab

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Médias

Royaume-Uni : carte administrative - crédits : Encyclopædia Universalis France

Royaume-Uni : carte administrative

Tower Bridge, 1 - crédits : Sven Hansche/ Shutterstock

Tower Bridge, 1

Cathédrale Saint-Paul, à Londres - crédits : English Heritage/ Heritage Images/ Getty Images

Cathédrale Saint-Paul, à Londres

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