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MUSÉES DE SOCIÉTÉ

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Genre plus qu'espèce, famille plutôt que genre, les musées dits « de société » sont apparus au cours des années 1990 dans la terminologie culturelle. Sous le titre Musées et sociétés, le colloque organisé en juin 1991 à Mulhouse-Ungersheim consacra leur entrée sur la scène muséographique. Les musées de société ne se veulent alors ni de nouveaux musées ni les conservatoires de ce qui serait un nouveau patrimoine. Ils désignent l'ensemble de ce qui s'intitule en France écomusées, musées d'Arts et Traditions populaires, musées d'Ethnographie, d'Histoire, d'Industrie ou musées de plein air.

Plus que centenaires pour certains (Musée breton, Quimper) ou encore inconnus, ces lieux, d'importance et d'âge très divers, composent un panorama infiniment varié de la mémoire collective. Tous sont caractérisés en effet par la volonté de conserver, d'étudier, de valoriser et de présenter des collections d'objets ou de documents évoquant l'évolution de l'homme dans sa société.

Un antimusée ?

Dans l'élan de 1991, celui de l'écomusée d'Ungersheim et d'une politique culturelle à volonté sociale, l'expression musée de société a permis de surmonter des frontières d'école et de mettre l'accent sur une démarche commune. Seules deux catégories restent d'emblée hors champ : les musées de Beaux-Arts, où les choix s'opèrent sur des critères esthétiques ou historiques, et ceux de Sciences, qui parlent de la nature, non de l'homme, dans le langage de différentes disciplines : biologie, zoologie, paléontologie, géologie.

La synthèse qu'entendent incarner les musées de société n'est donc pas si large, ni la politique culturelle aussi consensuelle qu'on était fondé à le croire à la fin des années 1980. Répondant en 1992 à la question « Qu'est-ce qu'un musée des Arts et Traditions populaires ? », Claude Lévi-Strauss tint à distinguer celui-ci des nouveaux venus : ici, la priorité est accordée aux photographies ou aux textes, les objets servent d'illustration. Le musée de société est d'abord un atelier de réflexion levant des problématiques à partir desquelles sont élaborées des expositions. On retrouve donc en partie l'idée d'un « musée social » selon Lévi-Strauss et du rôle qu'il se proposait de lui donner : apprendre à mieux se situer dans la société où l'on vit. Pour Lévi-Strauss, enfin, les musées d'Art et de Traditions populaires sont, ou devraient être, aussi des musées d'Art, même si les objets y prennent, outre leur valeur esthétique, une signification de documents. Ils ne sont donc pas seulement musées de société : le champ de ces derniers en est réduit d'autant.

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Lié ou non au devenir des musées d'Ethnographie, celui des musées de société reste en effet soumis à une double contrainte, qui règle en France la vie de ces institutions et demeure aussi prégnante qu'à l'époque (juin 1991) où Jean Cuisenier en faisait l'analyse. La première, la décentralisation, suscite partout des équipements localisés, par rapport à la tradition des musées de Beaux-Arts, de manière disparate : en pleine campagne (Cuzals), en site industriel (Mulhouse, le puits Couriot à Saint-Étienne), en milieu portuaire (Concarneau, Dunkerque). Un fossé demeure donc, en particulier pour la formation d'agents compétents, entre la logique des musées de société et celle, dominante, des musées de Beaux-Arts.

La seconde est liée au succès même des musées de société. L'ouverture d'un marché de l'art populaire, comme de tout type d'objet ou de document, mobilise de plus en plus souvent associations ou particuliers qui entendent soustraire tel ou tel vestige au circuit économique, les sauvegarder sur place (une grue ancienne faisant partie du paysage, un haut-fourneau éteint, voire une correspondance de guerre) ou les présenter dans des locaux publics. Mais de la mairie annexe aux combles du musée, le pas est vite franchi. C'est par centaines que des associations mobilisent des moyens pour sauver ce qu'elles tiennent pour un patrimoine. Et par centaines que leurs responsables se tournent vers les collectivités, et celles-ci à leur tour vers l'État. Cette demande est si générale, si pressante, que pour l'opinion le débat est tranché : tout ce que peut donner à voir un musée de société relève d'un patrimoine (dit parfois ethnologique) que nous ont légué les générations antérieures avec le devoir de le transmettre, et pour cela de le conserver. On tient à ce patrimoine, même plus qu'à tout, parce qu'on peut se le réapproprier, alors que l'autre, formé de tableaux, de marbres antiques, de cathédrales et de châteaux (celui dont s'occupe principalement l'État), demeure à jamais lointain. Ce dernier critère joue même au sein des musées de société : tel marteau-pilon est sauvé de la casse parce qu'une population ouvrière se reconnaît en lui ; telle grue implantée à Saint-Nazaire au cours des années 1930 ne peut l'être faute d'une identification aussi large.

Il y a donc une contradiction entre la logique des musées de société et celle d'instances de légitimation (ministère de la Culture, Direction des musées de France) pour lesquelles les beaux-arts restent le modèle. L'aide publique ou la simple reconnaissance que constitue le droit d'être contrôlé par l'État sont logiquement subordonnées au respect de critères qu'une faible part seulement des musées de société est en mesure de respecter : existence d'une collection réglementairement gérée, inaliénable, conservée dans des conditions satisfaisantes et accessible au public. Les critères corollaires : mise en œuvre d'un projet scientifique et culturel, travail de recherche sur la collection, présence d'une équipe interdisciplinaire compétente et d'abord d'un conservateur... opèrent un tri plus sévère encore. En renforçant les dispositions visant à protéger le patrimoine, la législation des musées risque d'autant moins d'assouplir ces critères que les moyens d'intervention de l'État, sinon ceux des collectivités territoriales, pourraient plafonner ou décroître dans les années à venir. Bien des musées de société, la majorité peut-être, ne deviendront donc pas « musées de France ».

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Écrit par

  • : professeur agrégé de philosophie, ancien chargé de mission à la Direction des Musées de France

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