WALDECK-ROUSSEAU PIERRE MARIE RENÉ (1846-1904)
L'une des figures les plus prestigieuses et les plus représentatives du personnel politique de la IIIe République, Waldeck-Rousseau a laissé le souvenir d'un très grand homme d'État. Pourtant, l'un de ses biographes, Pierre Sorlin, juge cette réputation surfaite et souligne le contraste entre ce que fut réellement Waldeck-Rousseau et ce qu'il a représenté. La physionomie de cet homme d'État, calme, froid et dédaigneux, tranche singulièrement sur celle de ses contemporains. Né à Nantes dans un milieu de petite bourgeoisie républicaine, il s'oriente d'abord vers une carrière juridique, qui lui permet de devenir, à Rennes d'abord, puis à Paris, un excellent juriste et un grand avocat d'affaires. Cette remarquable réussite sociale lui ouvre les rangs de la grande bourgeoisie, et peut-être même a-t-il porté plus d'intérêt à son activité professionnelle qu'à la politique, pour laquelle il ne paraît avoir éprouvé que dégoût et mépris. Rien ne le prédisposait à jouer un grand rôle au Parlement, où son itinéraire politique apparaît sinueux et parfois déconcertant. Député de Rennes de 1879 à 1889, il figure alors parmi les républicains opportunistes, et il est ainsi ministre de l'Intérieur de Gambetta (1882) puis de Jules Ferry (1883-1885). À ce titre, il donne son nom à la loi de 1884 autorisant la formation des syndicats, bien qu'il n'ait pas participé à son élaboration. Mais il semble s'écarter de la vie publique en 1889, et, s'il devient sénateur de la Loire en 1894, il a évolué vers la droite en apportant son soutien à Méline avant de revenir à gauche en 1899. Compte tenu de ses volte-face, Waldeck-Rousseau est assurément un homme du centre et un modéré. Mais il entre dans l'histoire, le 22 juin 1899, lorsqu'il prend la tête du gouvernement de Défense et d'Action républicaine qu'il sait diriger de façon autoritaire et qui sera le plus long ministère de la IIIe République. Après avoir liquidé, avec l'aide de Galliffet et de Millerand, les séquelles de l'affaire Dreyfus et mis fin à l'agitation nationaliste, il entreprend de donner aux congrégations le statut qui ne leur était pas reconnu par le Concordat. Légiste fidèle à la tradition de Gambetta, Waldeck-Rousseau ne souhaite pas détruire les congrégations, pas plus qu'il ne désire la séparation des Églises et de l'État ; il se propose seulement d'enlever l'enseignement aux Jésuites et de surveiller les ordres religieux en vertu de la loi sur les associations de juillet 1901, dont la portée est aggravée par les radicaux. Après avoir fait la loi, Waldeck-Rousseau, malade, désabusé, s'aperçoit que les élections de 1902 ont amené à la Chambre une majorité qui le déborde sur sa gauche, et il démissionne le 9 juin 1902 après avoir désigné Combes pour lui succéder. Il meurt deux ans plus tard. S'il n'y a pas de « mystère Waldeck-Rousseau », un brouillard n'en continue pas moins à entourer la psychologie et l'action d'un homme d'État qui a professé, à un degré rarement atteint, le détachement à l'égard des hommes et des choses.
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Écrit par
- Henri LERNER : agrégé de l'Université, maître assistant à l'université de Paris-XII
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Média
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