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MODERNITÉ

La modernité n'est ni un concept sociologique, ni un concept politique, ni proprement un concept historique. C'est un mode de civilisation caractéristique, qui s'oppose au mode de la tradition, c'est-à-dire à toutes les autres cultures antérieures ou traditionnelles : face à la diversité géographique et symbolique de celles-ci, la modernité s'impose comme une, homogène, irradiant mondialement à partir de l'Occident. Pourtant elle demeure une notion confuse, qui connote globalement toute une évolution historique et un changement de mentalité.

Inextricablement mythe et réalité, la modernité se spécifie dans tous les domaines : État moderne, technique moderne, musique et peinture modernes, mœurs et idées modernes – comme une sorte de catégorie générale et d'impératif culturel. Née de certains bouleversements profonds de l'organisation économique et sociale, elle s'accomplit au niveau des mœurs, du mode de vie et de la quotidienneté – jusque dans la figure caricaturale du modernisme. Mouvante dans ses formes, dans ses contenus, dans le temps et dans l'espace, elle n'est stable et irréversible que comme système de valeurs, comme mythe – et, dans cette acception, il faudrait l'écrire avec une majuscule : la Modernité. En cela, elle ressemble à la Tradition.

Comme elle n'est pas un concept d'analyse, il n'y a pas de lois de la modernité, il n'y a que des traits de la modernité. Il n'y a pas non plus de théorie, mais une logique de la modernité, et une idéologie. Morale canonique du changement, elle s'oppose à la morale canonique de la tradition, mais elle se garde tout autant du changement radical. C'est la « tradition du nouveau » (Harold Rosenberg). Liée à une crise historique et de structure, la modernité n'en est pourtant que le symptôme. Elle n'analyse pas cette crise, elle l'exprime de façon ambiguë, dans une fuite en avant continuelle. Elle joue comme idée-force et comme idéologie maîtresse, sublimant les contradictions de l'histoire dans les effets de civilisation. Elle fait de la crise une valeur, une morale contradictoire. Ainsi, en tant qu'idée où toute une civilisation se reconnaît, elle assume une fonction de régulation culturelle et rejoint par là subrepticement la tradition.

Genèse de la modernité

L'histoire de l'adjectif « moderne » est plus longue que celle de la « modernité ». Dans n'importe quel contexte culturel, l'« ancien » et le « moderne » alternent significativement. Mais il n'existe pas pour autant partout une « modernité », c'est-à-dire une structure historique et polémique de changement et de crise. Celle-ci n'est repérable qu'en Europe à partir du xvie siècle, et ne prend tout son sens qu'à partir du xixe siècle.

Les manuels scolaires font succéder les Temps modernes au Moyen Âge à la date de la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb (1492). L'invention de l'imprimerie, les découvertes de Galilée inaugurent l'humanisme moderne de la Renaissance. Sur le plan des arts, et singulièrement de la littérature, va se développer, pour culminer au xviie et au xviiie siècle, la querelle des Anciens et des Modernes. Les échos profonds du partage de la modernité se font aussi dans le domaine religieux : par l'événement de la Réforme (Luther affiche à Wittenberg ses quatre-vingt-quinze thèses contre les indulgences le 31 octobre 1517) et la rupture qu'elle inaugure pour les pays protestants, mais aussi par la répercussion sur le monde catholique (Concile de Trente, 1545-1549, 1551-1552, 1562-1563). L'Église catholique opère déjà une mise à jour, se fait, avec la Compagnie de Jésus, moderne, mondaine et missionnaire, ce qui explique peut-être que ce soit dans les pays qui ont gardé la tradition[...]

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Écrit par

  • : maître assistant de sociologie à l'université Paris-X-Nanterre
  • : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de lettres modernes, université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
  • : professeur en esthétique à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, critique d'art

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