SURRÉALISME Les revues surréalistes
Quelque peu à l'étroit dans la langue et l'imaginaire institués, le surréalisme le fut aussi à l'intérieur des genres littéraires dominants et des apparences traditionnelles du livre. D'où l'ampleur de l'offensive conduite : naissance du livre-objet, qui en appelle à une étroite collaboration avec les peintres ; recours immédiat et permanent au tract, au « papillon », d'exécution rapide et de diffusion subversive ; livres où, par la technique du collage, le texte se marie à la photographie et au document « réel » (Le Paysan de Paris d'Aragon, Nadja et L'Amour fou d'André Breton)... Intermédiaire entre le tract et le livre texte-image, la revue reste le support préféré des surréalistes. Elle autorise la plus grande diversité, accueille naturellement des textes courts et des enquêtes. Elle est, plus facilement que le livre, une œuvre collective. Enfin, elle est l'outil irremplaçable de la polémique.
« Littérature »
Les « trois mousquetaires » de 1919 (Aragon, Breton, Soupault) ont l'ambition de faire du neuf et ont dégagé des leçons de quelques antécédents : la revue Maintenant (1912-1915) d'Arthur Cravan, poète et boxeur ; Nord-Sud (1917-1918) de Pierre Reverdy qui a déjà beaucoup dit sur le rôle déterminant de l'image pour « créer une réalité poétique » ; Sic (1916-1919) de Pierre-Albert Birot qui publie Apollinaire aussi bien qu'André Breton lui-même.
Contrairement aux grandes revues « installées » (Le Mercure de France, La Revue de Paris ou la Nouvelle Revue française), les revues surréalistes seront toujours éphémères, les cinq années de La Révolution surréaliste constituant un maximum de longévité. C'est lorsque s'interrompt Nord-Sud que Breton et ses amis lancent leur première revue, Littérature, dont le titre est ironiquement choisi par Paul Valéry. Littérature connaîtra deux séries. La première (20 livraisons de 1919 à 1921) se partage entre des publications traditionnelles (Gide, Valéry, Fargue...) et des hardiesses caractéristiques des valeurs nouvelles : les Poésies d'Isidore Ducasse, des Lettres de Jacques Vaché, des fragments des Champs magnétiques par Breton et Soupault, première incursion véritable sur les voies de l'écriture automatique... Bientôt, Littérature ouvre ses pages à Dada, avec 23 Manifestes du mouvement dada, La Deuxième Aventure de M. Antipyrine, qui accélèrent et radicalisent la subversion recherchée par le groupe initial. On se met (dans le numéro 18) à noter les écrivains : Breton et Soupault obtiennent les meilleures notes, Henri de Régnier et, ex aequo, Anatole France et Foch les plus mauvaises ! « [...] notre but », précisent les auteurs, « étant non de classer, mais de déclasser ». Le dossier de L'Affaire Barrès (no 20) clôt la première série, tout en consommant la brouille de Breton avec Dada. La seconde série de Littérature (13 livraisons de 1922 à 1924) balaie définitivement les écrivains de la tradition. Désormais, il ne s'agit plus seulement de libérer la poésie, mais de libérer la vie même : jeux de mots de Rrose Sélavy, premiers récits de rêve, premières tentatives médiumniques, photographies, images signées Picabia, Max Ernst ou Man Ray... Dans le même temps, plus ou moins durables, plus ou moins concurrentes, naissent d'autres revues : 391 de Picabia, Aventure de Roger Vitrac, René Crevel et Marcel Arland, Surréalisme (un seul numéro) d'Ivan Goll...
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Écrit par
- Jacques JOUET : écrivain
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