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TISSUS D'ART

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Extrême-Orient

Soie

Chine

Production de la soie - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Production de la soie

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Le ver à soie (Bombyx mori) est originaire des provinces septentrionales de la Chine. Les Chinois ont été les premiers à tisser la soie de ses cocons et à produire des étoffes de soie à motifs décoratifs. La vraie soie est le fil continu que l'on obtient en dévidant le cocon émis par le Bombyx. Pour que le fil soit continu, il faut tuer la chrysalide sans abîmer le cocon, avant l'éclosion. Là réside le secret. De plus, pour donner au fil toute sa solidité, sa finesse, son élasticité, il convient de fournir à la chenille fileuse des soins constants et une certaine nourriture à l'exclusion de toute autre.

Un cocon de Bombyx mori artificiellement coupé fut découvert en 1926 sur un site néolithique dans le sud du Shanxi. Le tissage de la soie est attesté dès la fin de l'époque Shang (xvii-xie s. av. J.-C.) par l'empreinte qu'ont laissée des fragments de soierie sur certains bronzes.

Les centres de production de soie se sont étendus, au cours de l'histoire chinoise, du nord vers le centre et le sud du pays. Aux environs de l'ère chrétienne, le Shandong est encore le centre le plus prospère de production et de manufacture ; à l'époque Song (960-1279), à côté des régions du Nord et du Sichuan qui fournissent de la soie de haute qualité, la production se développe en Chine centrale. Les provinces du Centre et certaines régions du Sud apparaissent comme les principaux producteurs de soie, tandis que le Nord (Shandong et Henan) se spécialise dans la fabrication du tussor.

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La sériciculture, qui fut toujours en Chine le complément de l'agriculture dans l'économie familiale, demeura très longtemps le travail des femmes. Son importance est due en partie aux multiples usages de la soie dans la vie quotidienne ; la soie servit très tôt non seulement à la confection des vêtements, des articles de luxe, mais à celle des cordes pour les instruments de musique, des fils de pêche, des cordes d'arc, de toutes sortes de liens. La bourre de soie était utilisée pour matelasser les vêtements d'hiver et pour faire du papier chiffon. Dès le viie siècle avant notre ère, la soie servit de support à la calligraphie, à la peinture et à la rédaction de certains actes officiels.

Très tôt, la soie devient une valeur pure. Elle sert, au même titre que le grain, à payer le salaire des fonctionnaires, à récompenser les services exceptionnels. Elle devient la monnaie d'échange avec les pays étrangers. Le commerce de la soie, apparu peut-être antérieurement au iiie siècle avant notre ère, s'intensifie avec la dynastie Han (iiie . av.iiie s. apr. J.-C.). Des soieries Han furent retrouvées en Corée, en Mongolie (Noin-Ula), au Xinjiang (Turkestan chinois). Loulan, important marché sur la route de la soie, de même que Niya, à l'est de Khotan, ont livré de très nombreux fragments de ces tissus qui provoquèrent l'admiration du monde gréco-romain. Le iie siècle de notre ère marque l'âge d'or du grand commerce le long de la route de la soie, qui unissait la côte syrienne à la capitale chinoise Chang'an par le nord de l'Iran, la Sogdiane, la Bactriane et les oasis du Xinjiang. La Chine exportait ses soies vers l'Occident, mais essayait d'en conserver les secrets de fabrication ; ceux-ci se répandront peu à peu en Inde et en Iran dans les premiers siècles de notre ère ; la sériciculture sera introduite à Byzance vers le milieu du vie siècle. Cependant, il faudra attendre l'importation des soieries de l'époque Yuan (1280-1368) pour que se développent les premiers centres européens de fabrication (Pise, Lucques).

— Michèle PIRAZZOLI-T'SERSTEVENS

Japon

Introduite au Japon vers les iie-iiie siècles de l'ère chrétienne, la sériciculture, dont les techniques s'élaboraient en Chine depuis près de deux millénaires, semble être restée longtemps l'apanage d'immigrés coréens et chinois. Au milieu du vie siècle, l'introduction du bouddhisme et de la culture continentale devait donner aux soieries un rôle prépondérant. Celles-ci sont réservées à la cour et au rituel de la religion étrangère.

Dès l'époque de Nara, un Bureau des tisserands, établi au palais, recevait les fils et les pièces tissées qu'envoyaient, au titre du tribut et des taxes, Kyūshū et la région de l'actuel Kyōto où était établi le clan coréen des Hata. Au monastère du Hōryū-ji et au Shōsō-in (fondé en 756) sont conservés de nombreux fragments d'étoffes variées : gaze, satin, damassés ton sur ton ou polychromes, galons, broderies tsuzurenishiki (chin. kesi). Ils constituent le répertoire le plus complet de soieries extrême-orientales de l'époque Tang, et il est difficile d'y distinguer les créations de l'industrie locale des productions importées du continent.

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Lors du transfert de la capitale à Heian (794), le Bureau des tisserands poursuivit son activité. C'est à cette époque que furent fixées les règles concernant les costumes de cérémonie des souverains et des grands dignitaires. Le souci d'élégance de la cour donna naissance à des harmonies colorées et à des décors différents de ceux de la Chine. Aux motifs exotiques et symétriques sont préférés les semis de fleurettes, les papillons ou les oiseaux volant parmi les branches fleuries, souvent rehaussés de poudre d'or et d'argent. Les cadeaux de vêtements ou de pièces d'étoffes sont fréquents à la cour à l'occasion des grandes fêtes, et cette coutume se perpétuera jusqu'à l'époque actuelle.

Mais le monopole impérial touche à sa fin. L'aristocratie se procure des fils de soie sur ses propres domaines et les fait travailler par les ateliers de tisserands établis dans la capitale. Ceux-ci restent fidèles à leurs traditions ancestrales et les innovations sont surtout dues aux divers procédés d'impression utilisés par les teinturiers.

Accédant au pouvoir politique, les guerriers s'arrogent le droit de se vêtir de soie et d'en orner leurs armures. La reprise du commerce avec la Chine accroît la vogue des soieries chinoises, dont la renommée n'avait au reste jamais disparu. Les importations se font toujours plus importantes, pièces d'étoffe, morceaux de vieux vêtements qui servaient à envelopper les objets précieux et, surtout, fils dont la torsion accroissait la résistance. C'est avec ces derniers que seront tissés et brodés les splendides costumes des acteurs de et les vêtements des grands daimyō, dont certains sont conservés dans les monastères bouddhiques ou les sanctuaires shintō.

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En dépit de l'isolement du Japon à partir de 1635, ce commerce se poursuivra par l'intermédiaire de Nagasaki jusqu'à la fin du xviiie siècle. À cette époque, grâce au développement de l'imprimerie, la diffusion des traités chinois de sériciculture et certains progrès techniques donnent une impulsion nouvelle à l'industrie japonaise qui se développe dans différentes provinces. Certes, Kyōto reste le grand centre avec les tisserands du quartier de Nishijin, créateurs de brocarts à fils d'or et d'argent, et les artisans qui ornent au pinceau les kimono de somptueux motifs polychromes, en utilisant les réserves à la colle de riz (yuzen-zome). La demande de soieries ne cesse de croître, elles sont utilisées par la classe marchande, les acteurs, les geisha, le monde des quartiers réservés. La qualité des étoffes s'améliore. À partir de l'époque Meiji, grâce à l'introduction de métiers occidentaux, les soieries japonaises renommées pour leur excellence feront l'objet d'un commerce mondial.

— Madeleine PAUL-DAVID

Tissage

Chine

La connaissance des techniques anciennes de tissage des soies chinoises est fondée sur un certain nombre de découvertes et de vestiges qui permettent de remonter dans l'étude de cet art jusqu'à la fin du IIe millénaire avant l'ère chrétienne :

– Empreintes laissées sur des haches de cérémonie et sur des vases en bronze de la fin des Shang (xive-xie s. av. J.-C.) et début des Zhou (xie-xe s. av. J.-C).

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– Textiles trouvés en Sibérie à Pazyryk (vie-ve s. av. J.-C.), en Chine même à Shouxian et à Changsha (époque des Royaumes combattants, ve-iiie s. av. J.-C.).

– Nombreux vestiges datés de l'époque Han (iiie s. av.-iiie s. apr. J.-C) provenant de Chine (Shanxi, Xinjiang), de Corée (Lelang), de Sibérie, de Mongolie (Noin-Ula, sépultures Xiongnu, fouilles de Kozlov), de Palmyre.

– Pour l'époque des Trois Royaumes et des Six Dynasties (iiie-vie s.), vestiges provenant des tombes de Loulan et d'Astana au Xinjiang.

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– Pour l'époque Tang (618-907), quelque 20 000 tissus conservés au Shōsō-in de Nara (Japon) et comprenant des fragments de bannières bouddhiques, de costumes, d'écrans, de housses destinées à des instruments de musique ; pour la même époque, les tissus découverts par sir Aurel Stein, puis par Paul Pelliot, à Dunhuang, au Gansu, et ceux qui proviennent du Xinjiang.

– Enfin, pour une période plus récente, on doit une bonne part des informations sur les soieries Yuan (1280-1368) à des spécimens tirés de sépultures égyptiennes, à des soies pour la cérémonie du thé rassemblées dans les collections japonaises, ainsi qu'à des vêtements sacerdotaux et à des enveloppes de reliques préservés sans les sacristies d'églises chrétiennes.

Les recherches sur les techniques de tissage en Chine ne font cependant que commencer, et il est normal que les travaux prennent pour point de départ les époques anciennes. De plus, la technique très raffinée de tissage des fils de soie à laquelle, dès l'Antiquité, sont parvenus les artisans chinois, l'étonnante qualité et le rayonnement des produits réalisés ont centré les études sur les tissus de soie au détriment des autres fibres (chanvre, ramie, laine, coton). Faute de documentation solide, on n'abordera donc pas ici ces domaines moins prestigieux, de même que seront négligées les œuvres tardives relevant de perfectionnements techniques anciens.

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En règle générale, on peut dire qu'en Chine la torsion des fils de soie a tendance à être plus faible que celle des types correspondants que produira l'Europe, mais la soie chinoise, le plus souvent, n'est pas complètement décreusée avant tissage. Le long fil dévidé, non mouliné, gardait une quantité de séricine suffisante pour que les fils serrés de la chaîne aient la possibilité de glisser facilement. Le fil de chaîne fondamental était à deux bouts retordus en Z.

Les tissus de soie de l'époque Han (IIIe s. av.-IIIe s. apr. J.-C.)

Les tissus de soie de l'époque Han, qui se distinguent nettement entre eux par leur mode de croisure, se caractérisent par le rôle particulièrement important de la chaîne, au moyen de laquelle se tissaient les motifs, tandis que la trame n'avait qu'une position subordonnée.

Le genre le plus simple comprend les tissus monochromes. La densité des fils de chaîne peut aller jusqu'à 180 au centimètre (la moyenne étant comprise entre 60 et 100 fils de chaîne au centimètre). Ces soieries étaient généralement teintes en pièce. Il en est de même des damassés, l'un des types les plus répandus à l'époque Han et qui était déjà connu à l'époque Shang. Le motif est le plus souvent tissé par la chaîne, mais le décor réalisé par la trame apparaît également (Noin-Ula), et cela dès la période des Royaumes combattants (Changsha). La présence d'un grand nombre de gazes à croisures ajourées parmi les vestiges de l'époque Han montre la large diffusion de cette croisure en Chine ancienne. Les façonnés polychromes, connus bien avant les Han, teints en fil et présentant, à l'opposé des tissus monochromes, une lisière marquée, sont exécutés suivant la technique « taffetas double-face une trame » (étoffes de deux chaînes) ou « taffetas à chaînes multiples à endroit entièrement chaîne » lorsque l'étoffe possède trois chaînes ou plus. Le décor est donné par les chaînes. Les fils de trame sont toujours d'une seule couleur. Les artisans augmentaient le nombre des couleurs par adjonction de chaînes de coloration différente. Certains tissus ont donc deux chaînes, d'autre trois, certains même en possèdent quatre.

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Comme l'écrit Krishnā Riboud (Arts asiatiques, t. XVII, 1968), « les façonnés polychromes de la période Han témoignent d'une telle complexité et d'une telle recherche dans l'organisation et la synchronisation qu'une habileté technique aussi étonnante ne s'est manifestée nulle part ailleurs ».

La décoration par « effet chaîne » qui fait apparaître à l'endroit du tissu des flottés du coloris désiré, nécessite une très forte densité de chaîne (on trouve couramment 120 à 160 fils au centimètre). La trame unique utilisée, pratiquement invisible sur l'endroit du tissu, remplit deux fonctions : elle sert alternativement à la formation de la croisure apparente « taffetas » et à la séparation des divers coloris de chaîne pour la production du décor.

Certains rapports atteignent la largeur entière de l'étoffe (50 cm environ) entre les deux lisières, alors qu'en hauteur au contraire le rapport est généralement assez faible.

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Ces façonnés étaient exécutés sur un métier dit « aux baguettes ». Les motifs d'oiseaux et d'animaux fantastiques, dans des enroulements de nuages rappellent l'ornementation des laques contemporains.

L'époque des Trois Royaumes et des six Dynasties (IIIe-VIe s.)

Si les méthodes Han pour les façonnés polychromes sont peu à peu abandonnées entre l'époque des Han et celle des Tang, on connaît mal l'évolution des techniques de tissage pendant cette période. Le décor évolue : les motifs végétaux stylisés inscrits à l'intérieur de formes géométriques dominent, ainsi que les bandes de damiers. Une nouvelle technique de tissage apparaît, le sergé chaîne double-face, qui a dû se développer au ve ou au début du vie siècle et triomphera à l'époque Tang. Cette technique implique une structure plus compliquée et permet un champ plus large de motifs et de rapports. L'exécution se faisait au métier à la tire.

La floraison Tang (VIIe-Xe s.)

Les tissus polychromes de l'époque Tang paraissent plus audacieux dans leurs dimensions et dans leur conception que leurs prédécesseurs Han dominés, dans le décor, par une sorte de rigueur symbolique.

La méthode à effet chaîne se maintient, mais cède peu à peu la place à l'effet trame.

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On a attribué les décors Tang, oiseaux ou animaux affrontés dans un médaillon au bord souvent perlé, de même que la technique nouvelle, le sergé chaîne double-face, à l'influence sassanide. Ce jugement demanderait à être nuancé, car le style sassanide lui-même avait été influencé par la Chine (tissus Han trouvés à Palmyre et remontant au plus tard à 273 apr. J.-C). Par ailleurs, notre connaissance incomplète de l'évolution des textiles chinois entre le iiie et le viie siècle incite à la prudence.

À l'époque Tang, de vrais brocarts sont fabriqués avec une feuille d'or tordue sur des fils de soie. La mode s'instaure aussi de mêler au tissage des plumes de martin-pêcheur. Les tissus imprimés étaient également très en vogue. Là encore, la technique, attestée dès l'époque des Royaumes combattants, atteint sous les Tang sa pleine maturité. Trois méthodes sont employées :

– le procédé jiaoxie, connu au Japon sous le nom de shibori, dans lequel l'étoffe est serrée très fortement à l'aide d'une cordelette ; l'opération terminée, la cordelette enlevée laisse apparaître des blancs aux endroits où la couleur n'a pu pénétrer ;

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– l'impression à la cire ;

– le procédé jiaxie, qui consiste à presser le tissu entre deux planches de bois dans lesquelles le décor à imprimer a été gravé ; on verse une pâte liquide qui doit sécher, puis la teinture ; lorsque celle-ci est sèche, on enlève la pâte qui laisse apparaître le décor.

Les motifs et les coloris des soies imprimées Tang, très proches de ceux des céramiques à glaçures contemporaines, ont peut-être inspiré les potiers.

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Soies monochromes, façonnés polychromes, damassés, gazes, brocarts à fil d'or et d'argent, tissus imprimés, toutes les techniques qui feront la gloire des tisserands chinois des Song aux Qing sont constituées à l'époque Tang. Seul le velours n'est pas tissé avant la fin du xvie siècle ; introduite entre 1580 et 1590, cette nouveauté, venue vraisemblablement d'Espagne, se développe rapidement et la Chine, dès le début du xviie siècle, produit suffisamment de velours pour en exporter.

— Michèle PIRAZZOLI-T'SERSTEVENS

Japon

Des empreintes d'étoffes décelées sur la base des poteries Yayoi indiquent que le tissage fut introduit au Japon au début de notre ère. Il semble que le chanvre, qui resta longtemps la base des vêtements populaires, était alors utilisé. De nombreuses fusaïoles ont été retrouvées dans les sites de l'époque. Des éléments primitifs de métier à tisser ont été découverts à Karako dans le Yamato et à Toro, près de Shizuoka.

Des traces de soieries ont été relevées sur les armes et sur les miroirs exhumés des grandes sépultures des ive-vie siècles au Yamato et dans la région d'Okayama. Elles révèlent plusieurs armures simples aux trames relativement serrées en dépit de l'irrégularité des fils.

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Au vie siècle, des transfuges coréens et chinois, organisés en be, groupes qui se transmettaient leurs techniques de père en fils, sont établis dans quelques provinces et y pratiquent la sériciculture et le tissage. Dans la région de Kyōto, le clan coréen des Hata donna peut-être son nom au métier à tisser.

Dès l'aube du viie siècle, les couleurs diverses des étoffes de soie permettent de distinguer les rangs dans la hiérarchie des dignitaires de la cour du Yamato. Bon nombre de ces étoffes ont dû être apportées du continent. En 701, la réforme de Taihō institue à la cour un Bureau des tisserands (Oribe no tsukasa) qui, avec diverses modifications, se perpétuera jusqu'au xiiie siècle. En outre, au titre du tribut et des taxes, diverses provinces envoient au palais impérial des textiles (chanvre et soieries). Au cours du viiie siècle sont édictés plusieurs règlements concernant cette production. Le monastère de Hōryū-ji et le Shōsō-in conservent de nombreux échantillons de qualités très diverses : taffetas, gaze, sergés à décor polychrome sur chaîne ou sur trame. Les études entreprises n'ont pas encore permis de distinguer avec précision les productions locales de celles qui, fort nombreuses, ont été importées de Chine.

En 794, le Bureau des tisserands suivit la cour impériale à Heian et dut y jouer un rôle important, attesté par le souci d'élégance de l'aristocratie. Malheureusement, peu de vestiges ont été conservés. On sait qu'au xiiie siècle des transfuges de ce bureau étaient établis dans les quartiers d'Otoneri-machi et d'Omiya-chō. Ils travailleront pour les guerriers qui, parvenus au pouvoir, se sont arrogé le droit de porter des vêtements de soie. Traditionalistes et jaloux des secrets de leur métier, les tisserands de Heian sont hostiles à toute innovation et leur production perd sa qualité. Aussi, les soieries chinoises sont-elles réputées. À la fin du xve siècle, la capitale est ravagée par les troubles de la période Ōnin. De nombreux artisans trouvent refuge à Sakai (port au sud d'Ōsaka), où résidaient des marchands d'étoffes chinoises. Une tradition veut qu'au milieu du xvie siècle, un Chinois ait fait connaître dans cette ville les techniques utilisées dans son pays, ainsi que le métier à la tire. Celui-ci remplace bien vite le métier à baguettes chez les artisans du quartier de Nishijin à Kyōto, et on le voit représenté, dès le début du xviie siècle, dans des teintures illustrant des occupations de divers artisans. C'est sur ce métier nouveau que seront tissés les somptueux costumes de de l'époque Momoyama (fin du xvie s.).

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En dépit des mesures restrictives éditées par les shōgun Tokugawa, la bourgeoisie marchande, le personnel des quartiers de plaisirs, les acteurs du théâtre kabuki forment une clientèle avide de nouveauté. Les marchands de soie de Kyōto s'ingénient à créer des modèles qu'ils feront exécuter à Nishijin.

Dès la fin du xvie siècle, la culture et le tissage du coton prennent une grande extension, et ce textile se substitue au chanvre.

À partir du xviiie siècle, la sériciculture, longtemps négligée au profit de l'importation de fils de soie de Chine, fait des progrès rapides et des ateliers de tissage sont établis dans les provinces. Kyōto reste cependant le centre de production le plus réputé. Dès 1872, des tisserands de Nishijin se rendront à Lyon d'où ils rapporteront le métier Jacquard. La qualité des soieries japonaises assurera leur réputation dans le monde entier et des ateliers de tissage, organisés à l'échelle industrielle, s'adapteront ensuite aux fibres synthétiques. Mais Nishijin, gardien des traditions, poursuit son activité.

— Madeleine PAUL-DAVID

Broderie

Chine

L'art de la broderie en Chine remonte peut-être à la fin du IIe millénaire avant notre ère, mais les plus anciens exemples subsistant datent du IIIe s. avant J.-C. ; ce sont des fragments de soie. La broderie y est exécutée au point de chaînette en soie de diverses couleurs. À partir de l'époque Tang (618-907) se répand la technique du passé plat, qui semble avoir été connue dès les premiers siècles de notre ère et employée en même temps que le point de chaînette. Elle supplante, dès la fin des Tang, le point de chaînette et devient la base de tous les développements ultérieurs. D'autres innovations apparaissent à cette époque : l'emploi des fils d'or ou d'argent couchés pour dessiner le contour des fleurs, des feuilles et d'autres détails.

Sous les Song (960-1279), la broderie au passé prédomine, influencée par la peinture. Il est à la mode de copier en broderie des peintures. Cette tradition se poursuit sous les Ming (1368-1644), avec les œuvres de la famille Gu à Shanghai au xvie siècle, dont le style se perpétuera à Suzhou au Jiangsu. L'art de la broderie connaît alors un grand développement, les techniques se perfectionnent et se diversifient ; le brodeur emploie souvent plusieurs points et combinaisons différents sur un même tissu pour obtenir une plus grande gamme d'effets. Les divers procédés sont utilisés au xviiie siècle, puis se raréfient peu à peu. À la fin du xviiie siècle, la broderie à petits nœuds (issue du point de chaînette) se répand et sera très employée (fabrication en Chine centrale) au xixe siècle, en même temps que des points importés d'Europe.

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La broderie, exécutée sur soie, satin ou gaze de soie, servait en Chine à orner non seulement les vêtements, les robes de cérémonie, mais aussi les bannières bouddhiques, les tentures, les couvertures de lit ; certaines pièces pouvaient être accrochées et étaient appréciées à l'égal de peintures.

Les motifs utilisés (fleurs, oiseaux, paysages, scènes de la vie) sont très variés et reproduisent souvent des symboles évoquant des souhaits ou marquant le rang et la fonction des personnages qui les portent.

Le travail était exécuté soit à la maison, où il faisait partie de l'éducation des jeunes filles, soit dans des ateliers de brodeurs. Certains centres sont particulièrement célèbres : Pékin, Canton, le Sichuan, la région du moyen Yangzi, et surtout celle du bas Yangzi, avec des villes comme Hangzhou et Suzhou, qui comptait encore en 1958 plus de 200 000 brodeurs.

— Michèle PIRAZZOLI-T'SERSTEVENS

Japon

Issue des traditions chinoises, la broderie apparaît au Japon lors de l'introduction dans ce pays, sous le couvert du bouddhisme, de la civilisation continentale. Dès 608, un ambassadeur des Sui, envoyé à la cour du Yamato, signale l'élégance des costumes princiers : coiffures dorées et vêtements brodés.

Au Chūgū-ji de Nara, le Tenjūkoku-mandara présente un aspect moins frivole de cet art. Il fut exécuté en 623, selon le vœu de la princesse Tachibana Oiratsume, désireuse d'évoquer le monde paradisiaque auquel devait avoir accédé son époux, Shōtoku-taishi, fervent adepte de la religion étrangère. Il n'en subsiste qu'une surface de 80 centimètres où sont réunis, pêle-mêle, les motifs les mieux conservés. Ils sont brodés sur une gaze en matoinui et ont l'aspect encore fruste de la broderie au tambour où des fils tordus, disposés en masses parallèles, dessinent des plages aux vives couleurs.

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À l'époque de Nara (viiie s.), sous l'influence des Tang, d'autres méthodes : tsuzure – en chinois kesi – (Taema-mandara), point de chaînette et point noué, feront leur apparition, mais les artisans japonais semblent rester fidèles à la broderie au tambour qui s'est perfectionnée (sashinui). Elle utilise des soies floches aux fils très rapprochés dont les directions variées permettent de modeler les formes et de ménager de savants dégradés (ungen), très prisés par les peintres du temps. Le procédé paraît s'être perpétué pour les bannières et tentures bouddhiques jusqu'à l'époque Kamakura (xiiie s.).

À partir du xvie siècle, l'influence des broderies et des brocarts (ingin) des Ming se conjugue avec les goûts de la classe guerrière éprise de luxe et soucieuse de prestige. On voit apparaître sur les kosode (le kimono) aux manches étroites des feuilles d'or et d'argent, collées sur l'étoffe (suihaku) et rehaussées de broderies (nuihaku). Il s'agit toujours de broderies au tambour, mais les motifs sont d'abord délimités par des points au lancé qui en cernent le contour, accusant les nervures des feuilles ou séparant les pétales. De dimensions restreintes, ces motifs prendront peu à peu de l'ampleur et, à la fin du xviie siècle, ils couvriront de riches compositions décoratives les parures aristocratiques et les costumes de .

Au xviiie siècle, l'invention du yuzen-zome (teinture à la cire) reléguera au second plan la broderie, qui se bornera à souligner ou à compléter les éléments du décor. Alliée aux fils d'or, elle subsistera également dans les obi (à l'origine simples cordons, devenus de larges ceintures drapées) et dans les furoshiki, carrés d'étoffe destinés à la présentation des cadeaux princiers.

— Madeleine PAUL-DAVID

Tapisserie de Chine

Les tapisseries au petit point (kesi) constituent, à partir de l'époque Song (960-1279), l'un des produits les plus raffinés de l'industrie de la soie en Chine.

La date d'introduction de cette technique reste controversée. Selon J. P. Dubosc et Schuyler Cammann, les premiers kesi chinois semblent remonter au début du xie siècle. D'origine occidentale, la technique était pratiquée par les Turcs Ouigours du Turkestan oriental, qui l'auraient apportée lors de leur installation en Chine du Nord au début du xie siècle. L'expression même de kesi, empruntée au ouigour, serait un essai de reproduction phonétique du persan qazz (arabe khazz).

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Les fragments de tapisserie de la fin des Tang (viiie-xe s.) découverts à Dunhuang seraient en fait, comme ceux qui ont été trouvés à Turfan, l'œuvre d'artisans ouigours. Ceux-ci, qui auraient appris la technique des Sogdiens, apportaient déjà à la cour des Tang des kesi, qui se distinguaient des tapisseries exécutées sur un grand métier que connaissait alors la Chine. L'expression kesi aurait ainsi été adoptée à l'époque Song pour désigner ce type nouveau, une tapisserie de soie à effets picturaux.

Seules des études techniques sur les tapisseries conservées de l'époque Tang (provenant de Dunhuang, de Turfan, ainsi que du Shōsō-in et du Taima-dera de Nara, au Japon), comparées avec les kesi Song, permettront d'élucider le problème.

Le premier centre de fabrication des kesi sur le modèle ouigour fut peut-être, dès le xie siècle, Dingzhou au Hebei, réputé également pour ses céramiques blanches. Les fragments conservés servirent souvent de couvertures à des peintures ou à des manuscrits. La soie utilisée, non traitée, est teinte avant le tissage. Les kesi Song comptent parfois 380 fils de chaîne et 110 fils de trame pour 3 centimètres carrés, d'autres 145 et 70 respectivement. De plus, ces kesi étaient très souvent rehaussés au pinceau.

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La gamme des coloris Song comporte un blanc, un beige, un jaune, des bleus, des verts, un rouge et un violet foncé tiré peut-être du Symplocosprunifolia.

Les décors permettent de diviser un peu grossièrement les tapisseries de cette époque en deux groupes : le premier, datant des Song du Nord (960-1126), inspiré par la céramique contemporaine (blancs de Dingzhou), s'orne de fleurs (lotus, pivoines), d'oiseaux volants tenant dans leur bec le champignon de longévité, et parfois de daims ; le second, influencé surtout par les peintures de l'académie des Song du Sud (1127-1279), se compose, comme les œuvres picturales, autour de fleurs et de paysages.

Cette soumission à la peinture va demeurer la caractéristique majeure de la tapisserie chinoise des Ming et des Qing. Elle se présente sous forme de rouleaux ou d'albums, reproduisant des peintures de maîtres. Elle peut également orner les sanctuaires de sujets religieux. Dans les demeures, elle décore les panneaux des écrans et des paravents. Enfin, elle peut faire partie du costume et de l'ameublement.

— Michèle PIRAZZOLI-T'SERSTEVENS

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Écrit par

  • : historienne d'art
  • : ancien maître de recherche au CNRS, professeure honoraire à l'École du Louvre, chargée de mission au Musée national des arts asiatiques-Guimet
  • : directrice d'études à l'École pratique des hautes études (IVe section)
  • : docteur en histoire de l'art et archéologie, université de Liège, conservateur adjoint aux Musées royaux d'art et d'histoire de Bruxelles

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    ...occidental, les premiers exemples d'arabesques figurent dans les tableaux de Duccio Di Buoninsegna à Sienne (1308-1311). Le peintre a probablement copié des tissus brodés, et son exemple ne sera imité que beaucoup plus tard, vers 1500. Dans les tableaux des peintres vénitiens Cima Da Conegliano, Vittore...
  • BROCART

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    Étoffe très riche, décorée par le tissage de fils d'or ou d'argent, et dans laquelle la soie sert essentiellement de support et de lien au métal qui joue avec tout son éclat, tant dans le fond du tissu que dans les différentes parties du dessin. L'emploi des tissus dans lesquels on fit entrer de...

  • BROCATELLE

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    Dans sa forme classique, la brocatelle est une étoffe dont le dessin, formé par des effets de satin, se détache en relief sur un fond plat produit par une trame lancée, liée le plus souvent en sergé (armure à côtés obliques) par les fils d'une chaîne de liage. Ce relief des effets de satin est dû...

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