MENTALITÉS, histoire
La notion de mentalités est associée à l'école des Annales. Elle est si particulière au courant historique créé par Marc Bloch et Lucien Febvre à la fin des années 1920 qu'elle n'a été reprise ni par la psychologie, ni par les sciences sociales, qui lui préfèrent celle de représentations. À l'étranger, elle n'a pas non plus d'équivalent et a simplement été traduite par ses utilisateurs : Mentalities, Mentalität, Mentalità. Le concept a-t-il été emprunté à Lucien Lévy-Bruhl, théoricien de La Mentalité primitive (1922) ? Les fondateurs des Annales en ont retenu l'idée que les différences culturelles observées à travers le temps et l'espace portent non seulement sur l'acquisition des savoirs et des savoir-faire, mais aussi sur les structures logiques de la pensée.
L'étude des mentalités ne figure pas dans la thématique officielle de leur revue d'histoire économique et sociale, mais elle est omniprésente dans les comptes rendus et ouvrages des directeurs. Des Rois thaumaturges (1924), consacré aux rites et aux croyances concernant le pouvoir guérisseur du roi, à La Société féodale (1939-1940), l'œuvre de Marc Bloch s'efforce de rendre au monde médiéval son étrangeté et son opacité en dégageant les structures psychologiques sur lesquelles s'appuient son organisation sociale. De Un destin : Martin Luther (1928) au Problème de l'incroyance au XVIe siècle, la religion de Rabelais (1942), Lucien Febvre, qui s'intéresse avant tout à l'histoire culturelle de la Renaissance, veut déchiffrer l'univers mental du xvie siècle en étudiant les manières de penser de quelques personnalités intellectuelles censées représenter leur temps.
Ces deux historiens accordent une place centrale aux mentalités, mais leur manière différente de les aborder a parfois tourné au désaccord. Rendant compte de La Société féodale dans les Annales, Lucien Febvre a reproché à Marc Bloch de verser dans le sociologisme.
Deux conceptions des mentalités
Marc Bloch et Lucien Febvre ayant souvent reconnu leur dette à L'Année sociologique, la revue fondée en 1896 par Émile Durkheim, et à la Revue de synthèse historique d'Henri Berr (créée en 1900), on pourrait interpréter cette divergence comme un partage d'héritage : d'un côté, une conception sociologique des mentalités attentive aux représentations collectives, propre à Marc Bloch ; de l'autre, la conception de Lucien Febvre, centrée sur l'unité de la conscience, serait la réalisation de la psychologie historique préconisée par Henri Berr. S'ils ont l'un et l'autre préféré le terme plus vague mais plus englobant de mentalités au concept durkheimien de représentations collectives, c'est parce qu'il préserve le caractère socialisé de la vie mentale sans la réduire à ses formes intellectualisées et sans ignorer la place qu'y tient l'expérience individuelle. C'est sur les aspects conscients et inconscients de la vie mentale que les deux historiens se séparent, et non sur la nature individuelle ou collective des phénomènes psychologiques. Marc Bloch a toujours privilégié les formes inconscientes ou habituelles de la vie mentale, c'est-à-dire les plus incorporées à l'institutionnalisation de la vie sociale, alors que Lucien Febvre recherche le lien entre les formes spontanées ou habituelles de l'activité mentale comme la sensibilité, l'expression des émotions et les formes plus réflexives telles qu'elles font l'unité d'une époque et l'unité de la conscience.
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Écrit par
- André BURGUIÈRE : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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