RESNAIS ALAIN (1922-2014)
Alain Resnais est, parmi les créateurs de formes cinématographiques, l'un des plus grands. Ses premiers longs-métrages, Hiroshima mon amour, L'Année dernière à Marienbad et Muriel, constituent des jalons essentiels de la modernité cinématographique des années 1960. Ils ont donné l'exemple d'expérimentations, sur le son ou sur la « déstructuration » du récit, montré d'autres manières de construire un personnage dans un film, proposé des images du temps inédites. Mais l'œuvre de Resnais ne s'est pas arrêtée à Muriel. Considérée dans son ensemble, elle fait de lui un cinéaste capable de tout remettre en question à chaque film : L'Amour à mort, Mélo, Smoking / No Smoking, Pas sur la bouche ou Vous n’avez encore rien vu sont venus prouver qu'il n'a nullement renoncé à tenter des expériences limites au sein des structures commerciales de l'industrie cinématographique. On pourrait dire de lui ce que Vladimir Jankélévitch écrit de Maurice Ravel : « On vérifie, en écoutant la musique de Ravel, que la France n'est pas toujours le pays de la modération, mais plus souvent celui de l'extrémisme passionné et du paradoxe aigu. Il s'agit d'éprouver tout ce que peut l'esprit dans une direction donnée, de tirer sans faiblir toutes les conséquences de certaines attitudes. »
Le temps à l'œuvre
Alain Resnais est né le 3 juin 1922 à Vannes, dans le Morbihan. Très tôt, il se prend de passion pour le cinéma. Il filme, avec une caméra 8 mm achetée en 1935 dans une boutique du passage Pommeraye de Nantes, un Fantômas dont ses camarades sont les interprètes. Cette passion ne se démentira pas. La vidéothèque « idéale » qu'il compose soixante ans après pour la revue Vogue comporte des raretés connues des seuls amoureux fous du septième art. Son œuvre publique se déploie à partir du début des années 1950. Ses courts-métrages, dont Nuit et Brouillard, Toute la mémoire du monde et Le Chant du styrène (commentaire de Raymond Queneau), et ses premiers longs-métrages, Hiroshima mon amour, L'Année dernière à Marienbad, Muriel, ou le Temps d'un retour, dessinent une trajectoire de feu. Alain Resnais manifeste dans le traitement de sujets difficiles (les camps de la mort, la bombe atomique, la politique coloniale de la France, l'Algérie) une dignité qui force le respect. La sortie de chacun de ses longs-métrages suscite dans le public une grande émotion, tant l'innovation artistique à chaque fois surprend. C'est alors que s'impose l'image d'un cinéaste-gentleman courageux, exigeant et modeste.
Parmi les courts-métrages, Toute la mémoire du monde joue un rôle fondateur : le souhait de faire un film qui se regarde comme une statue a dû être formulé par Resnais dès cette œuvre qui offre également en bouquet les travellings caractéristiques de la première période du réalisateur. À propos du Chant du styrène, Godard écrit : « Resnais a inventé le travelling moderne, sa vitesse de course, sa brusquerie de départ et sa lenteur d'arrivée, ou vice versa. » Dans la Bibliothèque nationale que parcourt Toute la mémoire du monde, l'humanité, selon Resnais, part à la recherche de quelque chose qu'elle a perdu ou plutôt vers quoi elle tendrait. Pour se déplacer dans ce monde borgesien, il faut inventer une vitesse particulière. Le chef opérateur Ghislain Cloquet note : « Dans Toute la mémoire du monde, les mouvements ont gagné en ampleur, les trois dimensions étaient mieux explorées. Resnais voulait qu'on traverse la nationale „comme dans une fusée“, ou comme un poisson dans l'eau. »
Arthur Koestler écrit dans Le Cri d'Archimède que « la manière dont un romancier fabrique un imaginaire pour le lecteur est en fin de compte impossible à distinguer qualitativement d'un souvenir ».[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean-Louis LEUTRAT : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Média
Autres références
-
AIMER, BOIRE ET CHANTER (A. Resnais)
- Écrit par René PRÉDAL
- 1 174 mots
Si, jusqu’à Mélo (1986, d’après Henry Bernstein), Alain Resnais n’avait jamais réalisé d’adaptations littéraires (d’Hiroshimamon amour à L’Amour à mort, dix longs-métrages en vingt-six ans), la seconde partie de sa filmographie (neuf longs-métrages en vingt-huit ans) ne comporte...
-
ALAIN RESNAIS, LIAISONS SECRÈTES, ACCORDS VAGABONDS (S. Liandrat-Guigues et J.-L. Leutrat)
- Écrit par Lucien LOGETTE
- 982 mots
Parmi tous les réalisateurs français qui ont débuté dans le long-métrage à la fin des années 1950, Alain Resnais est assurément le moins prolifique : d'Hiroshima mon amour (1959) à Cœurs (2006), il n'a signé que dix-huit titres (dix-neuf si l'on compte pour deux le diptyque ...
-
HIROSHIMA MON AMOUR, film de Alain Resnais
- Écrit par Michel MARIE
- 997 mots
- 1 média
Lorsque Alain Resnais est pressenti pour réaliser un film sur le thème de la bombe atomique d'Hiroshima et des dangers du nucléaire, il est déjà un auteur de courts-métrages jouissant d'une notoriété internationale incontestable, en particulier grâce à Nuit et Brouillard (1955)....
-
NUIT ET BROUILLARD (A. Resnais)
- Écrit par Joël MAGNY
- 206 mots
Nuit et brouillard, court-métrage d'Alain Resnais, est le premier film français à aborder de front les camps d'extermination et la « solution finale » de la question « juive », mise en œuvre par le régime nazi et symbolisée par Auschwitz. Il le fait en écartant d'emblée...
-
ARDITI PIERRE (1944- )
- Écrit par René PRÉDAL
- 577 mots
Né en 1944, Pierre Arditi est, à partir de la fin des années 1960, partout à la fois, au théâtre, à la télévision et au cinéma. Lui-même revendique cette boulimie et le plaisir de figurer dans quatre à cinq films par an pourvu qu'il s'y montre à chaque fois différent. Pari audacieux pour ce comédien...
-
AZÉMA SABINE (1949- )
- Écrit par René PRÉDAL
- 539 mots
Née en 1949, ancienne élève d'Antoine Vitez au Conservatoire, Sabine Azéma commence sa carrière au théâtre de Boulevard. Remarquée à la Comédie des Champs-Élysées face à Louis de Funès dans La Valse des toréadors (Jean Anouilh), elle devient une actrice comique à succès à la fin des...
-
CAYROL JEAN (1911-2005)
- Écrit par Michel P. SCHMITT
- 846 mots
Écrivain français. Jean Cayrol est né à Bordeaux le 6 juin 1911. Après des études de droit et de lettres, il occupe un emploi de bibliothécaire. La poésie le requiert très tôt. Même si c'est la lecture des surréalistes qui le révèle à lui-même, il compose, à l'écart des esthétiques du temps, des poèmes...
-
CENSURE
- Écrit par Julien DUVAL
- 6 228 mots
- 1 média
...dockers marseillais opposés au chargement de matériel militaire pour la guerre d'Indochine. En 1955 également, pour obtenir le visa de Nuit et Brouillard, Alain Resnais doit recouvrir à la gouache le képi d'un gendarme français au camp de déportation de Pithiviers. Des films provenant de pays communistes... - Afficher les 14 références