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IMAGINAL MONDE

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Cette notion est une création conceptuelle due au philosophe français Henry Corbin, dont les travaux sont essentiels pour l'herméneutique comparée. Face à la défiance que la philosophie occidentale moderne a manifestée par rapport à l'imagination, le néologisme « imaginal » porte, au contraire, une exaltation philosophique de l'image. Cette exaltation ouvre à la connaissance symbolique de la réalité des archétypes.

En effet, pour la psychologie (ou, mieux, pour la psychosophie) islamique, l'imagination créatrice constitue la faculté centrale de l'âme. Pour cette tradition philosophique, l'imagination possède « sa fonction noétique et cognitive propre, c'est-à-dire qu'elle nous donne accès à une région et réalité de l'être qui sans elle nous reste fermée et interdite » (H. Corbin, Corps spirituel et Terre céleste). Cette puissance de l'âme ouvre l'être et le connaître à un monde suprasensible : ni le monde connu par les sens, ni celui connu par l'intellect, mais un troisième monde, un intermonde entre le sensible et l'intelligible. C'est ce que certains auteurs nomment le « monde de l'âme », et que la théosophie orientale nomme malakūt. La tradition platonicienne en islam distingue trois réalités : 'ālam 'aqlī ou monde intelligible ; 'ālam mithālī ou monde imaginal ; 'ālam hissī ou monde sensible. Cette distinction repose sur la reconnaissance de « formes » propres à chacune d'elles, hiérarchisées selon trois régions de l'être et du connaître : formes intelligibles, formes imaginales, formes sensibles. Entre l'apparence des formes sensibles et le transparaître des formes intelligibles, l'apparaître en tant qu'apparaître (ou « réalité apparitionnelle ») définit l'ontologie propre aux formes imaginales.

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L'imagination créatrice est donc irréductible à l'« imaginaire », terme qui connote fabulation, irréalité, fiction, quand ce n'est pas délire. « Il nous fallait absolument trouver un terme qui différenciât radicalement de l'imaginaire l'intermonde de l'imagination. [...] La langue latine est venue à notre secours, et l'expression mundus imaginalis est l'équivalent littéral de l'arabe 'alām al-mithāl, al-'alām al-mithālī, en français le « monde imaginal ». Par là est désigné non un monde d'images comme réalité dégradée, affaiblie, s'originant dans les données sensibles, ou bien encore réalité purement fabulée, mais une authentique source de connaissance. L'âme « rencontre » cette réalité imaginale par une perception imaginale, par une connaissance imaginale, par une conscience imaginale. « Faculté cognitive de plein droit », elle immatérialise les formes sensibles (elle les reconduit à la source de leur apparaître), et elle « imaginalise » les formes intelligibles ou archétypes (elle leur donne figure, dimension, rythme et visage). Bref, l'imaginal assure le passage réversible entre le sensible et l'intelligible. Il les réunit et les comprend dans une unité créationnelle. Sans ces formes imaginales, ni les formes intelligibles ni même les formes sensibles ne seraient connaissables.

Ce sont, pour reprendre une expression d'Henry Corbin, des « images métaphysiques ». Elles fondent la métaphysique. Ces images (épiphanies, angélophanies, théophanies) ne peuvent être reçues et perçues que par un organe spirituel. Accéder à cet intermonde exige de l'être humain une « attitude réceptive spirituelle ». Le recueillement et l'écoute de l'âme montrent que la réception imaginale est un acte. Cet organe spirituel nécessite en effet une discipline pour s'éveiller. Il ouvre l'âme à un nouveau monde de formes. Cette ouverture est à la fois bouleversement de l'ordre antérieur qui composait le connaissable et conversion à un monde de « vision imaginale » : « le premier et suprême miracle est l'irruption d'un autre monde dans notre connaissance, irruption qui déchire le réseau de nos catégories et de leurs nécessités, de nos évidences et de leurs normes ». Cet éveil des sens propres au « corps subtil » échappe à la connaissance commune. Le sensible est transmué, transfiguré. Toute chose apparaît dans une présence qui lui donne un « visage ». Il s'agit d'une authentique vision mais « autre », subtile, « déliée ». Selon Corbin, l'imagination « se rend visible à elle-même l'invisible du visible ». Elle opère une transmutation des éléments terrestres en éléments subtils. Avicenne, Sohrawardī, Ibn ‘Arabī, Mollā Sadrā Shīrāzī sont autant de philosophes, « témoins » de cette accession à la « terre des visions », dans la pure tradition pythagorico-platonicienne. Mais la pensée occidentale ne manque pas de témoignages sur la transmutation alchimique des éléments sensibles, réalisée par ce que Paracelse nomme l'Imaginatio vera : les platoniciens de Cambridge, Boehme, Schwenckfeld, Swedenborg...

L'accession à la « terre des visions » ou « terre céleste » s'accomplit par l'engendrement du « corps imaginal » (jīsm mithālī) ou corps-archétype. La discipline de l'imagination méditante, « en transmuant en symboles les processus ou événements sensibles, met elle-même en activité des énergies psychiques qui transmuent radicalement le rapport de l'âme et du corps ». Ce corps-archétype dépend de nos actes et des états intérieurs que ces actes « imagent ». Il est le corps spirituel de l'âme et la forme de son destin surnaturel. Il est le fondement imaginal de toute « métaphysique d'extase » (Corbin). Le monde imaginal est le lieu de la vision des prophètes et des mystiques, de la résurrection, des épopées et des quêtes initiatiques, des symboles et des rituels d'initiation, des liturgies et de tout processus de gnose. C'est le lieu du « chemin de l'âme » (G. Durand, P. Solié) et de toute phénoménologie de l'esprit (H. Corbin).

— Alain DELAUNAY

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