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MICHEAUX OSCAR (1884-1951)

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Oscar Micheaux est le seul cinéaste indépendant afro-américain à avoir pu développer une œuvre sur trente ans. Entre 1919 et 1948, il tourne et produit quarante films dont vingt-sept muets. Self-made-man et admirateur du penseur réformiste noir Booker T. Washington qui prône l'émancipation de son peuple par le travail et l'accès au savoir, Micheaux sera une des figures cardinales du Harlem Renaissance des années 1920, premier « courant » intellectuel noir américain à donner naissance à des artistes qui atteignent la notoriété internationale : le poète Langston Hughes, la romancière Nella Larsen, le musicien Duke Ellington, le comédien Charles Gilpin...

Né dans l'Illinois, en 1884, de parents qui furent tous deux esclaves, Oscar Micheaux exerce divers métiers (cireur de chaussures, ouvrier agricole...) avant d'acheter une ferme dans le Dakota du Sud. En 1913, il publie son premier roman, The Conquest, histoire d'un colon noir qui s'éprend d'une femme blanche, sujet tabou à l'époque. En 1917, il retravaille la fin de son récit et y ajoute le thème du pasteur noir hypocrite dont le héros épouse la fille en désespoir de cause. Intitulé The Homesteader, le livre connaît un certain succès.

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En 1918, Micheaux est contacté par un représentant de la Lincoln Motion Picture Company, la plus respectée des maisons de production afro-américaines, décidée à lui acheter les droits de son roman. Mais devant ses exigences, les négociations tournent court. Avec l'aide de son frère Swan, Micheaux crée alors, dans l'Iowa, la Micheaux Book and Film Company, qui lui permet de réaliser lui-même The Homesteader. Il émigre ensuite à Chicago et s'établit durablement à Harlem. Le film sort en 1919 et, comme presque toutes les œuvres du cinéaste, provoque des polémiques : la mise en cause de la religion, l'attirance d'un homme de couleur pour une Blanche déplaisent aux deux communautés. Cette saga en partie autobiographique hantera Micheaux toute sa vie. Il en donne encore deux variations à l'écran : The Exile (1931), son premier film parlant, et The Betrayal (1948), son dernier long-métrage.

<em>Within our Gates</em>, O.Micheaux - crédits : Micheaux Book & Film Company/ BBQ_DFY/ Aurimage

Within our Gates, O.Micheaux

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Le cinéma indépendant noir américain, apparu dans les années 1910, en réponse au film de Griffith Naissance d'une nation(1915), chef-d'œuvre du cinéma mais aussi pamphlet violemment raciste, n'avait donné, avant l'arrivée de Micheaux, que de petits mélodrames ou des comédies dénués de réel point de vue. Micheaux, lui, va présenter, certainement pour la première fois sur un écran, une vision des années 1920 typiquement afro-américaine. Il aborde le problème du lynchage dès son deuxième film Within our Gates (1920), celui des femmes battues dans The Brute (1921), de la lutte contre le Ku Klux Klan (The Symbol of the Unconquered, 1921), la perfidie des religieux dans Body and Soul (1925, premier rôle de Paul Robeson). Within our Gates et Birthright (1924) montrent des Noirs éduqués qui retournent dans le Sud pour porter le savoir mais se heurtent à l'hypocrisie.

En 1928, Micheaux est contraint de déposer le bilan : l'arrivée du parlant, l'intégration par Hollywood de thèmes « noirs » dans ses fictions s'avèrent fatales au mouvement cinématographique afro-américain indépendant. Mais l'année suivante, le pugnace producteur fonde, avec des partenaires blancs, la Micheaux Film Corporation. Le style et les thèmes changent partiellement. Ils se rapprochent des films de genre (le policier principalement) et dépeignent un univers urbain avec ses gangsters, ses chanteurs, ses femmes émancipées : Ten Minutes to Live (1932), Harlem after Midnight (1935), Temptation (1936), Underworld (1937)... La musique y joue un rôle prépondérant, une musique authentique qui n'a pas subi les retouches de Broadway. En 1938, revenant à ses préoccupations des débuts, le cinéaste tourne God's Stepchildren, portrait dramatique d'une Noire au teint de lys qui s'efforce de vivre comme une Blanche avant de se suicider. Ce film, le plus connu de Micheaux, sera vertement critiqué par les radicaux de tout bord avant de devenir une œuvre clé du cinéma afro-américain. Micheaux ne tournera plus que quatre films jusqu'à sa mort, dont deux remakes : Birthright (1939) et The Betrayal (1948).

Comme pour tous les pionniers, et surtout les représentants de minorités culturellement et socialement opprimées, l'œuvre de Micheaux fut incomprise et difficilement accessible. On stigmatisa son réformisme : les héros positifs héritent d'une peau claire, tandis que les traîtres et gangsters ont un teint d'ébène ; la culture, l'éducation doivent, selon lui, permettre de briser les tabous raciaux, ce qui semblait insuffisant aux radicaux de l'époque, et surtout à ceux des années 1960. Les cinéphiles et les critiques, qui commencent à voir ses films à partir des années 1970, lui reprochent son manque apparent de souci esthétique, oubliant que les moyens d'un indépendant noir étaient alors très limités. Néanmoins cette manière « brute », sans fioritures, d'aborder pour la première fois le quotidien des Noirs américains, influencera des cinéastes comme Charles Burnett (Killer of Sheep, 1977). Enfin, comme Warhol et sa Factory – dans la sphère de l'underground, autre anti-establishment – qui singent et vénèrent en même temps Hollywood en créant des superstars ou des antistars, Micheaux donne lui aussi à des acteurs la possibilité de tenir des rôles que l'industrie du film ne leur aurait jamais accordés. Lorenzo Tucker deviendra le « Valentino noir » et Ethel Moses la « Jean Harlow sépia ».

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Ce n'est qu'en 1984, pour le centenaire de sa naissance, que l'historienne Pearl Bowser réévalue l'apport de Micheaux dans la naissance d'une culture spécifiquement afro-américaine, suivie par Mark A. Reid (Redefining Black Film, Univ. of California Press, 1993) et bien d'autres.

— Raphaël BASSAN

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<em>Within our Gates</em>, O.Micheaux - crédits : Micheaux Book & Film Company/ BBQ_DFY/ Aurimage

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    En règle générale, même si on note alors la présence de films comme Within our Gates, d’Oscar Micheaux (1920), qui évoque le thème du lynchage, la production de cette époque demeure timide.

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