MÉROVINGIENS
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Placée entre deux événements parfaitement datés – l'avènement de Clovis en 481 et celui de Pépin le Bref en 751 –, l'époque mérovingienne apparaît avant tout comme une période de transition qui devait préparer le Moyen Âge. En effet, l'invasion barbare a été le fait initial de ce Moyen Âge et jamais depuis aucun fait de cette importance n'a eu lieu. La conséquence en a été la fusion de deux éléments séparés et même antagonistes : le civilisé et le barbare. Encore qu'il ne faille pas exagérer leur antinomie. Les historiens se sont trop souvent opposés sur ce point ; les uns – les romanistes – assurant la permanence de certains éléments de la civilisation romaine, d'autres y voyant un triomphe du monde barbare. Cette fusion a produit une civilisation profondément originale où il est vain de vouloir séparer chacun des éléments pour pouvoir les rattacher au monde barbare ou au monde romain. Cependant, on doit bien reconnaître que les « invasions » n'ont pas bouleversé la Gaule romaine au point d'en faire disparaître toute trace. Les Germains se sont insérés dans les cadres existants qui n'étaient déjà plus ceux du Haut-Empire. D'ailleurs à cette époque, barbares et civilisés n'étaient plus aussi étrangers l'un à l'autre : la décadence de l'Empire avait rapproché singulièrement les Gallo-Romains des Barbares, ce qui permet de rendre compte de la facilité avec laquelle s'est opérée la fusion ethnique. Cette décadence, qui touche tous les domaines, se prolongea sous les Mérovingiens et par un phénomène historique constant s'accéléra si bien qu'au milieu du viiie siècle le Regnum Francorum offre une image bien différente de celle qu'avait voulu en donner son fondateur. À cette époque, tant dans le domaine économique qu'intellectuel, le centre de gravité de la Gaule s'est déplacé vers le nord. Peut-être ce déplacement est-il le fait le plus important, car il explique l'Empire carolingien et tout le Moyen Âge occidental.
On a longtemps admis comme une évidence qu'à chacun des peuples « barbares » qui se partagèrent l'Empire romain d'Occident, au lendemain des « Grandes Invasions » du ve siècle, correspondait un art spécifique et en quelque sorte « national », au sens ethnique du terme. Les progrès décisifs des connaissances archéologiques, de même qu'une meilleure exploitation des sources écrites, ont permis de nuancer cette théorie et de parvenir à une vision moins simpliste de ce que furent des arts dits « barbares » au début du haut Moyen Âge (ve-viiie s.).
On a ainsi rappelé, notamment en France et en Grande-Bretagne, que les conséquences des Grandes Invasions avaient été politiques, économiques et sociales plus qu'ethniques, les nouveaux venus germaniques, tout en disposant du pouvoir, étant demeurés des minorités. Celles-ci, d'abord juxtaposées au peuplement indigène majoritaire, s'y amalgamèrent peu à peu quand leur implantation fut durable. Les peuples barbares considérés possédaient-ils un art propre avant de se fixer dans l'Empire ? Dans l'affirmative, comment s'est-il acclimaté dans le pays d'accueil ? Dans la négative, quel a pu être le poids, dans le domaine des arts, de ces minorités politiquement dominantes ? La rencontre de courants artistiques indigènes et étrangers, si elle a eu lieu, s'est-elle traduite par l'éclosion d'un art nouveau ou a-t-elle au contraire renforcé les particularismes ?
Le fait même de poser ces questions fondamentales apparaît déjà comme une étape importante de la recherche, car il conduit à ce constat que les qualificatifs ethniques traditionnellement utilisés pour définir les divers arts barbares dissimulent des réalités bien plus complexes. Leur usage, s'il est maintenu par commodité, doit donc être envisagé dans un sens géopolitique et non ethnique : traiter de l'art « burgonde », « lombard » ou « wisigothique » revient ainsi à étudier les formes d'art des royaumes fondés par ces « nations barbares ». La chose n'est cependant pas toujours aussi simple qu'il pourrait paraître, dans la mesure où ces États barbares ont connu des destinées variées dont il importera d'apprécier les répercussions possibles dans le domaine de l'art : certains d'entre eux furent fugitifs (Burgondes, Ostrogoths), d'autres connurent des transferts géographiques (Lombards, Wisigoths), d'autres encore réalisèrent leur expansion au détriment de nations barbares voisines ( Francs).
Histoire
Le fait initial est le franchissement par les peuples barbares du limes et leur implantation d'une façon massive sur le sol de la Gaule. Poussés eux-mêmes vers l'ouest par d'autres peuples, les Barbares ont été attirés par une sorte d'appel d'air : la Gaule, très riche, pouvait nourrir une population supérieure à celle qui l'occupait alors. Néanmoins, le nombre des Barbares qui franchirent le limes au cours du ve siècle n'est pas aussi grand qu'on l'a souvent cru, chacun de ces différents peuples ne représente que quelques milliers d'hommes. Il n'y a pas eu à proprement parler de bouleversement ethnique. À cela il faut ajouter qu'avant même cette invasion brutale il en avait existé une « légale » sous la forme de l' hospitalitas qui avait permis à de nombreux Germains de s'installer sur le territoire de la Gaule. Stilicon, obligé de dégarnir la frontière du Rhin au début du ve siècle, en avait confié la défense aux Francs « ripuaires », ennemis de la veille devenus alliés au titre de fédérés.
À la suite de ces invasions, la Gaule va se trouver partagée entre quatre peuples germaniques. Les Wisigoths, installés depuis 416 en Aquitaine, étendent leur domination vers le nord jusqu'à la Loire et vers l'est jusqu'à la Provence incluse. Les Burgondes, installés en 443 entre Alpes et Jura, avaient ensuite pris peu à peu possession des vallées de la Saône et du Rhône jusqu'à la Durance, sans aller au-delà de la Loire. Ces deux peuples, qui avaient su créer deux royaumes très puissants, s'étaient dilués dans des régions où le peuplement gallo-romain restait prédominant. La partie septentrionale de la Gaule était en revanche aux mains des Francs et des Alamans. Les Francs « saliens » occupaient un territoire exigu situé entre l'embouchure du Rhin et celle de la Somme : ils y formaient un groupe cohérent dans une région pratiquement dépeuplée. Les Francs ripuaires avaient réussi à occuper, en cette fin du ve siècle, la rive gauche du Rhin, à l'est de la Meuse, et la vallée inférieure de la Moselle. Enfin, les Alamans avaient pu s'infiltrer entre les Francs ripuaires et les Burgondes. Au milieu de ces quatre peuples subsistait entre la Somme, la Meuse et la Loire un reliquat de la Gaule impériale, l'État de Syagrius. L'unification de ce conglomérat de peuples fut l'œuvre de Clovis (481-511) et de ses fils qui réussirent à imposer leur hégémonie. La victoire de Soissons en 486 livra le royaume de Syagrius, celle de 496 rejeta les Alamans au-delà du Rhin, celle de Vouillé apporta le royaume des Wisigoths. En revanche, la lutte contre les Burgondes fut plus ardue, et ce n'est qu'à partir de 534 qu'ils furent entièrement soumis aux Mérovingiens.
Cette conquête avait été facilitée par la conversion au catholicisme de Clovis. Cet acte accompli dans une optique politique lui attachait les Gallo-Romains redoutant l'hétérodoxie des Wisigoths et des Burgondes qui avaient adopté la théorie d'Arius, condamnée en 325 au Concile de Nicée. Les Francs passèrent pour des libérateurs aux yeux des Gallo-Romains qui étaient dans tout le sud de la Gaule en très nette majorité. L'importance accordée au problème religieux à cette époque était telle qu'elle faisait passer au second plan les conflits raciaux.
Au vie siècle, les conquêtes franques firent du Regnum Francorum la principale puissance territoriale de l'Occident avec laquelle Byzance se devait de compter : il s'étendait alors pratiquement à l'ensemble de la Gaule et en dépassait même les limites avec son glacis germanique et les conquêtes provisoires en Italie du Nord.
Cependant, deux forces qui s'exerçaient en sens inverse devaient compromettre les chances d'avenir du Regnum. Suivant le droit germanique, le souverain mérovingien considérait le territoire qu'il gouvernait comme un bien personnel qu'il partageait à sa mort entre ses enfants. Cette conception allait provoquer les multiples partages entre les fils et les mainmises brutales dictées par la convoitise. Ce n'est qu'exceptionnellement que le royaume fut réuni sous l'autorité d'un même prince : sous Clotaire Ier, Clotaire II et Dagobert de 613 à 634. Cependant, on s'est aperçu que ces partages n'étaient pas aussi anarchiques qu'on l'avait souvent cru et obéissaient très souvent à des motifs politiques. Contre cette œuvre de dislocation qui réapparaissait à chaque génération, une autre tendance voulait maintenir le principe de l'unité du Regnum. Chacun des souverains porte le titre de Rex Francorum qui affirme qu'au-dessus des différents lots territoriaux il existe une unité ; d'autre part, Paris, qui perd son rôle de capitale où réside le souverain, devient, après la mort de Clovis, la capitale idéale, exclue des partages, symbole de l'unité du Regnum. Enfin, il faut souligner que la conception unitaire du Regnum a été telle que les frontières ont toujours été heureusement défendues contre les incursions étrangères.
Cette force centrifuge devait néanmoins être cause d'une nouvelle géographie politique de la Gaule avec l'apparition de quatre entités territoriales. Au nord s'étendait l' Austrasie créée sur les territoires situés entre la Meuse, le Rhin et la Moselle qui étaient profondément germanisés ; la Neustrie, qui comprenait les régions placées entre la mer du Nord, la Meuse et la Loire et était axée sur la Seine, restait en revanche très romanisée. Le Sud se divisait entre la Bourgogne à l'est, marquée par des lois très humaines, et l' Aquitaine à l'ouest qui conservait presque intacte la culture latine. En fait, c'est l'opposition fondamentale entre les deux royaumes du Nord, ceux de Neustrie et d'Austrasie, les plus puissants, qui allait marquer l'histoire, principalement après la mort de Dagobert (639), la Bourgogne et l'Aquitaine n'intervenant que secondairement. L'Austrasie finit par l'emporter grâce à une puissante famille d'aristocratie terrienne : les Pippinides qui réussirent à rétablir l'unité des deux royaumes sous le gouvernement fictif des derniers Mérovingiens, en écrasant les ultimes tentatives de l'aristocratie neustrienne. Le succès eut pour conséquence la libération de l'autorité franque des peuples périphériques : l'Aquitaine devient indépendante avec ses propres ducs, de même que la Provence, alors qu'en Bourgogne l'aristocratie laïque et ecclésiastique prend en main le pouvoir. Il appartiendra aux Carolingiens de rétablir la situation en refaisant l'unité et en luttant contre les dangers extérieurs : ce fut principalement l'œuvre de Charles Martel qui, avec le titre de « maire du palais », repoussa les Arabes à Poitiers (732) et ramena Provence et Bourgogne à l'autorité. La conséquence en fut un nouveau déplacement du centre politique : les invasions avaient fait passer ce centre de la Méditerranée au bassin de la Seine, l'avènement des Pippinides allait privilégier l'axe mosan. Parallèlement, l'importance prise par la Gaule dans le monde occidental devait disjoindre les liens qui existaient entre Rome et Byzance au profit de la Gaule : la fondation de l'Empire carolingien en sera la conséquence immédiate.
Les institutions
Les innovations les plus importantes concernent les institutions : les Germains instaurèrent un nouveau régime politique fondamentalement différent du précédent. À la notion romaine d'un État supérieur aux individus succède celle d'une royauté absolue, héréditaire et patrimoniale. La royauté est l'institution fondamentale : pouvoir de fait qui ne se discute pas, elle n'a pas à définir ses prérogatives et ses limites. La conquête de la Gaule a fait du chef militaire à la tête de ses troupes un souverain à qui tous les habitants sans exception sont soumis. Son pouvoir est personnel, et il n'y a plus aucune distinction entre l'État, sa personne et ses biens. Aussi à sa mort partage-t-il son royaume entre ses enfants comme le veut le droit salique. Il n'existait rien de semblable ni dans l'Antiquité ni non plus en Germanie. D'ailleurs les théoriciens le sentiront lorsque, recherchant un modèle au roi franc, ils le trouveront dans le roi d'Israël. Néanmoins, le Mérovingien s'efforce de se rattacher à Rome en imitant certains gestes de l'Empereur. Il s'entoure même d'un palais qui réunit les services, les grands officiers et les hauts fonctionnaires. Nomade comme le roi, ce palais le suit dans ses déplacements de domaine en domaine. En fait, il ne s'agit pas d'une véritable administration centrale, car la distinction entre fonction administrative et fonction domestique n'existe pas.
Sur le plan local, le roi est représenté par le comte qui agit dans le cadre de la cité. Il y exerce en son nom tous les pouvoirs : administratifs, judiciaires, financiers et militaires. Dans l'exercice de ses fonctions judiciaires, il est assisté d'un conseil de gens expérimentés qui forment le tribunal. Le duc qui, à l'origine, exerçait un pouvoir essentiellement militaire devient rapidement un échelon intermédiaire qui s'interpose entre le roi et le comte.
Dans le domaine judiciaire, la notion romaine de la peine afflictive est remplacée par le Wergeld, ou composition financière, chargé, d'une part, de punir le coupable d'avoir troublé la paix publique, et, d'autre part, d'empêcher toute vengeance de la partie adverse. À l'origine, les différents peuples de la Gaule furent jugés suivant leur propre loi. À ce principe de la personnalité des lois, suivant lequel chaque individu était jugé suivant la loi de sa race, succéda peu à peu celui de la territorialité, suivant lequel la loi retenue était celle du plus grand groupe ethnique.
Tout homme libre était astreint au service militaire. Il devait s'équiper, assurer lui-même son propre entretien et répondre à la convocation du roi, qui lui parvenait par l'intermédiaire du comte. Dans le domaine financier, les souverains s'efforcèrent de faire jouer à leur profit le système des impôts romains, mais les Francs répugnèrent à verser la capitation, si bien qu'au cours du viie siècle toute levée d'impôt disparaît et que les souverains tirent leurs principales ressources de l'exploitation de leurs propres richesses foncières.
La société
La société mérovingienne se situe dans le prolongement de celle du Bas-Empire, l'arrivée des Barbares étant seulement responsable de l'accélération de ce mouvement qui poussait le plus faible à obtenir la protection d'un plus fort. De même la pratique de l' esclavage se perpétue au-delà des invasions, bien que le christianisme et les lois germaniques aient tenté de limiter l'arbitraire du maître et favorisé les affranchissements. Le commerce des esclaves demeure très fructueux au cours de toute la période mérovingienne. Le reste de la population est de condition libre, mais cette condition tend à se différencier. L'aristocratie gallo-romaine qui appuyait sa puissance sur une fortune foncière avait survécu à l'effondrement de l'Empire. Elle devait fournir aux rois mérovingiens les principaux dignitaires de l'administration et de l'Église. Elle entra ainsi en contact avec les grands d'origine germanique qui finirent par fusionner avec elle. Il se créa de ce fait une nouvelle aristocratie de fonction, qui remplaça l'ancienne classe sénatoriale. Les grands partageaient leur temps entre leur terre et la cour, où ils acquéraient la faveur du souverain qui se manifestait principalement par des largesses, singulièrement en terres du fisc. Leur puissance ne fit que s'accroître, profitant de la faiblesse du pouvoir royal, et la seconde moitié du viie siècle et le viiie siècle ont été remplis de leurs propres discordes.
Les cités n'avaient cependant pas disparu : à la suite des premières invasions, la plupart d'entre elles s'étaient protégées, à la fin du iiie et au début du ive siècle, en construisant une enceinte autour de ce que l'on a appelé le castrum, sorte de réduit fortifié qui comprenait principalement les locaux administratifs. En dehors de ce castrum s'étendait le suburbium où continuait à vivre la population. Néanmoins, les grands avaient déserté les cités pour mener une vie plus aisée dans leurs domaines. La ville continua à remplir un rôle important en tant que cadre de l'administration locale. D'ailleurs la plupart des villes gallo-romaines devinrent des comtés. Le fait que ces cités soient devenues des chefs-lieux de diocèse assura leur survivance au cours de ces périodes troublées, à tel point qu'on en vint à voir dans la ville la cité de l'évêque. De plus, souverains ou évêques manifestent le souci de renouer avec les traditions de l'urbanisme antique en y assurant la vie et les loisirs ; on remet en état les aqueducs, les égouts et les remparts, on rétablit les arènes et les thermes. À côté de ces travaux édilitaires, il faut également souligner la prodigieuse activité architecturale religieuse dont les deux premières générations de souverains mérovingiens furent responsables. Ce sont principalement les capitales (Paris, Soissons, Metz) qui en bénéficièrent : basiliques extra-muros ou cathédrales intra-muros.
Cependant, le processus déjà entamé sous le Bas-Empire se poursuit : l'essentiel de l'activité humaine a pour cadre le monde rural. Très tôt la terre est remise en valeur et redevient le moyen de subsistance essentiel. On procède même à d'importants défrichements et à une réoccupation des sols abandonnés. En outre, il avait fallu prévoir l'installation des Germains dans les domaines ruraux. Or, cette installation se fit d'une façon juridique : le système de l' hospitalitas permettait de leur céder des terres cultivées et incultes qu'ils étaient chargés de mettre en valeur. Cette vue qui ne peut être que schématique doit être nuancée suivant les régions et l'importance des groupements de Germains qui s'implantèrent. Il semble qu'à l'exception de quelques cas il n'y eut pas bouleversement du visage rural : les Germains s'insérèrent dans des cadres existants soit d'une façon juridique soit par la force ; seule la propriété changeait de main. Comme dans l'Antiquité, le grand domaine restait le mode de propriété et d'exploitation le plus commun et tendait à devenir une entité économique vivant entièrement sur elle-même. Ce domaine pouvait être mis en valeur soit par le faire-valoir direct qui exigeait un nombre considérable d'esclaves, soit par des tenanciers, attachés à une petite exploitation qui suffisait à leur subsistance : en échange, ils étaient astreints à des redevances et à des corvées. Si au début de l'époque mérovingienne le premier système qui remontait à l'Antiquité paraît être le plus général, le second s'implanta peu à peu en raison de la disparition de l'esclavage. Le tenancier entrait alors en possession d'une terre et implorait la protection du seigneur (precaria) ; celui-ci la lui accordait (patrocinium) en lui donnant les moyens de subsistance. En échange, le tenancier devait au seigneur un certain nombre de services. Ce système eut le double avantage de compenser la disparition de l'esclavage et de permettre au seigneur d'étendre l'exploitation à d'immenses domaines, en donnant au tenancier les moyens d'assurer la subsistance de sa famille et sa protection. Néanmoins, un grand nombre de bourgades (vici) placées sur des routes échappent à ce système et continuent à mener une vie indépendante.
Le cadre économique
L'installation des Barbares en Gaule n'a pas eu sur le plan économique les conséquences qu'on lui a trop souvent reconnues. La Gaule du ve siècle n'est plus celle du iie siècle et du début du iiie : les bouleversements sociaux (installation des lètes) et économiques en ont déjà profondément transformé l'aspect. Une lente détérioration se poursuit sous les Mérovingiens, mais elle se fait sans heurt, dans le domaine économique. On constate ainsi, à la suite de H. Pirenne, que le commerce méditerranéen d'échange entre l'Orient et l'Occident s'est prolongé durant tout le vie siècle, sans atteindre l'importance de l'époque précédente ; or ce commerce concernait non seulement les produits de luxe (tissus ou épices), mais des produits d'usage courant (papyrus). Néanmoins, cette activité échappait en grande partie aux Barbares, et ce sont des étrangers que l'on appelait communément des Syriens qui s'en chargeaient : ils sillonnaient la Méditerranée et avaient installé des colonies dans les principaux centres en relation avec ce commerce méditerranéen. L'importance de Marseille sur ce point est bien mise en lumière par l'acharnement des souverains mérovingiens à vouloir s'en emparer. Cependant, il n'est guère aisé de rendre compte du volume de ce trafic en l'absence de tout texte comptable.
Le déplacement vers le nord de l'axe politique à la suite des invasions barbares se retrouve au niveau commercial. On assiste en effet à une reprise intensive d'échanges entre la Gaule, l'Angleterre et l'Irlande. À l'est, la région mosane devient un centre d'échange essentiel. Dirigé à l'origine vers le sud, le commerce tend à s'orienter de plus en plus vers l'Angleterre et la Scandinavie. Le Rhin est toujours le trait d'union entre l'Italie et la Baltique. La ville de Verdun remplit un rôle économique très important. La découverte de trésors monétaires et leur analyse confirment que jusqu'au viie siècle la Gaule est traversée de courants commerciaux qui relient la Méditerranée, l'Atlantique, la Meuse, le Rhin et la Baltique. La décadence du commerce méditerranéen se fait très progressivement, et ce dernier est aussitôt relayé par un trafic septentrional de plus en plus intense. À la fin du viie siècle, le déplacement du centre de gravité de la Gaule vers le nord-est devient évident, ce qui explique le succès de l'Austrasie.
Dans le domaine industriel, les choses sont moins nettes. On a peut-être trop privilégié certains ateliers qui auraient exporté dans toute la Gaule leur produit, ainsi les ateliers des marbriers pyrénéens à qui l'on a accordé la paternité des chapiteaux et des sarcophages de marbre, trop libéralement datés du viie siècle. La critique moderne tend à discerner des ateliers locaux qui, durant des années, ont répété inlassablement les mêmes formules. Il en est de même dans le domaine de l' orfèvrerie qui devient une des branches d'activité les plus originales de l'artisanat. On tend sur ce point à déceler l'existence d'ateliers régionaux dont certains produisent de véritables chefs-d'œuvre (Paris : bijoux de la reine Arégonde). On note cependant, d'une façon générale, une décadence plus ou moins nette dans la facture de ces différentes productions (verrerie à Cologne). Il faut en excepter l'industrie du fer qui atteint une qualité peu commune : la production d'épées plaquées ou damasquinées démontre la perfection technique à laquelle les artisans barbares avaient su parvenir, et cela malgré l'obligation d'industrialisation.
La permanence économique du monde romain se reconnaît dans les routes et les voies navigables, dont l'axe resta le même jusqu'à la fin de l'époque carolingienne.
La vie religieuse et intellectuelle
Alors que s'effondre l'Empire romain, l'Église demeure le seul soutien des populations dont l'État n'est plus à même d'assurer la défense. Choisi par le clergé et par les habitants de la civitas, l' évêque est souvent recruté parmi les familles les plus riches et appartient à la condition laïque. Les souverains mérovingiens s'attribueront la nomination des évêques, mais, afin de faire de ceux-ci des fonctionnaires, continueront à les prendre parmi les puissants laïques, si bien que dans la seconde moitié du vie siècle on y voit des Germains. Le rôle de l'épiscopat est immense, car il a pris en charge les fonctions qu'assurait autrefois l'État : l'évêque doit veiller à la subsistance des faibles, fonder des hôpitaux et des hospices pour les recueillir, entretenir les écoles et très souvent rendre la justice. Son activité se tournait principalement vers le domaine pratique ; il échoue en grande partie dans son œuvre d'évangélisation des campagnes. Ce sont des moines irlandais d'abord, puis anglais, qui entreprirent cette œuvre. Le succès remporté dans ce domaine est un fait capital dans l'histoire mérovingienne. À la demande des populations, l'évêque fut amené à démembrer son diocèse en constituant dans les localités les plus importantes des succursales de l'Église épiscopale avec une église, une circonscription territoriale, un clergé et un patrimoine : ainsi fut constituée la paroisse qui devait rester à travers la Révolution la cellule organique de la société française.
L'épiscopat s'était montré particulièrement soumis au début de l'époque mérovingienne. Mais, conscient du rôle qu'il remplit, fort d'une richesse foncière peu commune, il manifesta une ambition politique dès la mort de Dagobert. Il fallut que Charles Martel effectuât une gigantesque confiscation des biens d'Église, à la fois pour assurer son pouvoir contre ces prélats trop ambitieux et pour financer sa politique de lutte contre l'Islam et le rétablissement de l'unité du Regnum.
Parallèlement à la décadence de l'administration, on assiste au lent abaissement du niveau culturel. Néanmoins, nombre d'écoles restèrent ouvertes, se contentant d'y maintenir des traditions qui n'ont plus de vie. Seul l'épiscopat réussit à conserver pendant un certain temps l'illusion de la culture latine. En même temps, bien que l'acte écrit ait conservé tout son prestige, l'écriture cède du terrain au cours du viie siècle. Pour réagir, les moines se mirent à copier les manuscrits afin d'en assurer la pérennité. Or ces monastères, plus particulièrement ceux du Nord, étaient en contact permanent avec les milieux monastiques anglais et irlandais, où s'élaborait une nouvelle culture, orientée essentiellement vers les préoccupations religieuses. C'est dans cette ambiance nouvelle que devait s'élaborer un renouveau : la renaissance carolingienne.
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Écrit par
- Alain ERLANDE-BRANDENBURG : conservateur général honoraire du Patrimoine
- Patrick PÉRIN : directeur du musée des Antiquités nationales, Saint-Germain-en-Laye
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