PRESTIDIGITATION & ILLUSIONNISME
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Les illusionnistes ont été sans nul doute parmi les tout premiers rationalistes. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, ils sont les adversaires déclarés de la magie, celle qui prétend user de lois antinaturelles, surnaturelles. Tout ce que le prestidigitateur accomplit dépend de lui seul. « Il est le seul acteur, le seul artiste qui, secrètement sans doute, mais de façon essentielle, fasse reposer au maximum l'exercice de son talent sur les découvertes de la science » (Jehangir Shahpurji Bhownagary, « L'illusionnisme ou magie blanche », in Jeux et Sports, Encyclopédie de la Pléiade, 1967). À chaque grande époque de progrès correspond donc une période de technique de prestidigitation.
On se bornera ici à indiquer quelques-unes des qualités que requiert la pratique de l'illusionnisme, cela après en avoir marqué quelques jalons historiques. Les trucages optiques, hydrauliques et acoustiques des prêtres de l'ancienne Égypte étaient destinés à provoquer des apparitions, à faire saigner des pierres, à faire parler des oracles ; ces trucages étaient donc au service de la religion et du pouvoir. La Grèce et Rome connurent bien avant l'ère chrétienne le jeu des gobelets, les avaleurs de sabres, les ventriloques, les mangeurs de feu. Trois prestidigitateurs grecs eurent même droit à une statue (Théodore, Euclide et Xénophon). Le tour des gobelets, dans lequel l'escamot (du vieux français qui signifiait balle de liège : d'où le nom d'escamoteur) passe d'un gobelet à l'autre, se multiplie ou disparaît totalement, est encore l'une des manipulations fondamentales de l'apprenti prestidigitateur ; quand il est bien fait, même devant un public de professionnels, personne ne voit comment cela se passe (même si l'on sait comment cela se fait). Tout est ici affaire de dextérité, donc d'entraînement. Après les jongleurs du Moyen Âge apparaît aux xve et xvie siècles le prestigior. C'est d'ailleurs par l'altération fantaisiste de ce terme que Jules de Rovère, en 1815, créa le néologisme de « presti-digita-teur », qui évoque des doigts prestigieux. En ce qui concerne l'histoire de l'illusionnisme en Orient, les écrits sont nombreux : ceux d'Apollonius de Tyane qui décrit les lévitations des brahmanes ; ceux de Marco Polo, du moine Odoric, de sir John Mandeville et d'Ibn Baṭṭūṭa (témoignages qui, tous trois, datent du xive siècle) ; ceux, plus récents, de nombreux voyageurs. Il semble que tous les tours fantastiques, ou présumés tels, des fakirs ou des charmeurs de serpent puissent être expliqués par la prestidigitation. On pense même qu'un des prodiges qui enflammèrent le plus l'imagination, le tour du manguier qui pousse à vue d'œil, a été antérieur à la passe des gobelets.
Sans plus s'étendre sur cet aspect historique, on retiendra cependant le nom d'un Français : Jean Robert-Houdin (1805-1871). Cet horloger de profession éleva l'illusionnisme à la dignité d'un art de salon (on connaît ses séances célèbres à la cour de Louis-Philippe et de la reine Victoria, et ses interventions magiques en Kabylie, qui lui furent expressément demandées par le bureau politique français d'Alger, dans le but de mystifier les indigènes qu'il fallait coloniser). Il a raconté ses nombreuses aventures, notamment dans Confidences d'un prestidigitateur, dans Magie et physique amusante. Comme la vision joue un rôle essentiel dans le phénomène d'illusion, l'illusionniste fait tout ce qui est en son pouvoir pour attirer l'attention sur la « normalité » de ses gestes tandis que, en même temps ou ailleurs, il fait aussi autre chose : il tiendra un objet dans la main alors que toutes les apparences indiquent que celle-ci est vide. Cette création d'effets apparents sur le spectateur est le seul but de la prestidigitation. On y parvient soit par les manipulations, soit par les trucs, soit par la combinaison des deux. Un tour est le résultat de l'emploi artistique de quelques principes fondamentaux structurés de telle manière qu'il y ait une mise en scène spectaculaire, au sens étymologique du terme. Naturellement, les manipulations concernent ordinairement les objets qu'on peut tenir en main. Les principales sont les empalmages ou embaumages, les coulées et les pincements pour les tenues, le back-and-front et les transferts pour les mouvements.
On peut définir sommairement ces techniques. L'empalmage : tenir un objet dans la paume de la main (surtout entre thénar et hypothénar) ; la coulée : maintenir un objet à l'aide, principalement, de la partie terminale des quatre doigts (sauf le pouce) ; le pincement : maintenir l'objet entre deux doigts qui se touchent ; le back-and-front : faire passer invisiblement un objet d'un côté à l'autre d'une main, cela en montrant successivement les deux côtés de la main apparemment vide ; le transfert : les deux mains sont montrées vides, l'une après l'autre, un objet dissimulé étant passé de l'une dans l'autre sans que le spectateur s'en aperçoive.
Parmi les trucages, on distingue ordinairement trois catégories principales : les « appareils », les fakes et les gimmicks. Les premiers sont des objets apparemment ordinaires, mais truqués invisiblement (tel le chapeau à double fond) ; les deuxièmes désignent des objets imités donnant l'illusion d'objets ordinaires ; les troisièmes, qui ne sont jamais vus des spectateurs, sont des accessoires secrets. La combinaison de ces trois genres aux espèces innombrables permet une grande variété de trucages. Quand l'artiste agit avec naturel, lorsque ses gestes correspondent exactement à ce qu'il veut donner à voir, les feintes égarent le public.
Il y a, enfin, les grandes illusions (femme sciée en deux, apparition ou disparition d'un gros objet, telle une voiture, ou d'animaux de forte taille comme un cheval ou un éléphant). Ce sont des tours de scène, qui exigent ordinairement un appareillage particulièrement important dont l'essentiel demeure invisible. Les effets sont remarquables dans le tour dit de « la malle des Indes » ou dans les « voyages mystérieux » (un personnage disparaît à un endroit et, « instantanément » ou en fort peu de temps, apparaît ailleurs sans que l'on puisse connaître le chemin emprunté).
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Écrit par
- Pierre-Paul LACAS : psychanalyste, membre de la Société de psychanalyse freudienne, musicologue, président de l'Association française de défense de l'orgue ancien
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