PHILIPPINES
Nom officiel | République des Philippines |
Chef de l'État et du gouvernement | Ferdinand Marcos Jr., dit Bongbong Marcos - depuis le 30 juin 2022 |
Capitale | Manille (Certains bureaux du gouvernement et certains ministères se trouvent à Quezón City ou dans d'autres zones de l'agglomération de Manille.) |
Langue officielle | Tagalog (Aussi appelé filipino.) , Anglais |
Population |
114 891 199 habitants
(2023) |
Superficie |
300 000 km²
|
Article modifié le
La colonisation américaine (1898-1946)
Les Américains entrent tardivement dans le club fermé des puissances colonisatrices. En apparence, c'est presque fortuitement que les États-Unis prennent possession de l'archipel philippin. En réalité, l'annexion de 1898 célébrée par les milieux d'affaires consacre aussi un expansionnisme de plusieurs décennies. Pour maintenir à distance des Anglais toujours entreprenants, le président Monroe avait déclaré en 1823 que les Européens ne devaient intervenir en aucune manière sur le continent américain. Ce que l'on a appelé dès lors la « doctrine de Monroe » prend un sens particulier à partir de la guerre de Sécession. L'Espagne redevient menaçante dans les Caraïbes alors que la jeune nation américaine convoite Cuba. Au-delà de l'établissement de ce qui deviendra par la suite la sphère d'influence directe des États-Unis, l'espace Pacifique devient à son tour un enjeu géopolitique. Après l'achat de l'Alaska à la Russie en 1867, les États-Unis entrent en compétition avec l'Allemagne et l'Angleterre pour le contrôle des îles Samoa en 1888. Leurs ambitions déçues favorisent l'élaboration d'une politique de construction navale qui leur permet de dominer le Pacifique avant la guerre contre l'Espagne à la fin de la décennie 1890. La crise couvait entre les deux pays avant le déclenchement des hostilités le 25 avril 1898. Les Espagnols sont facilement défaits à Cuba et aux Philippines. Le 12 août, un protocole de paix est signé, précédant la rédaction du traité de Paris par lequel l'Espagne renonce à Cuba, à Porto Rico, aux autres îles antillaises, à Guam et aux Philippines. Si l'essentiel pour les Américains était d'assurer leur mainmise sur Cuba, ils héritent toutefois des reliefs de l'empire espagnol au sud de la mer de Chine.
Dans cette confrontation mettant aux prises un empire déclinant et une puissance montant vers son zénith, les Américains n'ont jamais tenu compte des populations locales. Que des indigènes puissent réclamer leur indépendance leur semble incongru. Pourtant, le 12 juin 1898, le général Aguinaldo a proclamé la première République philippine. Cet événement est sans effet sur les nouveaux maîtres du pays. Le climat se dégrade entre l'armée d'occupation et les révolutionnaires qui pensaient avoir trouvé des alliés pour se libérer de la tutelle espagnole. Le 4 février 1899, une sentinelle américaine tue un soldat philippin provoquant une guerre de « pacification » qui dure jusqu'en 1901-1902. Les révolutionnaires d'Aguinaldo ont l'avantage du terrain mais le Congrès américain décide d'acheminer des renforts dès le mois de mars 1899. L'armée philippine subit une série de revers et est obligée de gagner la montagne. La bataille de Pasong Tirad du 2 décembre 1900 met fin aux espoirs de la jeune république. Aguinaldo est fait prisonnier par les Américains et appelle ses compatriotes à reconnaître la souveraineté américaine le 19 avril 1901. Il faut encore plus d'une année pour réduire les dernières poches de résistance dans le sud de l'archipel. Cette guerre a été oubliée dans la mémoire tant philippine qu'américaine jusqu'à la fin des années 1960. Comme toute guerre, elle a charrié son cortège d'horreurs, d'exécutions sommaires, de tortures, de massacres que le nouveau colonisateur préféra oublier pour mettre en place son propre système de gouvernement.
Que faire des Philippines ?
Rien ne préparait les Américains, eux-mêmes sous tutelle anglaise avant 1776, à revêtir les habits du colonisateur. D'ailleurs, ils répugnent à parler des Philippines comme de leur colonie, préférant des euphémismes comme « territoires associés » où l'administration coloniale se confond avec les « affaires insulaires ». Pour éviter des critiques qui commencent à fuser dans les cercles anti-impérialistes, le président William McKinley souhaite établir dès 1899 un régime qui, s'il n'en est pas moins colonial par nature, est assurément le plus libéral du monde colonial. Au sommet de l'édifice, le Gouverneur général dispose d'un pouvoir équivalent à ses homologues européens, c'est-à-dire bien supérieur à celui d'un gouverneur d'un État de l'Union. Au-dessous, la Commission philippine est la plus haute instance législative ; elle comprend en 1901 trois Philippins (pour quatre Américains). L'appareil colonial repose dès l'origine sur des départements, comme le Bureau de la fonction publique, dirigés par des Américains mais avec un personnel philippin. Pour marquer la différence avec les Espagnols, les Américains établissent un système d'éducation élémentaire et secondaire laïque et gratuit. Avant même l'installation d'un gouvernement civil, les soldats faisaient la classe ; ceux-ci furent néanmoins rapidement remplacés par de véritables professionnels venant de métropole. Une force de police est établie en 1901. La Philippine Constabulary remplace la Guardia Civil et expérimente des techniques de maintien de l'ordre qui seront introduites par la suite en métropole.
Ce jeune État colonial se distingue des autres systèmes car il souhaite associer les élites locales à l'exercice du pouvoir. Les Américains affirment qu'ils se retireront et que, en conséquence, ils doivent préparer l'archipel à l'autonomie. En 1907, une assemblée est élue. Quatre-vingts délégués représentent les trente-quatre provinces. Vu de l'extérieur, les États-Unis tiennent le rôle d'éducateur des peuples à la démocratie, rôle qu'ils aiment à jouer. Pourtant, l'héritage de la société coloniale espagnole, doublé de la perspective d'une indépendance proche, stimule les rivalités politiciennes. L'élite philippine, auparavant formée dans les universités espagnoles et, dès le début du xxe siècle, dans les meilleures universités américaines, rivalise d'intrigues. Le colonisateur n'en est pas dupe et l'utilise à son profit. Plutôt que de compter sur les anciennes générations, il facilite la carrière d'hommes nouveaux qui ont à peine trente ans, comme Sergio Osmena et Manuel Quezon. Ces deux jeunes ambitieux dominent dès lors la vie politique philippine jusqu'à la Seconde Guerre mondiale.
Sergio Osmena est né en 1878 dans une riche famille de métis chinois à Cebu City, capitale des Visayas. Brillant journaliste et avocat, il ne tarde pas à être remarqué par les Américains. Dès 1904, il est nommé gouverneur provincial de Cebu par intérim et se fait élire à cette même fonction deux ans plus tard. Fort de cet immense prestige, le Cebuano préside la Convention des gouverneurs provinciaux en octobre 1906. L'année suivante, il est élu à la présidence du nouveau Parti nationaliste (Partido nacionalista) et de la première législature philippine inaugurée le 16 octobre 1907. Dans son sillage, Manuel Quezon, lui aussi né en 1878, apparaît comme son éternel rival. Quezon est originaire de Tayabas dans le sud de Luçon. Il vient de la classe moyenne, encore en gestation dans l'archipel. Doté d'un tempérament fougueux, l'ancien révolutionnaire de l'armée d'Aguinaldo ne fait pas l'unanimité auprès des Américains et se trouve ainsi cantonné aux seconds rôles. Bien qu'élu gouverneur provincial de Tayabas en 1906, il doit se contenter de la fonction modeste de président du groupe nacionalista à la Chambre l'année suivante. Comble de malchance pour Quezon, William Howard Taft, qui a mis en place l'armature coloniale et pris sous son aile Osmena, est élu à la Maison-Blanche en 1909.
Si Osmena et Quezon forment un couple d'interlocuteurs crédibles auprès du colonisateur, ils demeurent d'irréductibles adversaires politiques. En effet, sous le vernis lisse de l'administration coloniale, les deux hommes se livrent une lutte impitoyable pour s'imposer comme le seul leader nationaliste au moment du retrait américain. Ayant conscience que le rapport de force n'est pas à son avantage, Quezon fait le pari de partir à Washington en 1909 comme commissaire résident, fonction aux contours flous dont le but est de représenter ses compatriotes devant le Congrès. Quezon réside dans la capitale fédérale jusqu'en 1916. Il y devient un parfait lobbyiste et s'initie avec succès aux arcanes du jeu politique américain. Fort d'un puissant réseau de relations, il devient incontournable sur les affaires coloniales. Les démocrates, au pouvoir en 1913, avaient promis, lors de la campagne électorale, de reconsidérer la politique coloniale américaine. Quezon, porté par cette nouvelle vague démocrate, fait passer une loi, la loi Jones de 1916, qui, d'une part, reconnaît que les Philippines accéderont à l'indépendance quand la colonie sera dotée d'un « gouvernement stable » et, d'autre part, met en place un Sénat dont il assume immédiatement la présidence. De retour dans l'archipel, il se place sur un pied d'égalité avec Osmena, président de la Chambre basse.
La compétition entre les deux hommes dure pendant plus de vingt ans. Les hasards de la politique américaine conjugués aux effets de la crise de 1929 retardent une indépendance que d'aucuns savent inéluctable. Avec méthode et patience, Quezon s'emploie à saper le pouvoir de son rival. En 1925, il prend la direction du Parti nationaliste, essentiel pour contrôler la clientèle des patrons locaux. Mais, alors que Quezon a la victoire à portée de main, il est frappé d'une tuberculose qu'il néglige de soigner. On pense que l'homme fort des Philippines ne se remettra pas de cette maladie. Même affaibli, il fait montre d'un talent de politicien hors du commun. Bien que handicapé par des séjours de longue durée dans un sanatorium californien, Quezon réussit à éliminer Osmena à la faveur du débat sur une proposition de loi de 1932 présentée par les députés Hare, Hawes et Cutting (Hare-Hawes-Cutting Bill ou H.H.C. Bill). Ce texte, sorte d'étape transitoire entre l'administration directe et l'indépendance, est défendu par Osmena et Roxas (un brillant protégé de Quezon qui est passé dans le camp d'Osmena) alors que Quezon s'y oppose. La proposition de loi est votée par le Congrès américain ; il faut qu'elle le soit par son homologue philippin pour qu'elle entre en vigueur. Le 12 octobre 1933, la législature philippine, rejette le texte, consacrant la défaite d'Osmena. Franklin D. Roosevelt, le nouveau président démocrate, soutient Quezon et fait passer, le 2 mars 1934, une autre loi (Tydings-McDuffie Law, en réalité très proche de la précédente), qui établit un Commonwealth de dix ans au terme duquel la colonie deviendra indépendante.
Le Commonwealth de Quezon, le changement dans la continuité
La mise en place de ce Commonwealth se fait tout au long de l'année 1935. En janvier-février, une convention constitutionnelle travaille sur les nouvelles institutions. Le 17 septembre, Quezon est élu président pour six ans et, le 15 novembre, le Commonwealth philippin est inauguré en grande pompe sous les auspices de la puissance de tutelle. Le nouveau régime s'inscrit plus dans la continuité que dans la rupture par rapport à la période coloniale.
Quezon forme un gouvernement de consensus dans la grande tradition philippine. Il tend la main à son adversaire d'hier pour lui accorder la vice-présidence. Osmena rejoint donc les autres hommes politiques majeurs qui détiennent tous un portefeuille. La démocratie moderne articulée autour d'une majorité et d'une opposition entre en contradiction avec la tradition philippine et, au-delà, avec la conception malaise de la chose publique. Le bipartisme n'a pas pu s'imposer car les hommes politiques, les politicos, répugnent à s'affronter dans un débat sur le modèle occidental, préférant s'entendre sur des solutions négociées. C'est d'ailleurs pour cette raison que, jusqu'en 1946, un seul parti, le Parti nationaliste, compte véritablement dans la vie politique. En outre, les nouvelles institutions sont un paravent de la réalité politique de l'archipel, véritable fédération de féodalités locales. Dans les provinces, les patrons détiennent tous les leviers de commande du pouvoir – politiques et économiques – comme c'était déjà le cas sous la colonisation espagnole. Dans la mesure où les représentants des grandes familles (une centaine tout au plus) restent maîtres chez eux, ils consentent à soutenir le nouveau régime, comme le précédent ; le lointain gouvernement central pèse de peu de poids face aux caciques locaux.
La société philippine n'a guère évolué au xxe siècle. Les quinze millions de Philippins d'avant guerre (la guerre du Pacifique) se répartissent en différents groupes ethniques sans véritables dénominateurs communs, si ce n'est une organisation économique similaire. L' agriculture demeure la première activité économique. Les trois quarts de la population tirent leurs moyens de subsistance de la terre. L'essentiel de la production céréalière (principalement du riz) est autoconsommé. D'importants progrès ont été faits sous la colonisation américaine ; si le pays n'est toujours pas autosuffisant, il n'importe plus que 10 % des besoins alimentaires (plus du double à la fin de la colonisation espagnole) sous le Commonwealth. Les cultures de rapport sont l'apanage des grandes familles. La noix de coco (dont le coprah, issu de la chair sèche pouvant être transformée en huile), l'abaca, le sucre et le tabac, couvrent un tiers de surfaces cultivées. Ces cultures commerciales génèrent des profits considérables. Le sucre et le tabac sont dépendants du marché américain sur lequel ils entrent sans être taxés. Les Philippines ne sont donc pas, à proprement parler, une économie coloniale fonctionnant au profit exclusif de la métropole, car si des hommes d'affaires américains ont pu réaliser des profits dans le commerce ou l'industrie naissante, les grandes familles locales demeurent les principales bénéficiaires de la colonisation.
Quezon, le premier président, a bien essayé d'impulser des réformes économiques sur le modèle du New Deal de Roosevelt dans son programme de Justice sociale, bien que sa marge de manœuvre fût limitée. Faire entrer le pays dans l'ère de la modernité et de l'équité impliquait la refonte des patronages provinciaux. D'ailleurs, le cas échéant, Quezon n'aurait pu faire face à une fronde des politicos qui se seraient ralliés comme un seul homme sous la bannière d'Osmena. La seule issue possible était de laisser faire en province et de tenir ses adversaires d'une main de fer à Manille. En théorie, les Américains ont gardé un droit de regard sur les affaires intérieures par le truchement d'un haut-commissaire. Mais Quezon n'est pas homme à partager le pouvoir. Les dignitaires américains ne peuvent que s'indigner car ils n'ont aucune prise sur un personnage auquel ils reprochent une dérive autoritaire du régime.
Quezon, autocrate ou homme de la situation ?
La Constitution limite les pouvoirs du président grâce à une Chambre unique qui lui fait contrepoids. Quezon s'ingénie à museler le pouvoir législatif. Ses hommes siégeant sur les bancs de l'Assemblée ne font pas un travail de législateur, car tous les textes de loi sont préparés par Malacanan (le palais présidentiel). En 1937, le système Quezon est à son apogée ; le président se sent même suffisamment fort pour demander aux États-Unis de hâter l'indépendance complète prévue pour 1945. Puisque le mandat du président est de six ans, l'approche d'une nouvelle échéance aiguise les appétits ; de surcroît, l'état de santé de Quezon ne s'est guère amélioré et celui-ci répète à l'envi qu'il ne se représentera pas. Pourtant le locataire de Malacanan n'entend pas laisser sa place et manœuvre habilement pour changer la Constitution en 1939 : la durée du mandat présidentiel est réduite à quatre ans avec possibilité de réélection alors qu'un Sénat, limitant le pouvoir de la Chambre unique, est mis en place. Le président sortant peut donc envisager sereinement d'attendre la prochaine élection de 1941 en nommant des hommes à lui à la Chambre haute.
Les hauts-commissaires américains ne se lassent pas de dénoncer cette dérive autoritaire. Roosevelt fait la sourde oreille car, depuis l'été de 1937, le contexte international a changé. La guerre sino-japonaise amplifie les menaces d'une invasion nippone. Dès 1935, Quezon s'attache les services du général MacArthur qui avait déjà eu l'occasion de servir à trois reprises dans l'archipel, dont la dernière en qualité de commandant général des Philippines. Retraité de l'armée américaine, MacArthur prépare la défense du pays en équipant notamment une armée nationale en 1937-1938. Cependant, en 1940, la situation devient tragique pour les Philippines, victime désignée des convoitises japonaises, d'autant que l'état-major américain s'est déterminé sur une stratégie défensive en arrière du 180e méridien (des îles Midway à la Nouvelle-Zélande) dont le centre névralgique est Pearl Harbor. Le 15 juillet, l'état d'urgence est déclaré. Le président est autorisé par Roosevelt à prendre toutes les mesures pour assurer la sécurité du pays ; il dispose d'une entière liberté dans les domaines économiques et financiers pour faire face aux impératifs de défense. Quezon est sur le point de remercier MacArthur, quand, le 27 juillet 1941, Marshall, alors chef de l'état-major américain, et le président Roosevelt rappellent MacArthur en service actif et lui confient le commandement des Forces armées américaines en Extrême-Orient.
Alors qu'on sait que la guerre est inévitable, au mois de novembre, Quezon est brillamment réélu à la présidence ; un raz-de-marée nationaliste déferle sur l'Assemblée et sur le nouveau Sénat. Sa victoire est totale pour ne pas dire absolue. Elle dure moins d'un mois car, le 7 décembre 1941, les Philippines sont précipitées dans la guerre du Pacifique après l'attaque de Pearl Harbor.
L'occupation japonaise
Les bases philippines intégrées aux forces américaines sont bombardées le 8 décembre 1941, quelques heures après Pearl Harbor. Les troupes japonaises débarquent le 10 sur Luçon. Manille est déclarée ville ouverte le 26 décembre. Quezon s'est retiré deux jours auparavant dans la forteresse de Corregidor dans le nord-ouest du pays, d'où il part en sous-marin le 20 février 1942 pour Washington, via l'Australie. Le 13 mai, il assume la présidence du gouvernement philippin en exil jusqu'à sa mort, le 1er août 1944. Après le départ du président, les combats se poursuivent jusqu'à la chute de Bataan, le 9 avril. Le général Jonathan Wainwright, retranché à Corregidor et auquel MacArthur avait confié le commandement avant son départ pour l'Australie, capitule le 6 mai. Il a fallu moins de six mois pour que les Japonais prennent possession des Philippines – que MacArthur avait déclarées inexpugnables avant le déclenchement des hostilités. Toutefois, les soldats qui ont pu échapper aux Japonais se regroupent pour former une guérilla que l'occupant n'a jamais réussi à éradiquer. La principale composante de cette résistance armée se confond avec la Hukbong Bayan Laban sa Hapon (l'Armée du peuple antijaponaise). Les Huks, comme on les appelle plus communément, arrivent à soustraire aux Japonais des « zones libérées » dans plusieurs provinces montagneuses du nord de Manille. Comme les grands propriétaires ont fui l'arrivée des Japonais, les terres sont exploitées par les communautés paysannes.
En 1943, les Japonais octroient l'indépendance aux Philippines et mettent en place une deuxième république au nom de la solidarité entre les peuples asiatiques contre l'impérialisme américain. Ce gouvernement de collaboration, présidé par José Laurel, brillant juriste formé à Yale et proche du président en exil, rallie tous les nationalistes déçus par l'attitude américaine ; le sentiment que les États-Unis avaient sacrifié les Philippines s'était largement répandu avant l'invasion de décembre 1941. Mais le ressentiment antijaponais est bien supérieur. La brutalité de l'occupation rend impossible l'établissement d'une « sphère de coprospérité de la grande Asie orientale », selon les termes de l'occupant. Les Japonais considèrent les Philippins comme racialement inférieurs, à l'instar des Chinois ou des Coréens. Les massacres de civils, de prisonniers de guerre, la réduction de femmes en esclavage sexuel pour l'armée (les comfortwomen) traumatisent durablement la population.
Après la bataille de Midway des 3-7 juin 1942, les troupes américaines reprennent l'offensive dans le Pacifique. L'aviation alliée bombarde les objectifs militaires japonais sur l'archipel pendant l'été 1944. MacArthur, qui avait juré qu'il reviendrait avant de s'embarquer pour l'Australie, tient sa promesse. Le 20 octobre, les Américains débarquent dans la province de Leyte, au sud-est de Luçon. La reconquête du territoire passe par Mindoro, avant que les troupes ne débarquent dans le golfe de Lingayen pour remonter sur Manille. Répétition générale de la reconquête de l'espace Pacifique, la prise de la capitale pose un enjeu stratégique majeur. Le général Yamashita, commandant en chef des troupes japonaises aux Philippines, envisage de stopper l'avancée américaine en arrière de Manille en s'appuyant sur les contreforts de la cordillère. Or, l'amiral Iwabuchi, commandant la place, profite de la confusion pour refuser d'obtempérer, contraignant MacArthur à utiliser la puissance de feu de la marine et de l'aviation. Les Japonais sont décidés à se battre jusqu'au dernier en se servant de la population comme bouclier humain. La ville vit un mois de cauchemar avant sa libération. Du 3 février jusqu'à la prise de la ville le 3 mars 1945, on estime que cent mille civils ont été tués (sur une population d'un million d'habitants), ainsi que seize mille soldats japonais et un millier d'Américains. Manille détient le triste record d'avoir été la ville la plus détruite en Asie (la seconde dans le monde après Varsovie).
Le rétablissement du Commonwealth
Alors que les combats continuent dans le sud de la capitale, le général MacArthur préside à Malacanan la cérémonie rétablissant officiellement le Commonwealth. Sergio Osmena en assume déjà la présidence depuis la mort de Quezon. Le pays est ravagé ; le nombre de victimes s'élève au total à 1 112 000. La capitale, où se concentraient tous les leviers de commande du commerce et de l'industrie, est détruite à 80 %. Le tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient, qui se tient à Tōkyō de mai 1946 à novembre 1948, n'apporte pas la réconciliation escomptée. Dans l'archipel se pose aussi la question de punir les collaborateurs. Osmena souhaite que des sanctions soient prises à leur encontre alors que Roxas, son principal adversaire, freine des quatre fers. Une cour populaire est organisée pour juger 6 203 dossiers. Mais, au sein de la classe politique, personne n'a véritablement envie d'entamer cette procédure, d'autant que le gouvernement n'a ni les moyens matériels ni les moyens en hommes pour instruire ces dossiers. L'idée que l'amnistie sera prononcée après la déclaration d'indépendance invite les politicos à effectuer des manœuvres dilatoires. Le 7 février 1947, trois ministres qui ont servi sous les Japonais sont acquittés. Le général MacArthur pèse aussi de toute son influence pour que des hommes avec lesquels il a fait de fructueuses affaires avant guerre, en particulier Roxas, échappent aux sanctions. Celui-ci, devenu président de la République, proclame l'amnistie le 28 janvier 1948, qui sera entérinée par l'Assemblée le 13 février.
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Écrit par
- Philippe DEVILLERS : docteur ès lettres (histoire), historien, professeur (relations internationales)
- Manuelle FRANCK : professeur des Universités, Institut national des langues et civilisations orientales
- William GUÉRAICHE : professeur associé, American University, Dubaï, Émirats arabes unis
- Lucila V. HOSILLOS
:
assistant professor , université des Philippines, Cubao - Jean-Louis VESLOT : diplômé de l'École nationale des langues orientales vivantes
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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PHILIPPINES, chronologie contemporaine
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Voir aussi
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- BONIFACIO ANDRÈS (1863-1897)
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