UNITÉS RÈGLE DES TROIS, histoire littéraire
Observées dans certaines tragédies du xvie siècle, les unités d'action, de temps et de lieu sont posées comme règle par Jean de La Taille (1572), sous l'influence de la Poétique de Castelvetro (1570), qui emprunte les deux premières à Aristote. Mais le théâtre baroque fait triompher l'irrégularité dans la tragi-comédie, la pastorale et même la tragédie. En 1629-1630, Jean Mairet, imitant les pastorales italiennes, plie sa Silvanire aux unités, qu'il glorifie dans la Préface (1631). Les « doctes » commencent à en discuter d'autant plus âprement que la tragi-comédie soulève beaucoup de critiques. Chapelain, dans la Lettre sur la règle des vingt-quatre heures (1630), défend aussi l'unité d'action. Les débats sur les justifications et les exigences de la règle se multiplient, avec Scudéry, Corneille, Sarasin, La Mesnardière, d'Aubignac, stimulés par la querelle du Cid. Les œuvres dramatiques, en particulier les tragédies, l'observent de plus en plus fréquemment. Vers 1640, elle est bien définie. Son règne ne devient universel que vers 1660, sans jamais s'imposer absolument à la comédie. Chacune des unités à dû d'ailleurs s'imposer pour son compte, celle de lieu étant la plus tardivement définie.
Les formulations abrégées, telle celle de Boileau, « Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli... », répandent une clarté trompeuse. L'unité d'action, distincte de la simplicité d'action chère à Racine, exige la liaison indissoluble des événements, leur continuité (chaque fil d'action va de l'exposition au dénouement), leur nécessité (ils dépendent des données antérieures, non du hasard). Les actions accessoires, à partir d'Horace et de Cinna, doivent agir sur l'action principale. Les théoriciens étendent l'unité d'action aux genres narratifs. L'unité de temps — une « révolution de soleil » (Aristote) — donne lieu à des interprétations variables : douze ou vingt-quatre heures, ou un peu plus, jusqu'à trente pour Corneille en 1660 encore. On l'introduit au nom de la « vraisemblance », entendons l'illusion dramatique. Par suite, certains souhaitent réduire le temps fictif aux trois heures réelles de la représentation. Ensuite on s'y adapte en restreignant le sujet au moment de la crise. L'unité de lieu se fonde aussi sur la vraisemblance, car la scène reste offerte aux regards pendant les entractes, et le décor simultané tombe en désuétude vers 1640. D'abord lâche, elle se réduit ensuite à une région de faible étendue, ville, île. L'unicité absolue du lieu, réclamée par d'Aubignac, existe dans Horace, mais Corneille lui-même expose la théorie du « lieu composite » (vague vestibule, « palais à volonté », où tout le monde est censé se rencontrer) qui sera la véritable solution classique. Très peu de pièces respectent en fait l'unicité d'un lieu bien déterminé sans entorse à la vraisemblance.
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Écrit par
- Jean MARMIER : docteur ès lettres, professeur à l'université de Rennes-II-Haute-Bretagne
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