PRAGMATISME
Le pragmatisme est certainement le mouvement philosophique le plus mal connu, non parce qu'on n'en sait rien, mais parce qu'on s'en est fait, une fois pour toutes, une idée fausse qui avait pour elle la vraisemblance et la caution du plus célèbre des pragmatistes américains, James : le pragmatisme serait une philosophie d'hommes d'action pour laquelle tout ce qui est vrai est utile et tout ce qui est utile est vrai. On comprendra donc d'autant mieux le pragmatisme qu'on saura ce qu'il n'est pas. Avec Peirce, qui en énonça le principe, avec James et Dewey, ce mouvement américain, injustement critiqué par les Européens comme soutien d'une économie et d'une culture déterminées, est en fait une philosophie de la science, dont la rationalité substitue au doute de type cartésien les questions concrètes du savant et qui fonde par là une théorie expérimentale de la signification. Il se présente aussi comme une philosophie de la démocratie, faisant des méthodes de mise à l'épreuve et de vérification qui caractérisent l'esprit de laboratoire le modèle même de la tâche politique.
Les pragmatistes
Le mouvement pragmatiste est né et s'est développé en Amérique du Nord à la fin du xixe siècle et au début du xxe. L'idée en est venue à Charles S. Peirce (1839-1914) entre 1865 et 1872. Il l'exposa à quelques amis, parmi lesquels se trouvait James, au cours de réunions d'un « Club métaphysique » qui avait ses assises à Cambridge, dans le Massachusetts. Il la rendit publique dans un article intitulé « Comment rendre nos idées claires », qu'il écrivit en français pour la Revue philosophique et qui parut en janvier 1879. Peirce y énonce le principe du pragmatisme : « Considérer quels sont les effets pratiques que nous pensons pouvoir être produits par l'objet de notre conception. La conception de tous ces effets est la conception complète de l'objet. » William James (1842-1910) appliqua d'abord ce principe à la religion et à la philosophie, en 1898, avant de le transformer en théorie de la vérité, en 1906, au cours de conférences qu'il publia l'année suivante dans le livre qui devait donner naissance au mouvement : Le Pragmatisme. Dès 1896, John Dewey (1859-1952) élaborait de son côté à Chicago une théorie instrumentaliste de l'idée qu'il fit connaître en 1903 dans un ouvrage collectif de ce qu'on appela l'école de Chicago : Studies in Logical Theory. Après la publication du livre de James, quelques philosophes et écrivains européens se rallièrent au pragmatisme tel que James le concevait : l'Anglais Ferdinand C. S. Schiller (1881-1937), les Italiens Giovanni Papini (1881-1956) et Giuseppe Prezzolini (1882-1982). D'autres philosophes, tous logiciens, se réclamèrent de Peirce : l'Anglais F. P. Ramsay (1903-1930) et les Italiens Giovanni Vailati (1863-1909) et Mario Calderoni (1879-1914).
Le pragmatisme américain étant, comme il apparaîtra, l'expression d'une méthode plus qu'un corps de doctrines, les pragmatistes ne sont pas que des théoriciens. Peirce est un astronome réputé ; pionnier de la logique moderne, il a attaché son nom à la logique des relations et à la logique des « graphes existentiels » ; sa théorie des catégories en fait le précurseur de la phénoménologie et sa théorie des signes, le père de la sémiotique. James est non seulement un brillant conférencier et un grand épistolier, il est aussi le premier grand psychologue moderne ; instigateur du néo-réalisme, il soutint un « empirisme radical » qu'il prit toujours bien soin de distinguer du pragmatisme. Dewey, psychologue, logicien, théoricien d'une philosophie humaniste naturaliste, est le père de la pédagogie moderne et fut pendant près d'un demi-siècle le porte-parole de la pensée libérale en Amérique.[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Gérard DELEDALLE : professeur émérite de philosophie à l'université de Perpignan, secrétaire général de l'Association internationale de sémiotique
Classification
Autres références
-
BRADLEY FRANCIS HERBERT (1846-1924)
- Écrit par Jean WAHL
- 3 616 mots
On trouve dans les Essays on Truth and Reality toute une polémique, dirigée, d'une part, contre James, d'autre part, contre Russell ; ni lepragmatisme ni l' empirisme radical ne peuvent contenter Bradley. Il montre les ambiguïtés du pragmatisme. Si l'on parle d'expérience immédiate, que fait-on... -
BRANDOM ROBERT (1950- )
- Écrit par Jean-Pierre COMETTI
- 367 mots
Philosophe américain, professeur à l'université de Pittsburgh, Robert Brandom est l'un des représentants les plus significatifs des voies dans lesquelles la philosophie pragmatiste s'est engagée après le « tournant linguistique », dans le contexte actuel des discussions en ...
-
COMETTI JEAN-PIERRE (1944-2016)
- Écrit par Jacques MORIZOT
- 900 mots
Né à Marseille le 22 mai 1944, fils d’émigrés italiens, Jean-Pierre Cometti a d’abord été un guitariste de jazz. Il entreprend assez tardivement des études de philosophie, avant d’enseigner dans des lycées, en France, notamment à Millau, et surtout à l’étranger, au Maroc, en Allemagne et...
-
DEWEY JOHN (1859-1952)
- Écrit par Jean-Pierre COMETTI
- 1 902 mots
La vie et l'œuvre de John Dewey sont étroitement liées à l'histoire intellectuelle, sociale et politique américaine de la première moitié du xxe siècle. Auteur d'une œuvre immense, par ses idées, ses initiatives et ses engagements, Dewey, né le 20 octobre 1859 à Burlington, a joué...
- Afficher les 25 références