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STERN PHILIPPE (1895-1979)

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Après avoir commencé à se préparer à une carrière philosophique et à la composition musicale, Philippe Stern se consacra à l'étude des arts asiatiques, plus particulièrement de l'art indien et de l'art khmer. Attaché au musée Guimet en 1921, conservateur du Musée indochinois du Trocadéro en 1925, conservateur au musée Guimet en 1930, il continua à s'intéresser aux musiques exotiques et populaires, comme en témoignent divers articles, et accomplit en ce domaine une œuvre de précurseur. Il contribua à créer une nouvelle collection musicale : « La bibliothèque musicale du musée de la Parole et du musée Guimet ». En 1931, il organisait, avec Mme Humbert-Sauvageot, des enregistrements de chants d'Afrique et d'Asie du Sud-Est à l'Exposition coloniale de 1931 : 178 disques furent ainsi enregistrés.

À partir de 1920, le musée Guimet, grâce à la collaboration de Joseph Hackin, de René Grousset et de Philippe Stern, devenait le premier musée parisien à opérer une sélection des œuvres exposées pour aboutir à une présentation claire et harmonieuse des pièces les plus importantes. Il devenait également, par sa bibliothèque, sa section musicale, ses archives photographiques, les éditions d'étude et de vulgarisation, les cycles de conférences organisés, l'enseignement donné par ses conservateurs, un institut orientaliste de premier plan. Philippe Stern a considérablement amélioré, sinon créé, une méthode qu'il appelait « méthode d'évolution des motifs » et qui se proposait, « de faire surgir l'évolution d'un art, d'un style ou d'un thème par la confrontation synchronique du développement d'un assez grand nombre de motifs décoratifs spécialement choisis dans ce but ». Il enseigna pendant une trentaine d'années à l'École du Louvre et sut grouper autour de lui des étudiants et de jeunes chercheurs dont il encourageait et dirigeait les travaux.

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Déjà, dans un premier livre qui était sa thèse à l'École pratique des hautes études, en 1927, il avait démontré que la chronologie de l'art khmer alors admise était erronée, en raison de la date attribuée faussement au Bayon par suite de l'interprétation hâtive d'une inscription. La méthode de Philippe Stern s'est associée aux découvertes de l'épigraphie et de l'observation aérienne. Elle a permis à sa collaboratrice Gilberte de Coral-Rémusat de publier en 1940 un résumé de l'ensemble des résultats obtenus sous forme d'un tableau de l'évolution de l'art khmer des origines au début du xiiie siècle.

Entre-temps, l'application de cette même méthode avait permis à Philippe Stern de soupçonner l'existence d'un style khmer jusque-là représenté par un seul linteau et une seule colonnette. La confirmation vint d'une campagne de fouilles effectuée en 1936 sur le plateau du Kulēn, à peu de distance d'Angkor : en cinq semaines passées sur le terrain furent retrouvés seize temples, fournissant ainsi un maillon manquant dans l'enchaînement si logique des styles khmers.

Par la suite, la même méthode fut appliquée par Philippe Stern à l'art du Champa (sur le territoire de l'actuel Vietnam central), au style si riche du Bayon sous le règne du grand roi bouddhiste Jayavarman VII, aux sites d'Ajantā et d'Ellorā dans l'Inde, et, en collaboration avec son élève Mireille Benisti, au style indien d'Amrāvatī. Tout en déployant, comme conservateur de musée, comme chercheur, comme professeur et directeur de laboratoire, une activité aussi riche, Philippe Stern, restait surtout préoccupé par la nature et le rôle de la beauté en art comme dans le paysage. Ainsi mûrit lentement au cours d'une existence une œuvre esthétique à laquelle il s'est ensuite entièrement consacré dans une studieuse retraite.

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Sa démarche oscille entre ces deux extrêmes que sont l'esthétique philosophique et l'étude approfondie et intime de l'œuvre d'art, sans être jamais tout à fait ni l'une ni l'autre, et, à ces deux aspects de l'œuvre, répondent deux styles différents et deux livres complémentaires qu'il a presque terminés.

Le premier, c'est Beauté-clef qu'un lecteur superficiel pourrait considérer comme un ouvrage classique d'esthétique. Son originalité est de faire appel constamment à l'expérience directe, au « profondément éprouvé ». Le second versant de l'œuvre, Touches d'atteinte, se présente comme un recueil d'études consacrées chacune à un aspect du paysage ou de l'art dans ce qu'il offre de plus beau : « Peintre de l'ambiance et du temps qui coule : Vermeer » ; « Gravité, compassion et calme bouddhique : Ajantā » ; « Douleur, compassion, Passion du Christ : Van der Weyden » « Flexibilité fluide, souple et dépouillée : Gabriel Fauré » ; « Villes et villages adhérant au sol » ; « Ces eaux tranquilles » ; « Vibration des tons calmes », etc.

Historien d'art de formation philosophique, amant passionné du beau, Philippe Stern a été partagé, d'une part, entre le désir de faire taire l'intellect en présence du beau afin de ne gêner en rien l'émotion profondément ressentie éveillée par la présence de l'œuvre d'art ou du paysage ; et, d'autre part, le désir de comprendre. Cette antinomie s'est trouvée résolue le jour où il en a fait une méthode : se référer exclusivement à la réalité « profondément éprouvée » en se refusant à édifier de propos délibéré un système logique cohérent ; s'efforcer, cependant, en partant du directement ressenti, de comprendre et d'exprimer le sens de l'émotion esthétique et les révélations qu'elle apporte.

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La découverte essentielle est sans doute celle-ci : il n'y a pas de beauté en art sans « contraires unis », c'est-à-dire sans coexistence à l'intérieur d'une même œuvre de tendances qui, au regard de l'intellect, apparaissent antithétiques, les œuvres les plus belles étant celles qui réunissent en elles un grand nombre de tendances contraires. On pense bien sûr à Hegel. Nous en sommes en fait très loin, car il ne s'agit pas ici de juxtapositions conceptuelles à la manière hégélienne, mais de contraires réunis d'une manière intime et qui ne sont séparés que pour l'intellect. En fait, dans l'œuvre d'art, ces contraires en fusion ne sont pas encore dissociés. Autrement dit, la beauté éclate quand ce qui est intellectuellement séparé ne forme qu'une unité profondément éprouvée.

— Jean NAUDOU

[oelig ]uvres de philippe stern

Le Bayon d'Angkor et l'évolution de l'art khmer. Étude et discussion de la chronologie des monuments khmers, Annales du musée Guimet, Bibliothèque de vulgarisation, t. XLVII, Paris, 1927 ; L'Inde antique et la civilisation indienne, avec P. Masson-Oursel et H. de William-Grabowska, Bibliothèque de synthèse historique, Paris, 1933 ; « Le Style du Kulên (décor architectural et statuaire) », in B.E.F.E.O., t. XXXVIII, fasc. I, Paris, 1938 ; « L'Art de l'Inde », « L'Expansion indienne vers l'est : la route maritime », « L'Art tibétain », in Histoire universelle des arts, Louis Réau dir., Paris, 1939 ; L'Art du Champa (ancien Annam) et son évolution, Toulouse, 1942 ; « Diversité et rythme des fondations royales khmères », in B.E.F.E.O., t. XLIX, fasc. II, Paris, 1954 ; « La Vierge de Torcello : hiératisme et résonances », in La Table ronde, no 142, Paris, oct. 1959 ; Évolution du style indien d'Amarāvatī, avec Mireille Bénisti, publications du musée Guimet, Paris, 1961 ; « Aspects plastiques de l'ancien théâtre indien et peintures murales d'Ajantā (influences réciproques) », in Les Théâtres d'Asie, études réunies par Jean Jacquot, Paris, 1961 ; Les Monuments khmers du style du Bayon et Jayavarman VII, publications du musée Guimet, Paris, 1965 ; Colonnes indiennes d'Ajantā et d'Ellorā. Évolution et répercussions. Styles gupta et post-gupta, publications du musée Guimet, Paris, 1972 ; « La Vie d'un motif : la colonnette khmère », in Au service d'une biologie de l'art. Recherches sur les arts de l'Inde et de l'Asie du Sud-Est, Lille, 1978.

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