MONGO BETI ALEXANDRE BIYIDI-AWALA dit (1932-2001)
Mongo Beti fut une figure hors normes de la „renaissance africaine“ du xxe siècle : auteur d'une douzaine de romans qui composent une fresque épique et cocasse retraçant plus de cinquante ans de vie africaine ; professeur agrégé de lettres classiques depuis 1996 ; polémiste redoutable, aimant à se laisser porter par la passion ; analyste impitoyable, depuis son exil français, des réalités de son pays natal, le Cameroun ; animateur d'une revue tiers-mondiste, Peuples noirs, peuples africains, dont il maintint la ligne politique sans compromis ; fondateur après être rentré au pays en 1994, à l'heure de la retraite, de la librairie des Peuples noirs, vite devenue à Yaoundé un vivant foyer de résistance intellectuelle.
Alexandre Biyidi-Awala (c'est son nom d'état civil) est né le 30 juin 1932 à Akométam, non loin de M'Balmayo, petite ville du pays beti, au centre du Cameroun. Son expérience directe de la vie coloniale nourrit ses premiers textes, publiés sous le pseudonyme d'Eza Boto (c'est-à-dire « les gens d'autrui ») : une nouvelle, Sans haine et sans amour (1953) et un court roman, Ville cruelle (1953), deux analyses lucides de la situation coloniale. Dans les articles qu'il donne alors à la revue Présence africaine, le jeune écrivain précise sa conception de la littérature comme dévoilement des complexités et des contradictions de la réalité et comme instrument de déconstruction des stéréotypes colportés sur l'Afrique.
Ce projet se poursuit en 1956, avec Le Pauvre Christ de Bomba, signé du pseudonyme définitif, Mongo Beti – ce qui signifie « le fils des Beti ». Un ton romanesque original est trouvé, qui mêle humour, réalisme et picaresque. Le roman évoque les années 1930, époque où la colonisation n'est guère remise en cause. Le héros, Denis, cuisinier du Père Drumont, tient son journal pendant une tournée du missionnaire en brousse. Son regard ingénu fait éclater la contradiction entre le discours colonial convenu, l'image traditionnelle du missionnaire, et la réalité de la violence, ouverte ou latente, imposée aux corps et aux âmes des colonisés.
Mission terminée (1957) se situe vingt ans plus tard : un lycéen, qui vient d'échouer au baccalauréat, passe ses vacances au village et découvre les tensions qui opposent tradition et modernité. Le Roi miraculé (1958) raconte l'histoire burlesque d'un vieux chef que l'on baptise aux portes de la mort et qui est « miraculeusement » sauvé, mais qui n'a guère l'intention, une fois rétabli, de vivre chrétiennement car il répugne à renoncer à la polygamie. Le roman démonte les rouages du pouvoir, colonial ou traditionnel, et souligne les mutations à l'œuvre, qui laissent présager la prochaine décolonisation.
Après une décennie de silence, Mongo Beti publie en 1972 un pamphlet, Main basse sur le Cameroun, très solidement documenté et présenté comme l'« autopsie d'une décolonisation ». Il s'attire les foudres du ministre français de l'Intérieur qui interdit l'ouvrage. L'écrivain fait alors passer la documentation rassemblée dans une trilogie romanesque foisonnante et baroque (Remember Ruben, 1974 ; Perpétue et l'habitude du malheur, 1974 ; La Ruine presque cocasse d'un polichinelle, 1979). L'œuvre s'est continuée avec des romans picaresques (Les Deux Mères de Guillaume Ismaël Dzewatama, futur camionneur, 1983 ; La revanche de Guillaume Ismaël Dzewatama, 1984 ; L'Histoire du fou, 1994), des essais dans la veine pamphlétaire (Lettre ouverte aux Camerounais, 1986 ; Dictionnaire de la négritude, 1989 ; La France contre l'Afrique, retour au Cameroun, 1993), puis des « polars » aussi tumultueux que l'Afrique d'aujourd'hui (Trop de soleil tue l'amour, 1999 ; Branle-bas en noir et blanc[...]
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Écrit par
- Jean-Louis JOUBERT : professeur à l'université de Paris-XIII
Classification
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