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SÉNÉGAL

Nom officiel République du Sénégal
Chef de l'État Bassirou Diomaye Faye - depuis le 2 avril 2024
Chef du gouvernement Ousmane Sonko - depuis le 8 avril 2024
Capitale Dakar
Langue officielle Français
Population 18 077 573 habitants (2023)
    Superficie 196 710 km²

      Article modifié le

      Histoire

      La Sénégambie entre Soudan et Sahara

      Une partie de l'historiographie sénégalaise, dans la lignée de l'intellectuel Cheikh Anta Diop, assure que les peuples de l'espace dessiné par les fleuves Gambie et Sénégal (la « Sénégambie ») trouvent leur origine culturelle, linguistique et raciale dans l'Égypte pharaonique, mais les données empiriques qui confirment cette hypothèse sont bien faibles – et la dimension idéologique de cette historiographie est évidente. On sait que le territoire correspondant aujourd'hui au Sénégal connaissait, à l'époque préhistorique, une situation climatique et hydrographique plus clémente qu'actuellement. La présence de l'homme est attestée dès le Paléolithique, en particulier sur la côte. Depuis le Néolithique, l'occupation humaine est importante et continue : des amas coquilliers, des mégalithes et des tumulus témoignent de la présence de populations d'agriculteurs et de pêcheurs. La désertification progressive du Sahara, à partir de 2500 avant J.-C., a entraîné un exode des éleveurs vers le sud. Une agriculture s'est développée autour du mil et du sorgho. Entre 2000 et 1000 avant J.-C., une métallurgie du fer et du cuivre est apparue.

      Hormis la tradition orale, particulièrement importante autour de l'empire du Mali (xie-xviie s.), les sources pour l'étude de l'histoire ancienne sont rares – l'islamisation est à l'origine des premières sources écrites. L'espace sénégambien précolonial est formé au croisement de l'influence des royaumes soudanais (Mali et Niger actuels) et des flux suscités par les relations transsahariennes. Ces dernières semblent anciennes, mais elles se sont beaucoup développées avec l'introduction du chameau, du iie au ve siècle, puis avec l'apparition de l'islam, à partir du viiie siècle. En relation avec les confréries soufies d'Afrique du Nord, une classe de commerçants et de lettrés musulmans se forme ; sans prendre le pouvoir, elle se met au service des structures politiques établies, chefferies et royaumes. Cette première islamisation reste donc très inégale, en « archipel ». L'expansion du commerce transsaharien favorise la formation d'unités politiques plus larges : le contrôle des nœuds commerciaux et de certaines filières de production et d'exportation semble être un élément moteur dans la construction des unités politiques qui vont se succéder jusqu'au xvie siècle. Dans ce commerce transsaharien, les royaumes africains acquièrent du sel, des cauris, des armes et des chevaux en échange d'or, d'esclaves et d'ivoire.

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      L'empire du Ghāna, centré sur l'actuel Mali, est la première de ces unités connues ; attesté par les géographes arabes dès le viiie siècle, cet empire incorpore une partie de la vallée du fleuve Sénégal. Il succombe au xie siècle, sous la double pression des nomades almoravides venus du Maroc et de transformations climatiques. Le royaume du Tekrour, dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal, se convertit à l'islam sous la houlette du roi War Jabi, au xie siècle. À partir du xiiie siècle, toujours en lien avec le contrôle des échanges économiques internationaux, l'empire du Mali, qui incorpore l'est du Sénégal actuel, dont le Tekrour, prend son essor. Mais il est progressivement vaincu par l'empire songhaï, qui atteint son apogée au xvie siècle, avant d'être détruit par une invasion marocaine. Les marges sénégambiennes des empires soudanais s'autonomisent alors. Dans la zone côtière et dans le centre du Sénégal actuel, à partir du xive siècle, Ndiadiane Ndiaye constitue le Djolof, royaume de langue wolof qui incorpore aussi les royaumes serer du Sine et du Saloum. En 1549, le Djolof se désagrège et les provinces du Cayor, du Walo, du Baol et du Saloum se constituent en royaumes indépendants. Le xvie siècle marque donc le début d'une période de plus grande fragmentation. Cette évolution semble liée à l'affaiblissement du lien transsaharien au profit du lien atlantique – l'expansion portugaise le long des côtes africaines commence. Pendant cette période, les sociétés qui composent la plus grande partie du Sénégal sont de type hiérarchique : une aristocratie militaire règne sur une paysannerie d'hommes libres et d'esclaves ; les artisans spécialistes (forgerons, tisserands...) constituent des groupes séparés. Des tabous stricts organisent les rapports entre ces différents groupes, ce qui a suscité l'emploi – controversé – de la notion de « société de castes » par certains historiens et anthropologues. Mais, même à leur apogée, les monarchies sénégambiennes restent assez décentralisées. Les lisières forestières et marécageuses du sud-est, du Saloum et de Casamance accueillent des sociétés lignagères qui sont incorporées aux systèmes d'échanges à longue distance essentiellement comme réserves d'esclaves. On trouve, cependant, dans le sud, entre le fleuve Gambie et les massifs du Fouta-Djalon, un royaume important, celui du Kaabu (ou Gabu, qui a donné son nom à ville de l'actuelle Guinée-Bissau). À l'origine principauté tributaire de l'empire du Mali, le Kaabu bénéficiera de la disparition de celui-ci et de l'expansion du commerce portugais pour s'imposer, jusqu'au xviiie siècle, sur une grande partie de la zone méridionale de la Sénégambie.

      La poussée du commerce européen

      Si on évoque parfois une présence normande dès le xive siècle sur les côtes de Sénégambie, ce sont les Portugais qui, à partir du xve siècle, établissent les contacts les plus poussés entre l'Europe et la côte ouest-africaine : le navigateur Denis Dias atteint, en 1445, l'île aujourd'hui appelée Gorée, au large du Cap-Vert. Les Portugais installent des comptoirs, pour le commerce des esclaves, de l'ivoire, des peaux et de l'or, autour desquels se rassemblent des populations métisses christianisées. Jusqu'à la fin du xvie siècle, la Sénégambie sera le principal fournisseur d'esclaves de l'Europe. Dans leur lutte contre l'empire hispano-portugais, les Hollandais pénètrent la région et construisent, en 1621, un fort sur l'île de Gorée. Les Anglais et les Français s'impliquent à leur tour, et c'est finalement la France qui prend le contrôle de la plus grande partie des points de traite de la région – à l'exception des comptoirs anglais de l'embouchure du fleuve Gambie et des comptoirs portugais de la Casamance et du rio Cacheu. En 1659, les Français créent le fort-entrepôt de Saint-Louis, sur une île de l'embouchure du fleuve Sénégal ; en 1677, ils s'emparent de Gorée. Si d'autres sources d'esclaves, de la baie du Bénin aux côtes angolaises, supplantent la Sénégambie, la région exporte encore vers les Amériques, plusieurs milliers d'esclaves par an jusqu'à la fin du xviiie siècle.

      La présence européenne reste limitée aux côtes. Elle est très dépendante du bon vouloir des États esclavagistes fondés sur la traite des Noirs et sur l'arrivée des armes à feu. Ces États sont de véritables partenaires pour les Européens, et ces derniers aident ainsi les États « païens » du nord du Sénégal lors de la « guerre des marabouts » lancée en 1673-1677 par le prédicateur musulman maure Nasr al Din. Le souverain (damel) Latsukaabe Fall (1695-1720), qui parvient à unifier le Cayor et le Baol tout en essayant de résister aux prétentions françaises sur le monopole de l'achat des esclaves, est l'archétype de ces seigneurs de guerre esclavagistes. Régulièrement, des mouvements réformistes islamiques se dressent contre les États traditionnels. Ainsi, dans la vallée du fleuve Sénégal, en 1776, la révolution torodo renverse les hiérarchies peules « païennes » et impose une théocratie islamique élective ; à la même époque, au sud, la poussée des Peuls islamisés du Fouta-Djalon accompagne le déclin du Kaabu.

      Des comptoirs à la conquête

      En imposant l'interdiction officielle de la traite négrière lors du congrès de Vienne en 1814-1815, le Royaume-Uni transforme l'économie sénégambienne. Certes, la mise en œuvre de l'interdiction est très progressive, et un commerce clandestin se poursuit, mais les comptoirs français doivent trouver de nouveaux secteurs d'activité. La gomme arabique tirée des acacias, espèce endémique dans la bande sahélienne, reste jusque vers 1870 un produit recherché. Mais ce commerce, largement contrôlé par les Africains et métis, instable et soumis aux pressions des tribus maures qui contrôlent les rives de la moyenne vallée du fleuve Sénégal, ne correspond pas aux attentes des maisons de commerce bordelaises et marseillaises, de plus en plus présentes.

      Pendant l'aventure napoléonienne, le Royaume-Uni avait occupé les établissements français de la côte du Sénégal et, à la chute de l'Empire, les traités de Paris de 1814 et 1815 en rendent le contrôle à la France.

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      Sous la houlette du baron Roger, gouverneur du Sénégal (1822-1827), une première tentative infructueuse de colonisation agricole a lieu dans le Walo, près de Saint-Louis. Mais la France explore également de nouveaux espaces, et prend ainsi pied en Casamance, où des comptoirs sont créés dès les années 1830. C'est l'intérêt des maisons de commerce françaises pour l'arachide, plante d'origine américaine utilisée pour la production de matières grasses industrielles, qui va transformer le paysage économique et politique du Sénégal. En jouant des tensions qui existent au sein des royaumes africains et sont exacerbées par les effets socio-économiques du développement de l'arachide, les autorités de la colonie du Sénégal interviennent de plus en plus directement dans les affaires de l'hinterland.

      Pour pérenniser les flux commerciaux qui alimentent la colonie, les Français en viennent à contrôler les escales du commerce de la gomme, tout au long du fleuve Sénégal, en établissant des forts et en combattant les Maures. Par des interventions militaires mais surtout par des alliances, ils étendent également leur influence dans le centre même de la Sénégambie, au cœur de la production arachidière. Le système des comptoirs se transforme ainsi en un véritable projet d'expansion territoriale. Louis Faidherbe, qui gouverne presque sans interruption la colonie du Sénégal de 1854 à 1865, prolonge l'œuvre de ses prédécesseurs et met en place les institutions d'une véritable colonisation – le bataillon des tirailleurs sénégalais, la Banque du Sénégal, l'école des Otages qui forme les fils de chefs africains. La colonie du Sénégal s'engage dès lors dans une politique de conquête de l'arrière-pays. Les Français affrontent les aristocraties précoloniales mais aussi les mobilisations islamiques, souvent inspirées par les mouvements réformistes et soufis du Maghreb et relayées par les marabouts torodo de la moyenne vallée du fleuve Sénégal. Dans le nord, où l'islam est bien implanté, les Français combattent ainsi tour à tour les marabouts guerriers El Hadj Omar Tall, Maba Diakhou Bâ, Ahmadou Cheikhou et Mamadou Lamine Dramé. Le territoire du Sénégal contemporain se dessine ainsi au gré de cette poussée : en 1855, le Walo est incorporé à la colonie, puis, deux ans plus tard, la région du Cap-Vert ; le Fouta Toro se soumet en 1883, le Djolof en 1885. Le dameldu Cayor, Lat Dior Diop, est vaincu en 1886 ; le Saloum et le Nioro reconnaissent la souveraineté française en 1887 ; le Baol est annexé en 1894. Au sud, la France obtient du Portugal, en 1886, la cession de Ziguinchor, comptoir situé sur le fleuve Casamance. Mais, parmi les sociétés acéphales de basse Casamance, la résistance à la poussée coloniale et à ses conséquences (service militaire, impôt) se prolonge jusqu'à la Première Guerre mondiale. À la fin du xixe siècle, le territoire de l'actuel Sénégal est donc constitué, avec une bizarrerie d'importance : l'enclave que dessine la Gambie, territoire constitué par le Royaume-Uni autour de ses comptoirs du fleuve Gambie, et qui sépare la Casamance du reste du Sénégal.

      Le Sénégal colonial : islam, arachide et assimilation

      L'instabilité de la seconde moitié du xixe siècle a facilité la poussée de l'islam maraboutique qui, bien qu'anciennement établi en Afrique de l'Ouest, était resté limité. Dans le contexte d'effervescence socio-politique, des marabouts pacifiques réussissent là où leurs prédécesseurs, avec leurs méthodes guerrières et prédatrices, avaient échoué. Ils procèdent à des conversions massives, en particulier des populations serviles, qui y voient un moyen de renégocier leur rapport aux aristocraties locales en déshérence. Les principaux leaders de cette islamisation sont Ahmadou Bamba, fondateur de la confrérie des Mourides, et al-Hajj Malick Sy, artisan de l'expansion au Sénégal de la Tidjaniya, une confrérie soufie née au Maghreb au xviiie siècle. Les Français considèrent d'abord ces marabouts avec méfiance, puis, dans leur quête d'intermédiaires, établissent avec eux une sorte d'alliance ambiguë, favorisant l'encadrement des paysanneries par les marabouts et l'organisation d'une filière arachidière en pleine croissance ; alors que la production d'arachide était de 5 000 tonnes en 1850, les seules exportations atteignent 95 000 tonnes dès 1898. L'alliance entre les marabouts et l'État colonial, qui s'est maintenue après l'indépendance du pays, a joué un rôle central dans l'histoire du Sénégal. Cette alliance, la poussée de l'islam et les relations instables entre la IIIe République française et l'Église catholique se sont combinées pour limiter considérablement l'impact des ordres missionnaires. Rapidement, les missions catholiques se concentrent dans les marges non islamisées du Saloum et de la basse Casamance, où elles parviennent à former des communautés minoritaires qui s'ajoutent à celles qui existent déjà à Saint-Louis et à Dakar.

      Sur le plan économique, l'expansion spectaculaire de l'arachide est rendue possible par l'importation massive de riz indochinois, celui-ci permettant aux paysans africains de se consacrer aux cultures de rente : la production arachidière atteint 508 000 tonnes en 1930. Les grandes maisons de commerce bordelaises et les petits commerçants français, libano-syriens ou sénégalais, souvent originaires des Quatre Communes, les établissements français les plus importants (Gorée, Rufisque, Dakar et Saint-Louis), organisent les échanges. Des lignes de chemin de fer sont établies pour servir l'hinterland arachidier – entre Dakar et Saint-Louis en 1885, entre Thiès, nœud ferroviaire à la sortie de la péninsule du Cap-Vert, et Kayes au Soudan français (actuel Mali) en 1904 ; une petite base industrielle se constitue à Dakar, autour du port et des huileries. Au niveau politique est créée en 1895 l'Afrique-Occidentale française qui est administrée par le gouverneur du Sénégal, basé à Saint-Louis. En 1902, les deux fonctions sont séparées et le gouverneur-général de l'A-OF s'installe à Dakar ; Saint-Louis demeurera la capitale du Sénégal colonial jusqu'en 1957. Le pays ne dispose, au début, que d'une administration légère, et la colonie doit s'autofinancer. Le territoire est organisé en unités administratives concentriques placées sous la responsabilité d'administrateurs français, qui coopèrent souvent avec les marabouts et les aristocraties précoloniales, très affaiblies par la suppression progressive de l'esclavage.

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      Le système fonctionne sur une inégalité raciale fondamentale, inscrite dans le Code de l'indigénat de 1887 : les autochtones n'ont pas de droits politiques et sont soumis à un régime juridique spécifique, beaucoup plus répressif ; ils sont également assujettis au travail forcé, des corvées périodiques destinées à l'aménagement d'équipements publics. L'Afrique coloniale française est secouée, pendant toute la période, par le débat entre « assimilation » et « association » : les sujets africains de la France peuvent-ils devenir des Français à part entière ? Ce débat est particulièrement vif au Sénégal du fait de l'importance des anciens comptoirs et de la population très mélangée qui y réside, dont une partie a, par ailleurs, déjà fait l'expérience de la citoyenneté française : Saint-Louis avait envoyé des cahiers de doléances aux États généraux de 1789, et les Quatre Communes avaient élu, en 1848, un député à l'Assemblée nationale ; rapidement, ces villes obtenaient le statut de communes de plein exercice et élisaient leur conseil municipal. C'est donc autour de ces Quatre Communes que se développe un embryon de vie politique démocratique. En 1914, Blaise Diagne, fonctionnaire sénégalais des Douanes, devient le premier député noir élu au Palais-Bourbon et met fin à la longue domination des métropolitains et des métis sur la vie politique des Quatre Communes. Diagne joue la carte de l'assimilation et assume un rôle majeur dans la mobilisation des soldats africains lors de la Première Guerre mondiale, espérant que le prix du sang assurera les droits des Africains, et en particulier des citoyens des Quatre Communes.

      La crise économique mondiale des années 1930 affecte durement le Sénégal, et face à un pouvoir colonial méfiant vis-à-vis de l'assimilation et soucieux de maintenir les Africains à distance, les groupes urbanisés et éduqués se mobilisent pour l'égalité de statut ; au même moment, un nationalisme culturel prend forme et revendique le droit à la différence. Sur le plan politique, c'est l'avocat Amadou Lamine Guèye, député de la Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO), élu maire de Saint-Louis en 1925, qui occupe le devant de la scène. Après l'arrivée au pouvoir du Front populaire, en 1936, le gouvernement français procède à une ouverture politique timide : les normes métropolitaines en matière de droit du travail et de liberté syndicale sont enfin introduites dans la colonie, et les conditions d'accession à la citoyenneté française sont assouplies – elles ne concernent toutefois qu'une infime minorité urbaine et éduquée.

      La fin de la période coloniale : une ouverture politique progressive

      Avec la défaite française de 1940, le gouverneur-général de l'A-OF Pierre Boisson se range du côté de Vichy et parvient, à la fin de 1940, à repousser une tentative de débarquement des Britanniques et des forces gaullistes sur Dakar. Particulièrement répressif, le régime revient sur les avancées réalisées par le Front populaire. À la suite du débarquement allié en Afrique du Nord, en novembre 1942, Boisson rejoint les Alliés sans combattre, mais doit rapidement céder la place à un gouverneur gaulliste. La conférence, qui rassemble les responsables de la France libre à Brazzaville, au Congo français, en janvier 1944, pose d'une manière très générale les principes d'une réforme de l'ensemble de l'empire colonial – meilleure représentation des colonies au Parlement, création d'assemblées élues au suffrage universel, liberté du travail.

      La vie politique s'ouvre alors et lorsqu'un collège est créé pour représenter les Africains non citoyens lors des élections d'octobre 1945 à l'Assemblée constituante, Lamine Guèye, représentant des citoyens, demande à Léopold Sédar Senghor, jeune chrétien originaire de Joal, en pays serer, professeur de lettres, poète et intellectuel actif dès les années 1930 à Paris dans les mouvements culturels afro-antillais, d'être son colistier. Alors que la gauche nationaliste du Rassemblement démocratique africain (RDA), dirigée par l'Ivoirien Félix Houphouët-Boigny, reste ultra-minoritaire au Sénégal, l'alliance Senghor-Guèye remporte un large succès. En avril 1946, les députés africains au Palais-Bourbon obtiennent la suppression du travail forcé (loi Houphouët-Boigny) et, deux mois plus tard, du Code de l'indigénat (loi Lamine Guèye) ainsi que la reconnaissance de la citoyenneté, la suppression du double collège et l'extension – progressive – du droit de vote à la population africaine. La même année est créé le Fonds d'investissement et de développement économique et social (FIDES), dont les investissements dans le domaine des infrastructures, de l'agriculture et de l'industrie vont permettre une rapide croissance économique, qui va marquer les années 1950.

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      Mais les habitants des Quatre Communes sont dépassés dans le combat pour l'émancipation, et Guèye et Senghor entrent en conflit : dès 1948, ce dernier quitte la SFIO pour créer le Bloc démocratique sénégalais (BDS). Celui-ci va s'imposer facilement car Senghor a construit de très solides relations dans l'hinterland et, en particulier, avec les califes des grandes confréries musulmanes ; de plus, il incarne la mobilisation des jeunes scolarisés venus de la « brousse » face à la domination des Quatre Communes ; et, enfin, sa modération politique lui attire la sympathie d'une partie de l'administration française. Ainsi, dès les élections législatives de 1951, Senghor et son colistier Mamadou Dia l'emportent contre Guèye. La lente montée d'un radicalisme politique d'inspiration marxiste parmi la population urbaine scolarisée ne parvient pas à remettre en cause cette hégémonie du BDS Progressivement, Senghor contraint ses adversaires à accepter leur incorporation au sein de son parti, qui prend, en 1957, le nom de Bloc populaire sénégalais (BPS). La France tente de préserver son influence en procédant à une transition en douceur en Afrique subsaharienne. La loi-cadre Defferre de juin 1956 renforce le pouvoir des assemblées pour faire de l'Afrique occidentale française une quasi-fédération de territoires autonomes. Senghor est, pour sa part, hostile à cette « balkanisation » qui, selon lui, affaiblit les jeunes nations africaines et prive le Sénégal de son leadership sur l'Afrique de l'Ouest. C'est tout de même son partenaire Mamadou Dia qui devient vice-président du Conseil de gouvernement du Sénégal créé dans ce cadre. Les revendications africaines continuent cependant à s'affirmer et les tensions au sein de la classe politique sénégalaise montent, lorsque, en 1958, le général de Gaulle propose aux territoires d'outre-mer de faire partie d'une Communauté d'États avec la France. Après des hésitations, soucieux de ne pas rompre les liens avec cette dernière, Senghor et Dia acceptent la proposition gaullienne. Rassemblée au sein du nouveau Parti du regroupement Africain- Sénégal (PRA-S), la gauche du BPS se rebelle et demande l'indépendance immédiate. Elle ne parvient cependant pas à convaincre la population, qui vote à 97 % en faveur de la Communauté lors du référendum de septembre 1958. Mais celle-ci est un compromis instable : la France refuse de payer le coût lié à la reconnaissance de l'égalité des droits des Africains et les jeunes élites africaines sont de plus en plus nationalistes. La marche vers l'indépendance reprend donc. Contre Félix Houphouët-Boigny qui, à la tête de la prospère Côte d'Ivoire, est hostile à toute idée de fédération africaine, Senghor tente de rassembler les territoires français d'Afrique de l'Ouest. Il ne rallie cependant que le Soudan français. C'est cette Fédération, dite du Mali, créée en janvier 1959, qui demande l'indépendance en septembre 1959. Celle-ci est proclamée le 20 juin 1960.

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      Écrit par

      • : agrégé de géographie, maître de conférences à l'université Paris-X-Nanterre
      • : docteur en science politique, analyste à l'International Crisis Group
      • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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      Sénégal : carte physique - crédits : Encyclopædia Universalis France

      Sénégal : carte physique

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      Sénégal : drapeau

      Delta du Sine-Saloum, Sénégal - crédits : Curioso Photography/ Shutterstock

      Delta du Sine-Saloum, Sénégal

      Autres références

      • SÉNÉGAL, chronologie contemporaine

        • Écrit par Universalis
      • AFRIQUE (Structure et milieu) - Géographie générale

        • Écrit par
        • 24 463 mots
        • 27 médias
        ...symbolisa le « caoutchouc rouge », les activités de cueillette firent place à l'agriculture d'exportation. L'arachide, encouragée dès les années 1840 au Sénégal, puis le coton se développèrent comme culture de rente dans les pays de savane. Les paysanneries, après avoir tenté de s'opposer à la « culture...
      • AFRIQUE-OCCIDENTALE FRANÇAISE (AOF)

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        • 2 médias

        Créée par un décret du 16 juin 1895, sous la direction d'un gouverneur général, l'Afrique-Occidentale française (A-OF) répond à la nécessité de coordonner sous une autorité unique la pénétration française à l'intérieur du continent africain. L'A-OF est, à l'origine, constituée des colonies...

      • ALPHABÉTISATION

        • Écrit par , et
        • 8 964 mots
        ...de vue quantitatif que d'un point de vue fonctionnel. À ces différences linguistiques s'ajoutent des situations « graphiques » particulières. Ainsi, le Sénégal présente un cas de figure que l'on retrouve dans de nombreux pays africains. Le français est la seule langue officielle bien qu'elle ne soit la...
      • AMADOU (1944- )

        • Écrit par
        • 772 mots

        Né en 1944 à Agniam Thiodaye (Sénégal), Amadou Bâ, élève de Pierre Lods (1921-1988), vit et travaille à Dakar. Sa peinture, pleinement nourrie par la tradition et que l'on pourrait qualifier de « classique » par les sujets traités – bœufs en forme de lyre, pasteurs, bateaux à fond plat sur...

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