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LORAUX NICOLE (1943-2003)

Helléniste, directrice de recherche à l'E.H.E.S.S., Nicole Loraux a profondément renouvelé les études grecques. Sa thèse de doctorat d'État, Athènes imaginaire. Histoire de l'oraison funèbre athénienne et de sa fonction dans la cité classique soutenue en 1977, poursuivait des voies ouvertes par le Centre de recherches comparées sur les sociétés anciennes, fondé en 1964 par Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet. À travers les oraisons funèbres, Nicole Loraux analysait l'imaginaire de la citoyenneté, tout en ouvrant les textes sur leurs dehors. Elle défaisait ainsi certaines interprétations convenues de l'histoire et de l'anthropologie, sur le statut du « politico-religieux » dans la cité, et proposait une nouvelle topographie de l'espace civique.

« Lire des mythes dans leur ancrage civique » en postulant que « le mythe est toujours déjà dans la cité » : tel est le propos des Enfants d'Athéna. Le mythe athénien de l'autochtonie révèle que la pratique politique ne connaît pas de citoyennes. Cette « exclusion incluse » des femmes, épouses et mères de citoyens mais non-citoyennes elles-mêmes, signifiait, sous le patronage d'Athéna, le déni de leur maternité. Occasion pour Nicole Loraux de récuser les arguments que les fervents de la Terre-Mère croyaient pouvoir tirer de ce mythe. Ses démonstrations coupent court aux invocations d'archétypes imaginaires de la fécondité, ainsi qu'à l'hypothèse d'un matriarcat archaïque, ressassée depuis Bachofen (Das Mutterrecht, 1861). L'évocation du matriarcat est fantasme, opération textuelle et politique.

Les discours, mythiques ou laïcs, mettent ainsi la question de la différence des sexes au cœur des dispositifs d'ordre de la citoyenneté. En même temps, ils indiquent la méthode, car ils sont tissés de censures, d'oublis, de refoulements, de démentis et de dénis. À partir des Enfants d'Athéna, Nicole Loraux utilisera de manière de plus en plus explicite les ressources de la psychanalyse – le Freud du Moïse et Lacan – pour prendre les Grecs aux mots de leur langue, et saisir « la longue durée du travail sur le signifiant ». S'appuyant sur Claude Lévi-Strauss, pour qui les Grecs avaient eux-mêmes commenté leurs mythes, et le détournant, elle multiplie les rapports entre les différents niveaux d'énonciation et les registres textuels – politique, épique, tragique, philosophique – pour en restituer l'épaisseur sémantique, et ce qui s'en trahit, car, dit-elle, « l'imaginaire s'embarrasse plus du réel qu'il n'y paraît ».

À la suite de Clémence Ramnoux, « passeuse » lacanienne, Nicole Loraux met l'accent sur un fait récurrent de la pensée grecque : la négativité est posée en premier, pour être à nouveau niée, négativité de la Colère, de l'Oubli. Pour « repolitiser » la cité, il faut donc faire retour sur un troisième déni, celui du caractère principiel du conflit. Stasis est le mot grec qui dit et la déchirure de la guerre civile et la position : la division qui fait lien. La stasis s'inscrit dans la cité par des jeux de mémoire et d'oubli : il faut poser que « la cité pense ». Nicole Loraux étudiera particulièrement l'amnistie de 403 à Athènes (après la tyrannie des Trente), comme « oubli du non-oubli », et ses effets : politique hétérogène, loin de toute vision irénique, et jamais sans reste. La cité oublieuse n'en finit pas avec le deuil, et l'opérateur du féminin, là encore, suit les points de fracture, dans la réglementation très différenciée du deuil des mères par exemple. Mais l'espace du deuil est le théâtre, entre l'Acropole et l'Agora. Nicole Loraux, dans ses traductions d'Hécube (et de L'Orestie) s'efforcera de donner la profondeur[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-VIII
  • : agrégée de philosophie, directeur de programme au Collège international de philosophie

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