RÉFUGIÉS
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Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) estimait à près de huit millions et demi le nombre des réfugiés dans le monde à la fin de l'année 2005, dont la plus grande part concerne les pays les plus pauvres. Peut-être la situation a-t-elle paru plus tragique à certaines époques, notamment aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, où les migrations forcées ont été dramatiquement nombreuses en Europe. Mais les côtés les plus inquiétants du phénomène des réfugiés sont sans doute, au-delà même de l'ampleur, la permanence et l'extension géographique. De plus, si le nombre de réfugiés au sens strict tend à baisser depuis la fin des années 1990, le nombre des personnes déplacées à l'intérieur de leur pays du fait de guerres civiles ou d'autres crises a augmenté dramatiquement (environ six millions et demi en 2005).
Lorsque le système international de protection a été mis en place, en 1951, il était permis de croire que l'ère des grandes migrations de population engendrées par la guerre et les famines était définitivement close, et que le problème des réfugiés qui se posait alors n'était qu'une suite du conflit mondial, destinée à être progressivement éliminée. Les règles mises en place à cette époque visaient donc à protéger les individus victimes de persécutions politiques, ou craignant légitimement d'être victimes de telles persécutions. Inspirées par une vision européocentrique du problème, ces règles s'adressaient avant tout au réfugié politique qui, seul ou avec quelques autres personnes, demandait asile à un État.
Rétrospectivement, il est permis de dire que les gouvernements firent preuve à cette occasion d'un optimisme qui fut rapidement démenti par les faits. Les flux de réfugiés se sont multipliés et diversifiés. Les demandeurs d'asile ne fuient pas seulement la persécution, ils fuient également les guerres, les désastres écologiques comme la désertification, la famine, l'oppression sous toutes ses formes. Surtout, il s'agit de phénomènes de masse, et non pas de quelques personnes individuellement contraintes à l'exil. Les conventions internationales, en tout premier lieu celle du 28 juillet 1951, se sont dès lors vite révélées insuffisantes, malgré certains efforts d'adaptation. Enfin, et ce n'est pas le moins important, les pays les plus riches ont progressivement adopté, par populisme, des politiques d'immigration et d'accueil plus restrictives, notamment à partir du début de la crise économique des années 1970. Les déclarations généreuses n'ont pas toujours été suivies d'effets. Il n'en reste pas moins qu'un véritable système international de protection et d'assistance aux réfugiés a été mis en place, au centre duquel se trouve placé le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.
L'évolution des mouvements de réfugiés
Aperçu historique
Si l es déplacements de population fuyant des événements tels que la persécution religieuse ou politique, la guerre ou même la famine ont été nombreux dans l'histoire moderne – il suffit de citer comme exemple l'exil des protestants français par suite de la révocation de l'édit de Nantes ou, toujours en France, l'émigration contre-révolutionnaire –, il y a, en réalité, une différence considérable entre ces situations et celles qui ont suivi la Première Guerre mondiale.
Avant cet événement, en effet, les réfugiés, pris en tant qu'individus ou en masse, étaient accueillis dans tel ou tel pays à partir de la très ancienne tradition de l'asile, qui s'appuyait sur des considérations religieuses ou philosophiques et non pas sur le droit. L'absence quasi totale du droit est facilement explicable : la relation entre l'individu et la puissance publique (le prince ou la cité) était finalement plus personnelle que juridique, de sorte que l'essentiel était à cette époque de renouer un lien personnel de même type avec un autre prince ou une autre cité.
Tout change à partir du moment où l'État-nation devient le modèle normal de l'organisation politique. Les relations personnelles s'effacent devant les liens juridiques. L'individu qui ne peut plus se réclamer d'un État est, à l'époque moderne, dans une situation dramatique de ce seul fait. Or le réfugié est non seulement une personne déracinée, dans des conditions matérielles souvent extrêmement pénibles, mais c'est encore une personne privée de ce lien de rattachement essentiel à un État dont, cependant, elle garde la nationalité.
Comme, dès le début du xxe siècle, les déplacements forcés de population se multiplient (Grecs, Turcs et Bulgares à la suite des guerres balkaniques de 1912-1913, Polonais, Baltes, Hongrois, Allemands, Arméniens surtout – on estime leur nombre à 600 000 – après le premier conflit mondial, Russes enfin – 1 million – chassés par la révolution), comme également la communauté internationale s'organise autour de la Société des nations (SDN), celle-ci crée en 1921 un Haut-Commissariat aux réfugiés, confié au Norvégien Fridtjof Nansen, explorateur célèbre, mais aussi organisateur du rapatriement d'un demi-million de prisonniers allemands et autrichiens et d'une opération de secours à la population russe.
Malgré la faiblesse des moyens du Haut-Commissariat, l'œuvre de Nansen, jusqu'à sa mort en 1930, a été considérable. Il a d'abord créé l'ensemble des services internationaux qui firent face aux flux de réfugiés qui allaient en s'accélérant, et inspiré la création par l'Organisation internationale du travail d'un service chargé de placer les réfugiés russes sans emploi. Surtout, il a mis au point le « certificat d'identité », plus connu sous le nom de « passeport Nansen », qui servit d'abord aux réfugiés russes mais fut ensuite ouvert aux réfugiés d'autres origines. Ce document est d'une importance capitale dans l'histoire de la protection internationale des réfugiés car, pour la première fois, ceux-ci reçoivent un statut juridique qui ne les condamne ni à l'apatridie ni à un changement de nationalité. Ce passeport Nansen a été reconnu par cinquante-quatre gouvernements. Enfin, durant cette même période, plusieurs traités internationaux furent négociés qui tentèrent de régler les problèmes soulevés par l'afflux de réfugiés de toutes origines : arrangement du 12 mai 1926 relatif aux réfugiés russes et arméniens ; arrangement du 30 juin 1928 relatif aux réfugiés assyriens, assyro-chaldéens et assimilés et aux réfugiés turcs. À la mort de Nansen, ses services, sous le nom d'« office Nansen », s'efforcèrent de continuer l'œuvre de leur fondateur. En particulier, ils préparèrent une convention relative au statut des réfugiés qui fut signée le 28 octobre 1928 par huit États, malgré la crise économique qui réduisait à peu de chose l'effort des gouvernements.
Le national-socialisme allait ensuite susciter un nouveau flux de réfugiés, en provenance d'Allemagne et de Sarre d'abord, d'Autriche ensuite. La convention internationale du 10 février 1938 fut spécialement adoptée à leur intention. Mais, avant même cet accord international, un haut-commissaire aux réfugiés allemands avait été institué, indépendant aussi bien de l'office Nansen que de la SDN. Ce haut-commissaire siégeait à Londres et recevait son financement de sources privées. La SDN décida en 1938 d'unifier les services de ce Haut-Commissariat et de l'office Nansen en une institution unique, le Haut-Commissariat pour les réfugiés sous la protection de la SDN. En même temps était créé le Comité intergouvernemental pour les réfugiés (CIR), auquel participaient trente-deux gouvernements, dont certains n'étaient pas membres de la SDN. Le CIR fut chargé principalement des réfugiés allemands et autrichiens, puis, à partir de 1943, des réfugiés espagnols.
C'est donc en quelque sorte au coup par coup que la communauté internationale a élaboré, durant l'entre-deux-guerres, une réponse au défi que constituait le phénomène des réfugiés. Mais des lignes de force se dessinent, qui inspireront les solutions de l'après-guerre.
On estime à trente millions le nombre des personnes déplacées entre 1939 et 1945. L'Administration des Nations unies pour le secours et la reconstruction (UNRRA, United Nations Relief and Rehabilitation Administration) a largement contribué, à la fin du conflit, à leur rapatriement. Mais, à la fin de ces opérations, un problème demeurait : plusieurs centaines de milliers de réfugiés refusaient de réintégrer leur pays, alors que d'autres arrivaient en grand nombre des pays de l'Est ou des zones d'occupation soviétique. Après des négociations difficiles, l'ONU, nouvellement créée, envisagea de confier à une organisation spécialisée mais provisoire le soin de s'occuper de cette population. Ce fut le mandat de l'Organisation internationale des réfugiés (OIR), qui fonctionna de 1947 à 1951 malgré le faible nombre des pays membres (18 à peine sur les 54 qui constituaient alors l'ONU) et malgré l'hostilité des pays de l'Est. Au total, 1 600 000 personnes environ ont été secourues par l'OIR.
Avant même que cette institution ne cesse ses activités, il apparut que le problème des réfugiés ne serait pas définitivement résolu lorsque le mandat de l'OIR prendrait fin. Aussi, dès 1949, il fallut se résoudre à désigner l'autorité qui lui succéderait dans sa tâche. Plusieurs points de vue s'affrontaient : les pays de l'Est persistaient dans leur hostilité de principe à une protection internationale des réfugiés qui, de fait, étaient souvent leurs nationaux ; les États non européens croyaient dans l'ensemble que les mouvements de réfugiés étaient destinés à se tarir car, pour eux, il ne s'agissait que d'une suite de la guerre mondiale qui devait disparaître progressivement, au fur et à mesure que l'on s'éloignerait du conflit ; seuls les pays européens partageaient une vision plus pessimiste de l'avenir et ne croyaient pas à la disparition prochaine des mouvements de réfugiés. Un compromis se réalisa sur la création d'un Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, simple organe subsidiaire de l'Assemblée générale et non pas institution spécialisée. Son mandat, fixé à trois ans éventuellement renouvelables, était d'assurer la protection juridique des réfugiés et de rechercher des solutions durables permettant de mettre fin à leur situation. Si son rôle dans l'assistance matérielle aux populations déplacées n'était pas négligeable, il était cependant limité. Ses ressources financières, à l'exception de celles qui étaient affectées aux dépenses liées à son fonctionnement administratif, imputées sur le budget de l'ONU, étaient constituées exclusivement des contributions volontaires des États-membres.
On sait ce qu'il en a été de ces prévisions : les flux de réfugiés ne sont pas allés s'amenuisant, bien au contraire, et, plutôt qu'à la disparition du problème, c'est à sa mondialisation qu'il nous a été donné d'assister dans la période récente.
La situation actuelle
La caractéristique majeure du problème des réfugiés, aujourd'hui, au-delà de son ampleur, c'est qu'il s'étend au monde entier. Les mouvements des réfugiés ne sont plus un problème principalement européen mais un problème mondial.
Les causes de la persistance des mouvements de réfugiés sont multiples et souvent complexes. Le processus de décolonisation, d'abord, qui ne s'est pas déroulé partout sans conflit, a engendré jusqu'à la fin des années 1970 de nombreux flux de réfugiés. Mais le mouvement n'a pas automatiquement cessé avec l'indépendance des anciens territoires coloniaux : dans certaines parties du monde, comme en Afrique, ce mouvement a pris une ampleur considérable, soit du fait du caractère artificiel de certaines frontières créant des problèmes de minorités (Corne de l'Afrique par exemple), soit du fait des atteintes aux droits de l'homme dont certains États nouvellement indépendants se sont rendus coupables. À ces causes s'ajoute la permanence des conflits armés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ces conflits ayant provoqué d'énormes mouvements de population (guerre entre l'Inde et le Pakistan lors de l'indépendance du Bangladesh, Afghanistan, Sri Lanka, Yougoslavie, Irak, Tchétchénie...). Il faut ajouter que la pauvreté, la famine ou des catastrophes telles que la désertification ou la déforestation de certaines régions ont également été la cause de nombreuses migrations.
Le problème des réfugiés a dès lors changé de nature. Il n'est plus lié à une situation très exceptionnelle (la guerre mondiale) mais apparaît au contraire comme une donnée permanente de la vie internationale, affectant la quasi-totalité des continents. L'Europe ou l'Amérique du Nord ne sont pas moins concernées par le problème : si, en effet, elles ne sont pas à l'origine de tels mouvements de population (sauf exception comme l'éclatement de la Yougoslavie), ces régions riches sont seules à même d'offrir une solution durable au problème des réfugiés, soit en les accueillant sur leur sol, soit encore en prenant financièrement en charge l'installation des populations réfugiées dans les pays les plus pauvres. L'idée s'est progressivement développée d'un véritable « partage du fardeau » entre les différents États constituant la communauté internationale, les uns, plus proches géographiquement de l'État d'origine des réfugiés les accueillant sur leurs territoires, souvent à titre temporaire (on parle de « premier accueil » ou de « refuge temporaire »), les autres, plus éloignés, offrant leur appui financier ou des possibilités de réinstallation. Au total, c'est l'ensemble des États qui est concerné par n'importe quel mouvement de population cherchant refuge hors de son pays d'origine.
Il en résulte une conséquence importante et cependant souvent inaperçue. Si, en effet, la protection juridique du réfugié demeure essentiellement de la compétence du HCR, l'assistance à ce même réfugié nécessite une action collective des États, et donc une négociation multilatérale impliquant l'État d'origine, les États d'accueil et les États contributeurs. Ce type de conférence se rencontre de plus en plus fréquemment depuis 1979 et le relatif succès de la « réunion internationale sur les réfugiés et personnes déplacées en Asie du Sud-Est ».
Dans la description de la situation actuelle des réfugiés dans le monde, il convient encore de mentionner le cas très particulier des Palestiniens, qui échappe en partie à la problématique des réfugiés. Après la première guerre israélo-arabe consécutive à la proclamation unilatérale de l'État d'Israël, en 1948, une partie de la population arabe née en Palestine sous mandat britannique, estimée à un million de personnes environ, s'est réfugiée dans les États arabes voisins, Jordanie, Liban, Syrie et dans la bande de Gaza. Dans l'attente d'une solution politique à leurs problèmes, les Palestiniens reçoivent de ces États et de l'ONU une assistance provisoire. L'ONU a créé successivement deux organismes spécialisés dont le dernier est l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA). Les Palestiniens n'ont jamais été compté parmi les réfugiés entrant dans la compétence du Haut-Commissariat. Dans une situation matérielle souvent dramatique et identique à celle des autres réfugiés, ils ne sont pas placés comme les autres réfugiés au centre d'une sorte de triangle formé par l'État d'origine, l'État d'accueil et la communauté internationale, dès lors qu'il n'y a pas d'État palestinien. Les négociations répétées en vue de créer cet État ont régulièrement achoppé sur la question des aménagements de leur droit au retour ou à la réinstallation.
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Écrit par
- Pierre BRINGUIER : maître de conférences à l'université de Clermont-I, secrétaire général de l'Institut français de droit humanitaire et des droits de l'homme
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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