Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

KUNTZEL THIERRY (1948-2007)

Dire des bandes et des installations vidéo de Thierry Kuntzel que leur thème fondamental est celui du temps relèverait du simple truisme s'il ne s'agissait d'une forme de temporalité essentielle dans l'existence de tout être humain : celle de la finitude. Par la lumière du soleil qui se projette sur les murs d'une pièce, par des plans fixes et comme inaltérables, par des images fortement ralenties ou accélérées, la vision du spectateur est sollicitée de telle sorte qu'elle n'est plus un simple réceptacle du passage du temps mais participant, bien au contraire, de la finitude des objets et des êtres montrés. Ses vidéos empruntent également à l'esthétique cinématographique et photographique, ainsi qu'à la littérature.

Thierry Kuntzel, né à Bergerac, a d'abord écrit des textes théoriques et critiques sur le cinéma pour diverses revues dans les années 1970 ; puis il rédige de courts textes sur son propre travail, qui débute véritablement en 1979. Ses installations et ses bandes vidéo font également intervenir une certaine littérarité non seulement parce qu'elles s'inspirent parfois d'un texte (La Vue de Raymond Roussel dans Buena Vista, 1980) ou du personnage d'un écrivain (Robert Walser dans Hiver, 1990), mais aussi parce qu'elles mettent en mouvement une forme de narration liée directement à la mémoire des images perçues.

Une installation comme La Desserte blanche (1980), où s'opèrent des transformations minimes d'objets sur une table, ou une bande comme Time Smoking a Picture (1980), qui se déroule en plan fixe pendant trente-huit minutes, requièrent un constant travail de remémoration de la part du spectateur. Celui-ci doit reconstruire les disparitions, les déplacements ténus, les dématérialisations de l'image, et ce non par la vue mais grâce à un fil narratif, même métaphorique, qui relie les moments du passé récent. Le spectateur doit se souvenir que quinze minutes auparavant une ombre a bougé rapidement, qu'une fenêtre s'est ouverte, qu'une forme s'est évanouie, qu'une pomme a changé de place.

Contrairement à ce temps quantitativement distendu, les installations réalisées depuis la fin des années 1980, qui ont été présentées à la galerie nationale du Jeu de Paume, en 1993 (depuis Été, double vue, 7 min, 1989), se déroulent dans un temps condensé, restreint, mais gardent une qualité temporelle permettant de percevoir la finitude de l'existence. Sans drame ni morbidité, sans lyrisme ni pessimisme, le travail de Kuntzel présente l'état entropique du monde : à un premier niveau qui est celui des traitements techniques et plastiques d'images presque immatérielles, et à un second niveau qui est celui de l'effacement symbolique de notre regard en tant que perception qui nous fait exister et fait exister ce qui nous est extérieur.

Il n'est point question des limites naturelles de l'œil ou des limites technologiques de la caméra, mais de la limite de la perception du monde, donc de l'existence des choses et des êtres à travers notre regard. L'image du temps, les effacements, les disparitions et les réapparitions de ce qui est vu à l'écran sont un dialogue avec la finitude, un dialogue avec la mort. Mais, chose paradoxale, c'est le regard porté sur ces images nous restituant le monde qui nous entoure qui le fait aussitôt exister comme réalité. L'image actualise la finitude à chacune des étapes, la rend perceptible au regard dans le reflet permanent de lui-même. En s'identifiant à la vision éphémère d'un personnage ou à son corps disparaissant progressivement, le spectateur prend conscience qu'il peut aussi, à l'instar de l'image, disparaître dans le néant. Cette méditation sur la disparition, si elle prend forme d'installation ou de vidéo, trouve souvent son point de départ dans une figure d'artiste et dans la forme évocatoire[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur en esthétique à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, critique d'art

Classification

Autres références

  • VIDÉO ART

    • Écrit par , et
    • 5 807 mots
    Si certains vidéastes recourent aux théories et aux logiques littéraires, d’autres, tels Thierry Kuntzel (Buena Vista, 1980) ou Pierrick Sorin (Réveils, 1988 ; Pierrick et Jean Loup, 1994), font quant à eux souvent référence à certains modes de constructions d’images et de narration propres au...