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REPENTIR, film de Tenguiz Abouladze

Repentir (Pokayanie en russe et Monanieba en géorgien, 1984) de Tenguiz Abouladze (1924-1994) constitue la dernière partie d'une trilogie sur l'histoire de la Géorgie ; le film fait suite à Incantation (Molba, 1968) et à L'Arbre du désir (Derevo Jelanija, 1976). À la fois tragédie et comédie sociale du totalitarisme, il peut être regardé comme le dernier volet d'un triptyque religieux ou comme un virulent pamphlet antistalinien. Il met en scène la lutte du Bien contre le Mal, qui doit voir le peuple, un jour, enfin éclairé par l'apparition d'un nouveau leader charismatique. Outrepassant les instances centralisées du Comité d'État du cinéma (Goskino) à Moscou, peu favorables à un cinéma géorgien jugé trop libre, le film est produit par la télévision de Tbilissi. Il est confié à Tenguiz Abouladze, cinéaste réputé depuis sa palme d'or du court-métrage à Cannes pour L'Âne de Magdana (Lourdja Magdany) avec Rezo Tchreidzé en 1956. Arrêté, puis menacé d'être détruit pendant le tournage, finalement censuré par les autorités soviétiques à sa sortie, Repentir devient en 1986 le film phare de la perestroïka en U.R.S.S. Son couronnement à Cannes, où il reçoit en 1987 le prix spécial du jury, lui confère alors une stature internationale.

Une fable initiatique

Le peintre Nino Barateli souhaite restaurer une église du vie siècle menacée de ruine. Malgré la résistance des villageois, l'église sera dynamitée. Sorte d'Antéchrist, Nino Barateli est exécuté en cachette par Varlam Aravidze, le maire du village. Le jour de la mort de ce dernier, Keti, la fille du peintre, décide d'ébranler les consciences en rendant publique les circonstances de l'assassinat de son père. Tornike, le petit-fils de Varlam, apprenant la condamnation de Keti à l'asile psychiatrique, se suicidera avec le pistolet de son grand-père. Entre-temps, le cadavre du tyran est déterré par son fils et reparaît dans le jardin familial. Soucieuse d'exhumer ce qui put générer une telle folie dans le pays, Keti plongera dans ses souvenirs d'enfance pour retrouver, au-delà des origines familiales de Varlam, les racines du mal. En écho aux crimes commis en son nom depuis les années 1930, comment empêcher un dictateur de « jouir d'un repos éternel puisqu'il ne s'est pas repenti » ? Dans cette mise en scène shakespearienne martelée de procès staliniens, Varlam Aravidze, pivot du récit, apparaît comme une forme hybride et burlesque du « père », clone de Hitler avec ses moustaches, de Beria avec son lorgnon et de Mussolini avec sa chemise noire. Dans sa traduction littérale géorgienne Asvaridze, il devient aussi synonyme de « personne » pour près de trois générations perdues dans une cité imaginaire. Au travers de cette figure de Staline, double grotesque de Varlam, mixte des dictateurs du xxe siècle, Abouladze décrit sous tous ses aspects le désespoir et la léthargie d'un village provincial vivant avec son maire un stalinisme au quotidien.

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Écrit par

  • : maître de conférences, sociologue à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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