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THE QUEEN (S. Frears)

Le samedi 6 septembre 1997, le comte Spencer fait l'éloge funèbre de sa sœur Diana, princesse de Galles : « Je me trouve devant vous, aujourd'hui, le représentant d'une famille meurtrie, d'un pays en deuil, devant une planète en état de choc. » Un million de personnes ont déjà suivi le convoi entre Kensington Palace et Westminster, trente millions de Britanniques sont devant leur télévision et, au-delà des mers, deux cents pays retransmettent la cérémonie devant plus de deux milliards de téléspectateurs. La reine est vêtue de noir, accompagnée de toute sa famille. Dans l'abbaye de Westminster se pressent têtes couronnées, chefs d'État et personnalités du show-business, et bien entendu, le tout nouveau Premier ministre, Tony Blair et son épouse Cherie. L'émotion est à son comble lorsque Blair fait la lecture de la première Épître de saint Paul aux Corinthiens, suivi d'un vibrant Candle in the Wind, chanté par la rock star Elton John.

Ce n'est pas l'histoire de la « princesse du peuple » que Stephen Frears a choisi de raconter dans The Queen (2006), mais les moments qui suivent l'accident tragique à Paris, le 31 août 1997, de Diana et de son amant Dodi Al-Fayed, mêlant habilement images d'archives de la B.B.C. et reconstitutions très soignées. Tout en rappelant le tourbillon médiatique créé autour de la mort de Diana, le film fait entrer le spectateur dans les intimités familiales de la reine comme du Premier ministre. Le choix des acteurs permet sans difficulté de passer du réel à la fiction : Helen Mirren (prix d'interprétation au festival de Venise) incarne littéralement The Queen, avec des accents shakespeariens, Michael Sheen est mimétique en jeune et fringant Premier ministre et tous les autres apparaissent très crédibles.

Le projet du réalisateur et de son scénariste Peter Morgan n'est pas de proposer un film d'histoire, ni vraiment un film politique à thèse, mais de faire la chronique douce-amère et souvent drôle de deux mondes, l'un qui semble s'effondrer (la monarchie en crise), l'autre qui représente la modernité (le New Labour, victorieux des élections en mai 1997). Deux mondes qui appartiennent à deux planètes, filmées d'ailleurs très différemment – le 35 mm grand angle chez les Windsor, le super-16 mm caméra sur l'épaule chez les Blair –, et qui communiquent par l'intermédiaire d'un protocole suranné. Heureusement, il y a le téléphone et surtout le poste de télévision, presque toujours allumé, qui permet aux uns et aux autres de ne pas perdre le fil de l'actualité, même au lit ! Les personnages gardent d'ailleurs en général leur flegme et leur sens de l'humour, vertus toutes britanniques on en conviendra.

Or, en quelques jours, les valeurs basculent, et pas dans le sens attendu. En vacances à Balmoral – magnifiques images d'une Écosse hors du temps –, murée dans un silence presque cérémonieux, Élisabeth est plus décontenancée que vraiment indifférente à ce qui se passe à l'extérieur du château royal. Puisque Diana ne fait plus partie de la famille, pourquoi donc abandonner les parties de chasse et s'exposer à Londres, mettre aussi en danger les fils de la princesse ? Tony Blair a pendant quelques jours les moyens politiques – et médiatiques – de faire vaciller un édifice politique qu'il souhaite par ailleurs rénover. La presse se déchaîne, dans une violence assez soudaine mais caractéristique de la pusillanimité des médias britanniques : « C'est l'instant de tous les dangers pour la monarchie britannique, peut-on lire ainsi dans The Scotsman, le 1er septembre [...] Si la mystique est au cœur même de la royauté, quel mystère peut-il y avoir dans cette dynastie si ordinaire – en dehors de sa richesse –, dont aucun membre ne semble incarner[...]

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, docteur en histoire, professeur de chaire supérieure au lycée Louis-le-Grand, Paris

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