KAZANTZAKI NIKOS (1883-1957)
Grâce à sa force de travail prodigieuse, Níkos Kazantzáki put accomplir, pendant les cinquante ans de sa vie littéraire, une œuvre immense : poèmes, tragédies, récits de voyages, essais philosophiques, romans, traductions. « D'abord Crétois et ensuite Grec », ce représentant du nihilisme européen, disciple de Nietzsche, n'a cessé de confronter une problématique individuelle et d'ordre métaphysique aux multiples visages d'une mythologie asiatique d'un paganisme primitif, presque barbare.
Voyageur infatigable, il ne se détache pas pour autant de la Crète, centre spirituel de son univers. Ses cinq volumineux romans lui ont assuré, après la Seconde Guerre mondiale, une audience internationale. Mode passagère due aux possibilités inépuisables d'un folklore exporté ? Réponse vitale, par le replâtrage ou la vulgarisation d'une philosophie passée, aux problèmes concrets de l'après-guerre ? On ne sait. Au moins pour l'instant, Kazantzáki s'impose par les dimensions de son œuvre – et de son angoisse.
Un nihiliste
« Où allons-nous ? Est-ce que nous vaincrons ? Pourquoi toute cette lutte ? Ne pose pas de questions ! Bats-toi ! » Ainsi à peu près, parlait Zarathoustra ; on reconnaît facilement la voix du nihiliste nietzschéen. Mais cette voix, allant de pair avec un nationalisme intransigeant, était la dominante dans la Grèce de la première décennie du xxe siècle. Kazantzáki ne faisait qu'écouter son cœur, son milieu et son temps.
Il était né à Héraclion, en Crète ; son enfance fut marquée par les insurrections crétoises (1889, 1897-1899) qui obligèrent sa famille à se réfugier au Pirée ou à Naxos. Un demi-siècle plus tard, il évoque les luttes de son île dans La liberté ou la mort dont son père Michalis, petit commerçant et propriétaire, est le redoutable héros. Étudiant en droit à Athènes, Kazantzáki débuta dans les lettres avec une œuvre dramatique. Deux ans plus tard, en 1908, il suit les cours d'Henri Bergson au collège de France, terminant sa thèse sur Nietzsche (1909). C'était un choix décisif. Dans le « prologue » d'Alexis Zorbas, il nomme ceux qui demeurèrent ses maîtres jusqu'à sa vieillesse : Homère, Nietzsche, Bergson et Zorbas. Il est vrai que d'autres divinités vinrent s'ajouter à son panthéon : le Christ et Bouddha, les grands personnages historiques et littéraires, même Lénine et Trotski. Kazantzáki n'adorait que la grandeur, les vastes horizons de l'histoire, les sommets des montagnes, les individus à pas de géant. « Je n'aime pas l'homme, j'aime la flamme qui le brûle ! » D'où ses crises messianiques, ses ambitions frôlant parfois la mégalomanie. Le 16 octobre 1915, il écrit dans son Journal : « Je lis une biographie de Tolstoï. Son élévation m'émeut toujours ; la littérature ne lui suffit pas. Besoin de religion. Je dois partir d'où Tolstoï aboutit. »
Certes, créer une religion n'implique pas forcément la mort des dieux, surtout quand il s'agit pour l'homme de conserver « la flamme qui le brûle ». Dans l'Ascèse (Ἀσκητική, Berlin, 1922-1923), ouvrage philosophique, la démarche de Kazantzáki paraît au moins différente : le sous-titre « Salvatores Dei » (devenu dans la traduction allemande « Rettet Gott » = sauvez le Dieu) est significatif. C'est l'appel d'un visionnaire gravissant les marches (christianisme, bouddhisme, communisme) de son calvaire. Au bout, le silence. L'auteur présente son ouvrage comme fruit de discussions avec des marxistes. En réalité, on a du mal à distinguer, sous le délire d'un langage zarathoustrien, les traces de la pensée dialectique.
Doit-on voir par la suite chez Kazantzáki la création littéraire comme la conséquence d'un échec ? En 1914, toujours à propos de Tolstoï,[...]
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Écrit par
- Panayotis MOULLAS : professeur de littérature néo-hellénique à l'université de Salonique
Classification
Média