ROYAUME-UNI L'empire britannique
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Du xvie siècle des Tudors aux années 1960, l'Angleterre s'identifie avec le « grand large ». « Rocher » à la pointe du continent européen, elle a étendu sa domination sur des territoires de plus en plus vastes, au point que son empire a représenté, au début du xxe siècle, le quart des terres émergées et une proportion similaire de l'espèce humaine. Lorsqu'elle se détermine, à partir de 1961, à privilégier son identité continentale et se persuade de chercher à nouer sa destinée à celle des partenaires de la Communauté économique européenne, elle ne se résigne pas pour autant à rompre totalement avec un passé qui continue de lui inspirer orgueil et nostalgie : au début du xxie siècle, un Commonwealth de cinquante-trois nations associées sous l'égide du souverain britannique rappelle et proroge l'existence d'un ensemble qui n'a jamais connu son pareil.
De cet ensemble, le géographe Albert Demangeon, en 1924, retenait deux définitions essentielles : l'hétérogénéité et l'ubiquité. « Les communautés d'hommes qui le constituent, éloignées les unes des autres, manquent de continuité territoriale ; toute fusion entre [elles] paraît impossible. » Mais il relevait aussitôt que, contre la distance, il y avait la mer, qui, à condition d'être « libre », unissait les zones tempérées et tropicales en une imposante « thalassocratie ». L'empire britannique, à l'opposé d'autres grandes constructions historiques, a, dès le départ, été un empire des mers. Britannia, qui le symbolise, porte le trident de Neptune ; Oceana est le nom de baptême que lui offrent James Harrington en 1656, comme James Anthony Froude deux cent trente ans après. L'aventure impériale est inséparable de la conquête de la domination maritime, car, comme le dit très tôt Walter Raleigh, « qui tient la mer tient le monde ».
Avant que les mappemondes de l'époque victorienne se teintent résolument du rouge qui définit les possessions britanniques, comme le rose définit les françaises, l'expansion n'a pas été commandée par un grand dessein. Les termes d'impérialisme et d'impérialistes ne deviennent courants qu'au cours des deux dernières décennies du xixe siècle, quand le Français Victor Bérard s'efforce en vain de suggérer le terme de « panbritannisme » (1900). Les passions populaires s'éveillent tout aussi tardivement, même si, dès 1850, un Palmerston s'exaltait déjà à la vision du « nouvel Empire romain, sur lequel le soleil ne se couche jamais » et qui serait le champ de parcours d'un nouveau civisromanus, baptisé britannicus. Sauf dans le cas de l'Amérique du Nord, propice aux établissements de colons venus de la zone tempérée européenne, l'empire a longtemps été une entreprise commerciale et, accessoirement, pour les esprits religieux, l'occasion de diffuser la parole du Christ et de permettre aux Anglais, « nouvel Israël », de rapprocher l'avènement du royaume de Dieu. Ces desseins pouvaient s'accomplir en dehors d'une mainmise politique totale et la révolution américaine de 1776 a d'ailleurs convaincu bien des esprits que le fruit colonial était, de toute manière, destiné tôt ou tard à tomber de l'arbre métropolitain. Étrangement, entre le temps des compagnies et des comptoirs et les premières décennies de l'âge victorien, vers 1840-1870, on retrouve l'expression d'un même doute : pourquoi entreprendre des travaux coûteux et consacrer des sommes considérables à des dépenses militaires et navales là où les échanges s'opèrent sans difficulté et procurent toutes satisfactions et tous profits ? Évoquer l'histoire de l'empire, c'est ainsi ne pas être indifférent à ce qu'on appelle l'« empire informel », ou les « colonies sans drapeau », l'ensemble des États et nations-clients dans toutes les acceptions du terme : à l'époque victorienne, l'Amérique latine et même, selon certains auteurs quelque peu excessifs, les États du sud des États-Unis, vendeurs de matières premières, acquéreurs de produits finis.
Construction progressive, menée avec un empirisme constant, l'empire britannique présente quelques traits qui le différencient de ses rivaux. Il associe des lieux de peuplement et des zones d'exploitation. Aux candidats à l'émigration vers des terres vierges, des eldorados ou supposés tels, des lieux de réelle liberté politique et surtout religieuse, il a apporté une réponse dès la fin du xvie siècle et, surtout, à partir du xviie, essentiellement en Amérique du Nord avant que la fin du xviiie siècle ouvre la voie des nouvelles colonies australiennes, que le xixe leur associe les colonies sud-africaines et néo-zélandaises ; ailleurs, en particulier dans les régions tropicales déjà très peuplées, on a exporté surtout des commerçants, des planteurs, des techniciens, des « cadres » et des soldats, sans oublier des éducateurs, des médecins, des missionnaires. Cette dichotomie originelle a eu des conséquences jusqu'à l'époque contemporaine, lors de l'édification du premier Commonwealth « britannique » des nations ou lorsque les années 1960 ouvrent l'ère des discriminations dans l'immigration de citoyens « du Commonwealth » au Royaume-Uni. En outre, l'empire britannique sans ignorer zones incultes et désertiques, contraste avec l'empire français par l'étendue remarquable des zones fertiles ou riches en produits minéraux. Il a été longtemps marqué par une complémentarité économique « naturelle » entre la métropole, productrice de biens industriels et dont la flotte de commerce, « roulier des mers », garantissait la capacité d'assurer les échanges internes, et des colonies surtout tournées, par vocation ou contrainte, vers le secteur primaire et exportatrices d'aliments et de matières premières indispensables à la Grande-Bretagne. D'où des solidarités qui, avant d'être significativement érodées après 1950, ont pu un temps inspirer la vision d'un avenir commun au sein d'une véritable « forteresse impériale ».
Conquis par les armes ou occupé sans coup férir, l'Empire a été associé au destin britannique : il a reçu du Royaume-Uni, au moins jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, la promesse d'une protection efficace contre les menaces extérieures en même temps que de l'éventuelle répression des troubles internes ; il a été un espace de paix. En retour, dans le siècle de guerre totale qu'est le xxe siècle, il a apporté ses hommes, sa richesse, sa contribution financière à un effort de guerre commun qui a contribué à créer une durable « fraternité d'armes » et a parfois aidé à cimenter sentimentalement des groupes humains par ailleurs éloignés ou opposés. Soucieux de ne pas s'épuiser dans l'entretien d'administrations ou de forces de sécurité nombreuses, les Anglais, à toutes les époques, ont cherché, chaque fois que cela leur a semblé possible, à conférer des libertés locales, à aller vers des autonomies plus ou moins étendues, parfois à s'appuyer sur des princes ou des chefs indigènes : l'infinie variété des statuts coloniaux, une allergie certaine à toute recherche d'uniformité font partie de la spécificité impériale britannique, et l'existence d'élites locales a souvent autorisé les évolutions ultérieures ; cela d'autant plus que très tôt aussi, par la création d'écoles et par une acculturation partielle des aristocraties indigènes, on avait réalisé une symbiose mentale de fait, au sommet, entre les colonisateurs et les colonisés. A fortiori, dans les colonies de peuplement, il n'a pas existé de barrière mentale majeure avec la métropole. En outre, les Britanniques ont « exporté » les principes de leur droit et de leur justice, leur capacité à tenir compte des coutumes, de la jurisprudence, et pas seulement des textes législatifs nouveaux ; l'Empire, dans sa diversité, a parfois paru mériter l'admiration par l'universalité du « règne du droit ». Longtemps aussi, jusqu'à ce que l'on admette, à partir de 1949, des républiques au sein du Commonwealth, la Couronne a partout été le ciment visible de l'unité ; même ensuite, clé de voûte du système, le souverain britannique traduit en sa personne seule la communauté de destin de peuples par ailleurs si différents.
Explorateurs, guerriers, administrateurs venus de Grande-Bretagne ont été animés et aussi fortifiés par un sentiment identique : la supériorité de leur « civilisation » (le mot s'impose après 1760). Ils ont pu admirer la richesse du Grand Moghol en Inde, s'incliner un temps devant la puissance des Qing en Chine, se convaincre du danger qu'il y aurait à s'attaquer ouvertement au sultan turc, refuser de se livrer à une « occidentalisation » forcenée des peuples soumis. Mais ils avaient pour eux la conviction de posséder la seule foi religieuse « vraie », la certitude de la capacité des Européens à maîtriser mieux que tous les autres les techniques de la navigation comme de la guerre, de l'industrie et du financement des échanges ; et, surtout, ils possédaient la flamme, les appétits, les ambitions, l'absence de scrupules, la ruse que les conquistadores ibériques avaient déjà mis, avant eux, au service de leur conquête et de leur expansion. La révolution industrielle de la fin du xviiie siècle a renforcé leurs moyens matériels, a permis de porter très loin le feu d'innombrables canons embarqués à bord de vaisseaux de ligne de plus en plus rapides, de faire respecter les droits et la vie des sujets du royaume partout dans le monde. L'empire britannique a pu être celui du bon droit quand, à partir de la fin du xviiie siècle surtout, on poursuit plus durement les petits despotes locaux de l'administration et qu'on s'oppose à la prévarication. Mais la justification suprême de gouverner des peuples manifestement « inférieurs » a de moins en moins été mise en question. Irrésistiblement triompheront les arguments de la fin de l'époque victorienne, quand le darwinisme social s'impose et que les notions de « race » supérieure, parfois non pas au sens biologique mais dans une acception culturelle et mentale, viennent apporter la sanction d'une « destinée manifeste » à un impérialisme alors exaspéré. Appartenir à l'empire pouvait être motif de sécurité, voire d'orgueil, mais ne pas en faire partie à titre de citoyen britannique, au moins d'origine, c'était, inévitablement, se résigner à un « statut » d'infériorité... ou être porté à réclamer un changement.
Le chef-d'œuvre de l'empire britannique est peut-être d'avoir si bien préparé au combat pour le droit les élites nationalistes que celles-ci ont parfois fait une confiance excessive aux « métropolitains ». Le combat pour la dignité et la liberté s'est livré au nom de principes souvent venus d'Occident et les revendications se sont exprimées, dans les plus étendues des possessions comme dans les plus menues, dans la langue du conquérant : l'« anglophonie » n'a guère eu de difficultés à afficher très tôt ses lettres de noblesse. La différence avec d'autres empires, c'est que bien des nationalistes ont aussi, l'occasion venue, reculé devant un divorce total et se sont aisément intégrés au « club de gentlemen » du Commonwealth.
Depuis 1949, le « Commonwealth des nations », multiethnique et multilinguistique, est la structure prête à accueillir aussi bien les républiques que les monarchies héritées de l'empire. Il exclut alors un territoire que la polémique, jusqu'aujourd'hui, range parfois au nombre des conquêtes « coloniales » : l'Irlande, terre de domination, érigée en royaume par Henri VIII Tudor. Même si les « plantations » de protestants importés d'Angleterre et d'Écosse entre le xvie et le xviiie siècle et le statut de dépendance de fait qui est si âprement dénoncé pendant tout le xixe et le xxe siècle rappellent une structure coloniale, elle ne peut pas être assimilée à une fraction de l'empire. « Unie » à la Grande-Bretagne par l'Acte d'union de 1800 (26 de ses 32 comtés étaient dotés en 1922 du statut de dominion et, à partir de 1931, de membre du Commonwealth britannique des nations), elle a vu consacrer, en 1949 précisément, la « partition » entre un Ulster intégré au Royaume-Uni, « résidu de colonie » aux yeux des nationalistes, et une République pleinement indépendante. Son cas sera dissocié des développements qui suivent.
Le premier empire colonial
L'expression s'applique à l'ensemble des terres touchées par l'expansion coloniale, des origines à la consécration de l'indépendance des États-Unis, en 1783.
Explorations et découvertes
L'ère de l'expansion est relativement tardive. L'Angleterre a été devancée par les royaumes ibériques – Espagnols et Portugais visant même, à la fin du xve siècle, à un partage du monde après l'arbitrage pontifical de 1493. Les Tudors, pas plus que les Valois français, n'ont jamais souscrit à cette prétention. Mais la prétendue vocation maritime du royaume n'existe pas, le pays vit de la terre et de ses activités artisanales et commerçantes, les échanges se font en direction du continent européen, longtemps, pour les laines, par l'étape quasi obligatoire de Calais qui n'est perdu qu'en 1558. Les échanges mêmes avec la mer du Nord et la Baltique sont longtemps l'apanage des Hanséates, et il faut attendre 1485-1486 pour voir le grand moment d'un premier nationalisme marchand, avec des Actes de navigation réservant le commerce de la Guyenne à des bateaux anglais et retirant à la Hanse ses privilèges douaniers pour tous les produits qu'elle serait allée chercher dans un pays tiers. Henri VII loue les services de Jean Cabot, Italien établi à Bristol, lui confère, ainsi qu'à ses trois fils, le droit de gouverner, au nom de l'Angleterre, les terres éventuellement découvertes, et tente de participer à l'exploration d'une route de l'Orient par le nord-ouest : Terre-Neuve est ainsi explorée une première fois, confondue d'ailleurs avec... la Chine. Après la mort en mer de Jean, son fils Sébastien Cabot repart en 1508, explore les côtes de Terre-Neuve et de la baie d'Hudson, toujours à la recherche d'un passage vers l'Orient.
Henri VIII suit l'exemple de son père. Les résultats demeurent médiocres, même si la compagnie des Marchands aventuriers développe le commerce du Nord européen. Sous Édouard VI, cette compagnie obtient la fin de tous les privilèges de la Hanse et la Compagnie de Moscovie est constituée, qui développe les échanges avec le monde russe. Longtemps, partis de Londres, Bristol, Hull, Southampton ou Plymouth, capitaines et marchands ne parcourent que les mers connues, de la Baltique à la Méditerranée. Les explorations sont rares : Sébastien Cabot, sous Édouard VI, reprend un service qu'il avait abandonné au bénéfice de l'Espagne, et parcourt à nouveau l' Atlantique du Nord-Est, toujours à la recherche de « Cathay ».
Tout se passe comme si la prise de conscience de la nouvelle position de l'Angleterre sur un Atlantique devenue voie essentielle du commerce tardait. On ne peut parler d'expansion coloniale qu'à partir du règne d' Élisabeth Ire (1558-1603). C'est à ce moment que se manifestent les premiers véritables « idéologues » de la mutation. John Dee, en 1578, dans une lettre célèbre à la reine, invente l'expression « empire britannique » et dépeint l'empire qu'elle devrait exercer sur l'Atlantique nord, depuis l'Arctique, avec le mythique Friesland hérité du non moins mythique roi Arthur, et Atlantis, le continent nord-américain dont la découverte initiale est attribuée au prince gallois Owain Madoc au xiie siècle ; la mappemonde de Dee, en 1580, tente de représenter toutes ces « possessions ». Plus influent, le géographe Richard Hakluyt, dans The Principal Navigations, Voiages and Discoveries of the English Nation de 1589, rééditées en 1598-1600, fait l'éloge des qualités maritimes des Anglais, qui auraient « surpassé tous les peuples ».
De fait, les bateaux de pêche vont de plus en plus loin, des Açores à Terre-Neuve et au Labrador. Les marchands se dirigent vers la Guinée, où John Hawkins a inauguré en 1562-1563 le trafic des esclaves ; des gentlemen du Devon et de Cornouailles investissent leurs capitaux dans des « aventures » au loin. Certains bons esprits invoquent la nécessité d'apporter les Évangiles aux barbares. Il est parfois difficile de réunir des équipages, le scorbut les tue aussi sûrement que les naufrages, que connaissent Drake en 1578 et Gilbert en 1583. Les navires sont des coquilles de noix, de 80 à 350 tonneaux, à la quille rongée par les moisissures, aux mâts fragiles. Mais l'art de la navigation progresse ; on sait mesurer sa position ; la cartographie anglaise, avec Christopher Saxton, William Camden, Hakluyt, s'améliore, et les capitaines deviennent expérimentés, à l'instar de John Dee et Richard Eden.
Et, dans un temps où l'appel du large passe surtout par les initiatives particulières, l'État intervient pourtant de plus en plus. Sur les conseils des Cecil et, pendant longtemps, de son favori Walter Raleigh, Élisabeth s'applique à favoriser le développement, sans stratégie bien affirmée, mais avec un empirisme attentif. De nouvelles compagnies reçoivent les chartes royales qui les investissent d'un monopole commercial dans un secteur précis, mais aussi de droits territoriaux et militaires. Les compagnies de la Baltique (1579), du Levant (1581), du Maroc (1585), de Sénégambie (1588), de Gambie et de Sierra Leone (1592) s'ajoutent à celles qui existaient déjà. Surtout, en 1600, à l'initiative du marchand londonien James Lancaster, est fondée la Compagnie des Indes orientales, au capital initial de 80 000 livres. Les ministres de la reine, surtout lord Burghley, poussent à la roue, encouragent l'exploration de Terre-Neuve et du golfe du Saint-Laurent, et voient dans l'élargissement des zones de pêche la meilleure pédagogie pour former les marins encore trop peu nombreux dans le royaume. Le ministre sir Francis Walsingham, « principal secrétaire », a si bien encouragé les expéditions lointaines qu'il est le dédicataire des Principale Navigations de Hakluyt ; il a été aussi à la source des campagnes de corsaire de Drake dans l'Atlantique sud en 1577.
Il n'est guère encore question d'annexions territoriales, mais les efforts dans ce sens s'amplifient à la fin du xvie siècle ; Walter Raleigh attaque l'île de Trinidad, dans les Caraïbes, tente en 1595 de s'emparer de la Guyane qu'il qualifie de véritable « eldorado » ; en 1584, il avait voulu créer une colonie en « Virginie », ainsi baptisée en l'honneur de sa reine vierge, et qui correspond en fait à la Caroline du Nord actuelle ; il récidive en 1588 et en 1590, et l'expédition de Bartholomew Gilbert de 1602 sera massacrée dans la baie de Chesapeake par les Indiens. À partir de 1597, les Anglais disputent âprement à des rivaux basques et bretons la possession de Terre-Neuve et de la région du Saint-Laurent. Pendant tout ce temps, l'exploration se poursuit, Martin Frobisher a atteint, en 1576, la terre de Baffin, en 1578 le détroit d'Hudson, mais il déçoit ses commanditaires de la Compagnie du Cathay en rapportant des pyrites qu'il avait confondues avec de l'or !
Le xviie siècle connaît d'abord une singulière limitation des efforts. Les premiers Stuarts veulent éviter les occasions de conflits, ne tiennent pas à faire la guerre aux Espagnols ou aux Hollandais.
Les premières colonies
Les établissements coloniaux se limitent surtout à l'Amérique du Nord, en particulier avec la création, en 1607, de Jamestown, dans la baie de Chesapeake, et, en 1620, de la colonie du Massachusetts par les puritains amenés d'Angleterre sur le Mayflower du capitaine John Smith, qui les débarque à New Plymouth. De grands aristocrates ou des compagnies privées développent les établissements de Virginie, du Maryland, de Caroline. Ailleurs, on mentionnera les comptoirs obtenus en Inde, à Madras (1639) avant Calcutta (1654). Du tabac aux épices, les produits exotiques sont ainsi souvent d'origine coloniale. Plus au nord, l'Angleterre dispute à la Hollande la propriété des zones bordières de la baie que Hudson a explorée en 1610-1611 et qui porte son nom.
Il faut attendre la révolution pour que soit relancée une grande politique commerciale que favorise l' Acte de navigation de 1651, très vite repris par la Restauration en 1660 ; c'est Cromwell aussi qui a la gloire d'annexer la Jamaïque, destinée à devenir la perle de l'empire sucrier des Antilles, et d'encourager une première pénétration au Honduras.
À partir de la Restauration de 1660, on entre dans le temps d'une grande révolution commerciale, et la période 1660-1714 constitue un tournant majeur dans l'histoire de l'empire. Marquée d'abord par des conflits avec les Provinces-Unies, elle est celle des premiers affrontements avec la France et l'Espagne. Les guerres apportent leurs dépouilles. New Amsterdam devient New York en 1664 et sa conquête complète l'édification d'une Nouvelle-Angleterre, dont les colonies du Rhode Island, du Connecticut, du Maine, du New Hampshire ont été le fait de colons puritains ; en 1681, le quaker William Penn se voit octroyer le territoire de la future Pennsylvanie. Partis d'Albany, des colons anglais explorent la haute vallée de l'Ohio et esquissent la prise de possession de l'Ohio, du Kentucky, de l'Indiana (1692-1694), Gibraltar a été arraché à l'Espagne en 1704, le traité d'Utrecht (1713) comporte l'acquisition définitive de Terre-Neuve, de l'Acadie, de la baie d'Hudson. Cependant qu'ailleurs le domaine s'élargit : avec Bombay, comptoir portugais reçu en dot par Charles II en 1661, et avec les comptoirs plus ou moins précaires encore de la Compagnie royale d'Afrique reconstituée en 1672.
Les préoccupations britanniques sont alors strictement mercantiles. L'émigration vers l'Amérique du Nord est encouragée par la propagande des compagnies, les Blancs bien vite moins recherchés dans les plantations du Sud que la main-d'œuvre servile noire. Le négoce intercolonial est limité par la loi, qui impose le plus souvent l'étape de la métropole. Celle-ci, surtout à partir de Londres, mais aussi à dater du début du xviiie siècle de Bristol et Glasgow, se transforme en gigantesque dépôt de produits destinés en partie à la réexportation, du cacao et du café au tabac, au sucre, aux épices, au rhum. Un fructueux commerce triangulaire relie Afrique, Amérique et Europe. La flotte de commerce anglaise, avec 500 000 tonneaux dans la première décennie du xviiie siècle, joue pleinement son rôle en supplantant la flotte néerlandaise.
Volontarisme et déceptions
Entre 1714 et 1774, l'expansion est multiforme, de plus en plus volontariste. Elle continue d'être souvent le fait des compagnies, qui explorent, créent des établissements, concluent des traités, grignotent territoires et influences. En Inde, le Bengale est rapidement une zone privilégiée, et le général Clive, en remportant en 1757 la victoire de Plassey sur une force indigène alliée aux Français, prépare la mainmise décisive qui ne laisse plus à la France que des comptoirs épars et place tout le sous-continent sous la menace d'une grandissante emprise anglaise. En Amérique du Nord, bloqués au Canada par l'établissement du Québec et inquiétés par les missions d'exploration, de commerce et de chasse qui portent leur rivaux vers l'ouest, les Anglais déplorent aussi l'existence de la Louisiane et de la chaîne de fortins français sur le Mississippi : le traité de Paris de 1763 leur vaut au moins de s'emparer du Québec et d'avoir les mains libres au Canada, et ils reçoivent la Floride, « en prime », de l'Espagne. L'Amérique des treize colonies, elle, a été achevée en 1732 avec la création de la Georgie ; elle compte déjà 1 170 000 habitants en 1750, pour la plupart des hommes libres d'ascendance britannique. Ces colonies constituent une Grande-Bretagne d'au-delà des mers avec 99 p. 100 de protestants de toute confession et la jouissance généralisée de droits anglais, et, pour les affaires locales, de prérogatives politiques très avancées.
Le moment de l'apogée de ce premier empire est précisément celui de la crise décisive.
La révolution américaine est née en tout premier lieu d'une contradiction. Les colons se sentent fils de la libre Angleterre, ils sont des sujets loyaux et ont pris leur part des combats victorieux de la guerre de Sept Ans (de 1756 à 1763). Ils ne sont pourtant en rien représentés au Parlement de Westminster et nul en Grande-Bretagne ne songe à les faire bénéficier de la Déclaration des droits (Bill of Rights) qui, en 1689, avait proclamé, en cas d'imposition fiscale, le droit des contribuables à donner leur assentiment par l'intermédiaire de leurs représentants.
Les besoins du gouvernement de George III conduisent à augmenter les taxes pesant sur les coloniaux d'Amérique. En 1764, une loi sur le sucre a infligé un droit de douane sur l'importation des mélasses étrangères, en 1765 la loi du timbre impose un droit sur tous les actes civils et nombre de biens, depuis les diplômes et les livres jusqu'aux jeux de cartes. De Boston à la Virginie, la résistance s'organise, prenant en partie l'allure de boycottage des marchandises anglaises ; avec l'abolition du timbre en 1766, tout s'apaiserait si le Parlement de Londres n'avait pas aussi réaffirmé son droit souverain exclusif à légiférer, y compris dans les colonies. En 1767, de nouvelles taxes douanières sont édictées sur le verre, le plomb, la peinture, le thé et le papier. L'indignation rebondit derechef, le boycottage reprend, des manifestations de rue sont combattues par la violence, avec, en mars 1770, « le massacre de Boston » (cinq manifestants tués). Et quand, malgré tout, l'apaisement semble triompher, le pouvoir décide, en 1773, d'accorder à la Compagnie des Indes le libre accès au marché américain, rompant ainsi, par l'octroi d'un privilège, avec les interdits du commerce intercolonial : les colons répliquent par de nouvelles manifestations, et, lors de la fameuse Boston Tea Party de décembre, trois cent quarante-deux caisses de thé d'un navire de la Compagnie sont vidées dans le port de la ville.
L'engrenage des luttes coloniales apparaît avec la succession de mesures de répression et de réponses de plus en plus violentes à l'injustice : un premier Congrès continental se tient à Philadelphie en septembre-octobre 1774 pour protester contre la fermeture du port de Boston, les prises d'armes se multiplient devant les refus de tout compromis, la fièvre gagne les esprits, s'exprimant par exemple dans le pamphlet de Thomas PaineCommon Sense (1776). On en arrive à la Déclaration d'indépendance du 4 juillet 1776, inspirée jusque dans le vocabulaire des écrits de John Locke et suprême hommage ainsi rendu aux leçons reçues du colonisateur. Le texte sera, par la suite, une référence et un modèle pour les mouvements nationalistes de l'Empire.
Ce qui importe, c'est que, bénéficiaires de l'aide française après leur victoire de Saratoga d'octobre 1777, rejoints aussi par les Hollandais et les Espagnols, les insurgents font triompher l'indépendance, et que, de surcroît, le traité de Versailles de septembre 1783 coûte aussi aux Anglais la perte de la Floride, rendue aux Espagnols.
Cette décolonisation au prix d'une longue guerre n'est nullement mortelle pour le négoce Grande-Bretagne - Amérique, dont la santé vite retrouvée contribue même à inspirer davantage de doutes encore sur la nécessité du lien colonial. La perte des treize colonies n'a pas non plus gêné l'avancée vers le nord du continent, aux latitudes du Canada ; la côte pacifique est explorée par Vancouver entre 1792 et 1794, et atteinte par terre par Mackenzie en 1793. Mais la catastrophe politique coïncide avec les premiers scandales en Inde : le gouverneur du Bengale, Warren Hastings, est mis en jugement à son retour en Angleterre pour pratiques corruptrices (il sera acquitté... huit ans plus tard), et le Parlement estime que le gouvernement doit désormais bénéficier d'un droit de contrôle sur les activités de la Compagnie par l'entremise d'un ministre responsable.
On peut certes se consoler en prenant connaissance des explorations océaniques de Cook entre 1768 et 1779. Il a pris possession, au nom de l'Angleterre, de la Nouvelle-Galles du Sud, a reconnu la Nouvelle-Zélande et la Nouvelle-Calédonie, exploré nombre d'îles et d'archipels du Pacifique, avant d'être tué au cours d'une échauffourée aux îles Hawaii. En 1788, une colonie nouvelle peut, grâce à ses explorations, naître en Australie.
Le moment n'est donc pas à tous les abandons. Il est aux premiers doutes. Et, avant les grands affrontements avec la France révolutionnaire et napoléonienne, on s'interroge aussi sur le devenir d'un empire dont les communications maritimes pourraient être menacées par la puissance navale retrouvée de l'éternelle rivale.
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Écrit par
- Roland MARX : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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