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MERCANTILISME

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Le mercantilisme désigne la pensée économique des auteurs européens, ou au moins de la plupart d'entre eux, du xvie au xviiie siècle. Selon ces auteurs, l'État seul incarne l'intérêt national et il doit le défendre contre les agissements des autres nations ; d'où des politiques autoritaires, protectionnistes et très agressives.

Ce fut pour stigmatiser ces politiques qu'Adam Smith, en 1776, les imputa à un « système mercantile » qu'il entendait réfuter point par point. Le mercantilisme est donc un terme inventé après coup. Il n'est pas la doctrine d'une véritable école économique, conçue par un chef de file et précisée ensuite par des disciples fidèles. Les mercantilistes, pour les appeler ainsi, auraient d'ailleurs nié toute ressemblance entre leurs travaux. En s'adressant aux gouvernements, ils tenaient à montrer que leurs analyses répondaient aux circonstances très particulières qui les avaient motivées, qu'elles n'étaient surtout pas les applications de recettes générales élaborées par de purs théoriciens.

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Malgré sa grande diversité, le mercantilisme sera présenté ici le plus globalement possible, sans qu'il soit systématiquement signalé que tel auteur ne partageait pas forcément le point de vue de tel autre. Car si le mercantilisme est divers dans ses analyses et même dans certaines de ses propositions, le regard qu'il porte sur la société est très homogène : différent de celui qui prévalait auparavant, quand dominaient la foi et la tradition ; et différent de celui qui s'imposera plus tard, avec l'individu comme figure centrale.

Les économistes de la période mercantiliste

Une nouvelle façon de penser

La pensée économique mercantiliste diffère de celle qui précède, que l'on qualifiera de scolastique par commodité. Si différente qu'on peut considérer que la science économique est née avec le mercantilisme, à la charnière des xvie et xviie siècles. Le mot « économie » lui-même date de cette période, attesté par le Traicté de l'œconomie politique du Français Antoine de Montchrestien, en 1615. « Politique » signifie ici qu'il sera question d'affaires publiques et non privées, qu'on s'intéressera à la nation tout entière, avec un gouvernement pour la représenter et la gérer au mieux.

Les analyses économiques antérieures venaient de théologiens qui raisonnaient dans une perspective universelle, celle du monde chrétien. Les analyses économiques nouvelles émanent d'auteurs laïcs, raisonnant dans une perspective intellectuelle spécifique. L'interlocuteur attitré d'un mercantiliste est l'État, tel qu'il se constitue et s'affirme en Europe après la Renaissance. Un État unifié et centralisé, pas un empire arbitrant différents intérêts nationaux, ni une petite république gérant des intérêts privés. Plus précisément, un mercantiliste se demande comment accroître, ici et maintenant, la puissance de son État, sa capacité de s'imposer au-dedans et de se faire respecter au-dehors.

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Se posant cette question de façon laïque, il ne se demande pas si l'usure est ou non un péché et si telle pratique commerciale en relève ou pas. Il se demande si un faible taux d'intérêt est une bonne ou une mauvaise chose pour la puissance de l'État. Alors qu'un docteur scolastique cherchait des typologies intelligentes pour trancher les cas litigieux, conseiller les fidèles et guider les juges, pour un mercantiliste, il s'agit de déterminer les conséquences d'une hausse du taux de l'intérêt sur la richesse des uns et des autres et sur la puissance de la nation qui en résulte ; en quantifiant ce qui peut l'être, le cas échéant, pour préciser les choses. L'objectif est la puissance du prince ou la richesse de la nation, car ces deux notions vont ensemble. Surtout, elles sont les seules que les mercantilistes considèrent. La protection de la vraie foi ou l'honneur du roi sont parfois évoqués par un mercantiliste, mais pour mieux forcer l'adhésion de son interlocuteur. Car les conseils qu'on lui donne sont pragmatiques par nature et leurs effets doivent être aussi immédiats que possible.

La diversité des auteurs mercantilistes

Au moment où émerge cette pensée économique autonome, quels en sont les principaux auteurs ? Ce ne sont donc plus des théologiens. Ce sont soit des conseillers des princes, soit des marchands.

Dans la première catégorie se trouvent des parlementaires, des commis, des juristes ou des prétendants à de hautes responsabilités, exposant leurs conceptions, proposant leurs services ou développant des réflexions qu'une longue expérience leur avait permis d'accumuler. Parmi les mercantilistes français, Jean Bodin et Charles de Montesquieu sont ainsi magistrats, Jean-Baptiste Colbert et Jacques Necker ministres des Finances.

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À côté de ces spécialistes de la chose publique, les économistes comptent beaucoup de marchands en Grande-Bretagne, mais peu sur le continent et encore moins en France, où ils sont écartés des débats politiques. Au début du xviie siècle, Thomas Mun est l'un des directeurs de la Compagnie des Indes Orientales, Gerald Malynes un riche marchand établi à Londres. William Petty, homme d'affaires et aventurier, est l'ami de Charles Davenant, autre homme d'affaires du xviie siècle. John Law et Richard Cantillon sont deux financiers au début du xviiie siècle. Ces auteurs s'adressent au prince pour lui expliquer en quoi consistent les avantages du commerce, quelles lois il conviendrait d'adopter pour en favoriser le développement et surtout quelles lois il conviendrait d'abroger pour ne pas l'entraver.

Le mercantilisme concerne la plupart des pays européens, par exemple l'Espagne, avec une école dite de Salamanque au xvie siècle, ou l'Italie, avec des spécialistes de l'analyse monétaire. Mais il s'agit surtout d'une affaire anglaise et française. Les marchands et les serviteurs de l'État de ces deux nations développent des analyses économiques très proches et ils en déduisent des conseils pratiques assez analogues. Ils sont convaincus que la modernité passe par l'industrie et le commerce, non par l'agriculture. L'Angleterre et la France sont les deux États-nations qui dominent en Europe et qui cherchent à s'affirmer en tant que tels. Ils combattent les archaïsmes féodaux à l'intérieur et les autres puissances à l'extérieur, au nom de l'intérêt général dans les deux cas.

La prise en compte des faits dans les analyses mercantilistes

Les faits économiques qui caractérisent les xvie, xviie et xviiie siècles permettent donc en partie de comprendre, sinon d'expliquer, le mercantilisme. Résumons l'essentiel de ce dont la littérature économique mercantiliste se fait l'écho.

Depuis le xvie siècle, le commerce atlantique bouscule les habitudes : l'arrivée des métaux précieux d'Amérique stimule l'activité, la hausse des prix intrigue les contemporains ; la croissance de la population est avérée, certaines classes de la société bénéficient d'une prospérité évidente. Si le xviie siècle qui suit connaît des progrès marquants de la science et des techniques, il est aussi celui des guerres et de la peste, avec une crise économique durable et le sentiment que la population diminue en Europe. Globalement, la logique marchande et l'initiative privée progressent incontestablement, parallèlement ou en relation avec l'affirmation de la puissance publique. L'accroissement des échanges monétaires est attesté par le développement de villes géantes comme Londres, Paris et Amsterdam, ne serait-ce qu'en raison de la nourriture qu'elles doivent acheter en grande quantité.

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Il ne faut néanmoins pas exagérer l'ampleur de ces transformations. Le salariat et la manufacture n'existent presque pas, le troc demeure la forme majeure des échanges et l'autoconsommation reste primordiale. Les mécanismes marchands s'analysent donc, presque toujours, dans deux cadres traditionnels : celui de la production agricole, en particulier dans le cadre des foires, et celui du commerce international, notamment avec les colonies.

Avant de céder la place, le mercantilisme compose au xviiie siècle avec d'autres façons de raisonner, considérant que les intérêts particuliers peuvent promouvoir ou même exprimer l'intérêt général. Certains auteurs sont pendant un temps simultanément libéraux et mercantilistes, avant que les deux doctrines ne s'avèrent antagonistes.

Pendant les trois siècles que nous considérons, les auteurs mercantilistes raisonnent essentiellement sur l'exemple de trois nations : la Hollande, l'Angleterre et la France. L'Espagne, enrichie par l'exploitation de ses colonies mais pauvre par ailleurs, sert de contre-modèle.

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L'Angleterre et la France se caractérisent par une puissance publique toujours plus grande. La France occupe la première place en Europe par sa population et sa richesse, l'Angleterre est la puissance rivale et montante. En Hollande, le commerce est l'activité essentielle et le pouvoir appartient aux marchands. D'où la suprématie économique de ce pays pendant une grande partie du xviie siècle : en 1670, le tonnage hollandais à lui seul dépasse celui des flottes anglaise, française, portugaise, espagnole et allemande réunies.

Dans leurs analyses, les mercantilistes français et anglais tiennent le plus grand compte de la nature spécifique de leurs nations. Ils ne prétendent jamais élaborer des règles de politique économique valables en tous lieux et pour toutes les nations. La France serait ainsi une nation agricole par nature, des deux points de vue de ses richesses et de son organisation politique. La vocation de l'Angleterre serait plus ambiguë : beaucoup la souhaitent plus commerçante qu'elle ne l'est, tout en étant respectueux de son aristocratie terrienne. Dans les deux cas, l'exemple hollandais montre à quel point le commerce international peut accroître la puissance et la richesse d'une nation.

Les différents genres littéraires

Avant l'heure des traités économiques généraux, les analyses économiques appartiennent à deux genres littéraires assez spécifiques. Les marchands anglais, mais pas seulement eux, s'en tiennent le plus souvent à une question particulière qui motive leur intervention : par exemple, faut-il en 1692 refondre les monnaies abîmées par l'usage, et avec quelle teneur en métal fin ? L'autre genre est plus typique des conseillers du continent : il s'agit d'exposer l'art de bien gouverner. Le Français Jean Bodin en donne l'exemple avec Les Six Livres de la République, ouvrage paru en 1579. Cette veine littéraire contient toutes sortes de raisonnements destinés à éclairer le prince et assez peu de ce que nous appelons des analyses économiques. On y trouve donc l'art de bien faire la guerre : faut-il des corps d'armée permanents ou non, payés comment, dirigés par qui ? L'art de la diplomatie aussi : quelles sortes de traités faut-il conclure, doit-on tenir compte de la religion des autres parties ? L'art de bien gouverner concerne par ailleurs la structure du gouvernement, la façon de faire des lois et de bien les appliquer, les affaires religieuses, la nécessité ou non de conquérir des colonies et comment les administrer, etc. Quelques thèmes, enfin, semblent principalement économiques, au sens actuel du terme : l'impôt, la population, la monnaie, le commerce extérieur, etc.

En fin de période, typiquement au xviiie siècle, des auteurs se mettent à composer des ouvrages spécialement conçus pour traiter ces sujets aujourd'hui qualifiés d'économiques. Ils cherchent des principes généraux et pas seulement des raisonnements de circonstance, des analyses plutôt que des propositions pratiques. Quelques auteurs, comme John Law, Richard Cantillon, John Locke, relèvent en partie du mercantilisme et en partie des nouvelles façons de raisonner. Ils veulent un État puissant, mais comptent davantage sur l'initiative privée que sur le gouvernement pour y parvenir.

Le cadre général des raisonnements

Mercantilistes ou non, les auteurs des xvie, xviie et xviiie siècles mènent leurs raisonnements économiques dans un cadre général assez semblable.

La distinction fondamentale au sein d'une nation oppose son agriculture et le reste, un reste qui regroupe le commerce et l'industrie. L'agriculture concerne surtout l'alimentation de base, dominée par ce qu'on appelait le « blé », c'est-à-dire les céréales. Dans l'industrie, on oppose toujours les biens nécessaires aux biens qualifiés de « luxe ». Vêtements de soie, bijoux, glaces d'ornements, éléments de décoration, d'agrément ou de confort constituent les principaux exemples du luxe ; à quoi s'ajoutent parfois quelques biens non manufacturés venant de très loin comme des épices. Les biens nécessaires comprennent les draps, le mobilier ordinaire, les vêtements. À la frugalité de jadis aurait succédé une vie faite de luxe : faut-il s'y résigner, doit-on s'en offusquer ?

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La distinction entre l'agriculture et l'industrie correspond à la répartition entre la campagne et les villes. Les richesses qui franchissent cette frontière constituent le commerce intérieur. Les grandes métropoles, Londres, Paris et Amsterdam, déterminent des espaces d'une autre nature, étudiés à part. On s'étonne de l'importance de leur population, on se demande aussi s'il faut s'en inquiéter ou s'en féliciter.

La production agricole nécessite la contribution commune de deux facteurs primaires : le travail et la terre. Augmenter la production est possible en adoptant des procédés plus habiles comme en Hollande, ou en cultivant davantage de terres. La question n'est pas posée à long terme parce que les mercantilistes ne raisonnent jamais dans une perspective longue ; les notions de progrès technique ou d'accumulation du capital leur sont donc étrangères.

Implicitement, chacun admet que le prix réel des denrées correspond aux quantités de terre et de travail nécessaires pour les produire et les commercialiser. William Petty calcule alors la superficie de terre qu'il faut pour nourrir un ouvrier non qualifié, en incluant ou non sa famille ; il en déduit la valeur en terre d'une journée de travail. Il détermine également combien de travail il faut en moyenne pour cultiver une superficie donnée de terre. Ces calculs lui permettent d'exprimer le prix réel des denrées, soit en quantité de terre soit en quantité de travail, les deux expressions étant jugées pratiquement équivalentes.

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Écrit par

  • : professeur de sciences économiques à l'université de Paris-IX-Dauphine

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