Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

TABOU

Le mot « tabou » a été emprunté au vocabulaire des langues polynésiennes par le célèbre navigateur James Cook, lors de son passage aux îlesHawaii (1778). Mais le récit de son troisième voyage ne parut qu'en 1884. Auparavant, une expédition russo-allemande conduite par von Krusenstern en 1802 avait mentionné la présence de trois tabous sur l'île de Nuku Hiva. D'autre part, Freycinet, qui accompagnait Kotzebue en 1817, décrit le tabou comme « une institution à la fois civile et religieuse » qui signifie « prohibé ou défendu ». Cook complétera ces données en disant que le mot « s'applique à toutes choses qu'il est interdit de toucher ».

Ainsi les voyageurs ont-ils été frappés par la force et par le nombre des interdits qu'ils rencontraient et qu'ils étaient souvent eux-mêmes contraints d'observer. Plus étonnant était pour eux le fait que ce mot servît à désigner une variété infinie d'interdits allant du domaine réputé religieux aux domaines profanes ou tout au moins tenus pour tels dans la pensée européenne du xixe siècle, comme le domaine politique.

L'étude plus approfondie des chercheurs intéressés par les coutumes polynésiennes a, en effet, montré l'étroite relation qu'il y avait entre le système des interdits et la manifestation du pouvoir de la chefferie polynésienne. La hiérarchie des statuts et des rangs repose sur une échelle de tabous qui va du moins fort au plus sacré et à laquelle correspond une échelle des peines expiatoires. La puissance se mesure ainsi à la faculté d'imposer le contrôle plus ou moins étendu et durable sur les nourritures. Le système des sanctions s'appuie à la fois sur le pouvoir attribué aux ancêtres et sur le coefficient personnel que le chef parvient à imposer aux siens, à la faveur des péripéties guerrières et des fêtes cérémonielles. Dans les multiples preuves que le chef doit donner de son pouvoir, le respect des tabous et la rigueur des sanctions frappant leur transgression sont autant d'événements marquants.

L'étude de ces faits qui constituent le système de tabous montre combien il est difficile de distinguer les tabous qui sont fondamentaux, comme la loi dans son principe, et ceux qui sont directement manipulés par les accidents de la chronique, par les caprices d'un original ou par les dernières paroles d'un mourant qui institue le détail des interdits alimentaires que suivront les siens pendant toute la durée du deuil faisant suite à sa mort. C'est qu'en effet une telle distinction entre loi morale et prescriptions ou interdits imposés par une certaine pratique politique peut être conçue et vécue par chaque société de façon très différente.

Tabou et religion

Il est facile de voir que toutes les religions sont marquées par l'observance d'un système d'interdits. Mais si William Robertson Smith, en 1889, dans son livre sur la religion des Sémites (Lectures on the Religion of the Semites), reconnaît qu'il est difficile de distinguer, à l'origine des tabous, des règles sacrées, délimitant nettement le pur de l'impur, il croit pouvoir affirmer que l'apparition des religions permet de séparer les tabous « sauvages », restes de superstitions primitives, des prescriptions sacrées, au caractère spirituel plus élevé. La pensée du xixe siècle, prisonnière de son apologie du progrès de la civilisation et de sa vision évolutionniste et unidimensionnelle de l'histoire, ne pouvait manquer, dans son étude des phénomènes religieux, d'amener l'analyse à distinguer les superstitions des formes supérieures d'adoration du sacré. Aussi, lorsque la Bible énonce une série d'interdits, Robertson Smith veut ne voir là qu'une « religion de tabous », détestable survivance d'un état primitif où la spiritualité religieuse[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

Classification

Médias

Are'are de l'île de Malaita : six tabous du requin - crédits : Encyclopædia Universalis France

Are'are de l'île de Malaita : six tabous du requin

Are'are de l'île de Malaita : six interdits du requin - crédits : Encyclopædia Universalis France

Are'are de l'île de Malaita : six interdits du requin

Autres références

  • ABORIGÈNES AUSTRALIENS

    • Écrit par
    • 7 150 mots
    • 5 médias
    ...concernent quatre domaines principaux : les relations de parenté et d'alliance, le deuil, les rites totémiques et les rites qui ponctuent le cycle de vie. Le tabou le plus important, commun à tous les Aborigènes, interdit à un garçon et à une fille d'approcher l'un de l'autre et de se parler s'ils sont en...
  • ALIMENTATION (Comportement et pratiques alimentaires) - Anthropologie de l'alimentation

    • Écrit par
    • 6 095 mots
    • 3 médias
    ...classification : Mary Douglas évoque à ce sujet les animaux difficiles à classer qui passent ainsi dans la catégorie des chairs dangereuses et illicites. Les tabous s'apparentent à ce principe, mais comme ils semblent provenir d'un rapprochement entre classification des humains et classification des animaux...
  • CANNIBALISME

    • Écrit par et
    • 4 188 mots
    • 1 média
    Expliquer le sentiment de culpabilité par l'« hérédité des dispositions affectives » et faire du tabou « une prohibition très ancienne, imposée du dehors par une autorité » et une « tradition transmise par l'autorité paternelle et sociale », c'est assurément sous-estimer la véritable importance...
  • DEUIL

    • Écrit par
    • 1 340 mots
    • 1 média

    Dans le langage courant, le mot « deuil » renvoie à deux significations. Est appelé deuil l'état affectif douloureux provoqué par la mort d'un être aimé. Mais deuil signifie tout autant la période de douleurs et de chagrins qui suit cette disparition. Le deuil est donc constitutif d'une...

  • Afficher les 11 références