NATION L'idée de nation
L'Académie française, en 1694, définit la nation comme l'ensemble des habitants d'un même État, d'un même pays, vivant sous les mêmes lois et utilisant le même langage.
Au xixe siècle, on ne se contente plus d'une définition et on cherche à expliquer la formation des nations. En Angleterre, Disraeli écrit que les nations ont été « créées graduellement sous des influences diverses, celles de leur organisation originelle, du climat, du sol, de la religion, des lois, des coutumes, des manières, des événements, accidents et incidents extraordinaires de leur histoire et du caractère particulier de leurs citoyens illustres » (The Spirit of Wigghism, 1836). En France, Renan met en lumière les divers éléments de cohésion de la nation : la race, la langue, l'affinité religieuse, la géographie, les intérêts économiques, les nécessités militaires ; mais il ajoute aussitôt qu'ils ne suffisent pas à créer une nation, dont le fondement est essentiellement d'ordre intellectuel et affectif : « Une nation est une âme, un principe spirituel [...], c'est l'aboutissement d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements ; avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent, avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple » (Qu'est-ce qu'une nation ?, 1882).
Peut-on s'étonner que Disraeli et Renan, chacun de son côté, aient donné les premières définitions rationnelles de la nation lorsqu'on sait que la France et l'Angleterre sont les plus anciennes nations d'Europe, qui se sont formées en s'opposant l'une à l'autre ? Sans nul doute, et Renan l'affirme avec juste raison, une nation peut exister « sans principe dynamique » ; mais comment ne pas reconnaître l'influence décisive qu'a eue, en France comme en Angleterre, un pouvoir monarchique dont les intérêts propres coïncidaient avec les besoins des sujets ? L' unité nationale n'était sans doute pas le premier objectif de ces monarques, mais ils ont vite compris qu'elle contribuerait à asseoir leur autorité, et c'est ce qui explique qu'ailleurs, que ce soit en Allemagne, en Espagne ou en Italie, le morcellement politique ait longtemps empêché un peuple de former une nation.
Si on s'interroge naturellement sur la date d'apparition de la nation, la réponse est malaisée. On est frappé, dès l'abord, par les opinions contradictoires des historiens : alors que certains, comme Marc Bloch, pensent pouvoir discerner le sentiment national en France dès le Moyen Âge, le plus grand nombre – et notamment Renan, Hazard ou Lestocquoy – ne croient pas à l'existence d'une véritable nation avant le xviiie siècle ou même la révolution de 1789.
Ces divergences surprenantes peuvent s'expliquer par un désaccord dans l'analyse des « manifestations » de la nation, et il semble, en réalité, que l'on puisse distinguer, au cours des siècles, trois étapes : l'apparition de l'idée de nation, la diffusion du sentiment national et l'organisation de la nation. Un tel processus, dont l'histoire de la France permet de préciser le développement, peut, sans nul doute, être transposé aux autres peuples d'Europe, et notamment à la nation anglaise, avec seulement les écarts chronologiques qu'explique l'histoire politique de chaque peuple.
Apparition de l'idée de nation
La nation, communauté ethnique
Pendant tout le Moyen Âge, le mot « nation » a un sens très précis, conforme à l'étymologie (nascere) qu'a rappelée Isidore de Séville au viie siècle : c'est un groupe d'hommes qui ont ou à qui on attribue une origine commune.
Cette communauté ethnique a une importance considérable[...]
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Écrit par
- Georges BURDEAU : professeur à la faculté de droit et des sciences économiques de Paris
- Pierre-Clément TIMBAL : professeur à la faculté de droit et des sciences économiques de Paris
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