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FASSBINDER RAINER WERNER (1945-1982)

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<it>Le Mariage de Maria Braun, de R. W. Fassbinder</it> - crédits : Albatros Produktion/ Everett Collection / Bridgeman Images

Le Mariage de Maria Braun, de R. W. Fassbinder

Mort prématurément, à l'âge de trente-sept ans, Rainer Werner Fassbinder a étonné ses contemporains par la diversité de son inspiration et son exceptionnelle inventivité, lui permettant de réaliser une quarantaine de films et de téléfilms en seulement treize années. La disparition de ce cinéaste inclassable a été annoncée par un important quotidien allemand sous le titre « Notre Balzac est mort ». Ses films constituent en effet un véritable tableau de l'Allemagne fédérale, de sa société, de ses événements (dramatiques ou dérisoires), de ses passions, illusions et bassesses, de ses mythes aussi. Le Mariage de Maria Braun, à n'en pas douter, constitue le premier chapitre de ce qui n'est devenu construction explicite qu'à la fin de sa vie.

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Toutefois c'est plutôt du côté de Flaubert, de Maupassant ou de l'Allemand Theodor Fontane (l'auteur d'Effi Briest, dont Fassbinder a fait un de ses meilleurs films) que l'on trouvera ses devanciers littéraires, sans oublier Alfred Döblin, dont Berlin Alexanderplatz fut une de ses références essentielles jusqu'à ce qu'il puisse adapter le livre sous la forme d'une grande fresque télévisuelle qui exigea cinq mois de tournage en 1979-1980. Quant à ses références cinématographiques : Melville, Chabrol, Godard, Douglas Sirk, elles s'expriment seulement dans ses premiers films ou, dans le cas de Sirk, par le biais d'un travail audacieux sur le mélodrame, illustré par une douzaine de films fondamentaux, dont Le Marchand des quatre-saisons (Der Händler der vier Jahreszeiten, 1971), Les Larmes amères de Petra von Kant (Die bitteren Tränen der Petra von Kant, 1972), Tous les autres s'appellent Ali (Angst essen Seele auf, 1973), Effi Briest (Fontane Effi Briest, 1972-1974), Le Droit du plus fort (Faustrecht der Freiheit, 1974), Maman Kuster s'en va au ciel (Mutter Küsters' Fahrt zum Himmel, 1975), Le Mariage de Maria Braun (Die Ehe der Maria Braun, 1978).

L'œuvre de Fassbinder ne saurait être ramenée à ces influences, et encore moins réduite à la série de « mélodrames distanciés » qui le rendit célèbre. Ce boulimique de la mise en scène s'est engagé dans plusieurs voies, tout en acquérant une maîtrise technique de plus en plus affirmée au fur et à mesure qu'il accédait à des budgets de production plus confortables. La différence est frappante entre la mise en scène minimaliste, voire un peu figée, des premières années et la prestance des dernières œuvres. Les enjeux n'étaient plus les mêmes entre les films parfois maladroits de ses débuts et Berlin Alexanderplatz, ou Querelle (1982), sorte de poème onirique adapté du roman de Jean Genet.

Le mélodrame comme révélateur

Dans les premiers films, l'influence du cinéma français lié à la Nouvelle Vague est patente. De Jean-Pierre Melville Fassbinder reprend la typification des films de gangsters – où l'amitié virile, les manipulations d'une organisation mafieuse et le poids du destin jouent un rôle essentiel – bien que les cadrages ou les attitudes soient directement issus de l'expérience théâtrale de son équipe (L'amour est plus froid que la mort ; Liebe ist kälter als der Tod, 1969 ; Les Dieux de la peste ; Götter der Pest, 1969). De Godard, les plans et les mouvements de caméra répétés à l'identique avec des personnages différents (Katzelmacher, 1969, tiré de sa propre pièce de théâtre traduite en français sous le titre Le Bouc).

Prenez garde à la sainte putain (Warnung vor einer heiligen Nutte, 1970) révèle une approche déjà plus professionnelle. Témoignage indirect sur son travail de création, il annonce les films « personnels » que certains critiques allemands ont opposés aux films « officiels » que seraient les mélodrames et les œuvres qui passent, à tort ou à raison, pour des commandes de producteurs (Despair, 1977 ; Lili Marleen, 1980). Considéré comme l'apôtre du mélodrame distancié, Fassbinder a ensuite joué habilement des thèmes et des formes d'un genre tombé en désuétude, qu'il pensait comme impossible à faire renaître sans modifier le regard du cinéaste. Et il a pu introduire, grâce à sa pratique d'homme de théâtre et à une réflexion sur l'impossible premier degré de l'émotion, des modalités qui ont rendu féconde la contradiction entre deux termes en apparence incompatibles, le mélodrame et la distanciation. Dans Le Marchand des quatre-saisons, il semble encore jouer avec les stéréotypes, une démarche qui s'affine avec les images figées et les schémas narratifs de Tous les autres s'appellent Ali. À l'inverse, dans Maman Kuster s'en va au ciel, il introduit une sorte de didactisme brechtien. L'équilibre parfait sera trouvé dans Le Mariage de Maria Braun, un récit qui s'appuie sur un fort sentiment de réalité effleuré par l'ironie et quelques touches symboliques : ce sera son premier grand succès public, en Allemagne puis dans plusieurs pays européens en 1979.

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Un des axes originaux de tous ces récits réside dans l'insistance de l'auteur à décrire les rapports de domination et à en dévoiler les effets jusque dans des vies de couple en apparence harmonieuses. Pour Fassbinder, il existe toujours un « sous-privilégié », une victime, tant dans la maîtrise de biens symboliques (langage, culture, présentation de soi) que dans celle des biens matériels. Et ses récits mettent souvent en cause un processus d'éducation qui révèle la cruauté des rapports entre les individus. Le Droit du plus fort en est une des plus vigoureuses descriptions, qui reprend pratiquement la description classique de l'exploitation du prolétariat pour l'introduire dans l'utopie homosexuelle. Ce film dont il incarne lui-même le héros, succède aux Larmes amères de Petra von Kant, où, a-t-il dit, il n'avait pas su, ou osé, aller jusqu'au bout de son analyse. Dans cette sphère des films intimes, Fassbinder va réaliser ensuite un de ses chefs-d'œuvre, L'Année des treize lunes (In einem Jahr mit dreizehn Monden, 1978), dont le personnage principal, un transsexuel, vit ses dernières heures en rendant visite aux quelques personnes qui ont déterminé le cours de sa vie. Cette progression dramatique en forme de Stationendrama, d'une grande virtuosité cinématographique – images et sons – se réfère symboliquement à la vie de l'homme qui vivait avec lui et qui venait de se suicider. Fassbinder est l'auteur complet du film, et signe également photographie, montage, décors, prise de son.

Contrairement à la légende, Fassbinder n'a pas été un spécialiste du « film de commission », genre décrié créé par le système d'aide publique à la production mis en place en Allemagne et favorisé par l'intervention croissante de la télévision. Au contraire, la méfiance des dispensateurs de fonds s'est manifestée contre lui lorsque Daniel Schmid, avec L'Ombre des anges (1976), adapta une de ses pièces de théâtre accusée, à tort, de contenir des propos antisémites. Cette polémique l'atteignit bien plus que celles qu'il avait connues lorsqu'il animait des groupes théâtraux « off » à Munich vers 1967-1968. Et elle le conduisit peut-être à accepter quelques projets déjà élaborés par d'autres. Ayant pu enfin réaliser pour la télévision la série Berlin Alexanderplatz, d'une durée de plus de quatorze heures, il renoua avec une critique sociale acerbe et même sarcastique (Lola, une femme allemande ; Lola, 1981), puis avec ses thèmes de prédilection, exprimés dans une manière de mélodrame désenchanté mêlé de réflexions sur les mythes cinématographiques, Le Secret de Veronika Voss (Die Sehnsucht der Veronika Voss, 1981), avant de tourner, deux mois avant de mourir, son « odyssée homosexuelle », Querelle (1982).

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