- 1. Qu’est-ce qu’un trou noir ?
- 2. Différents types de trous noirs et processus de formation
- 3. Physique des trous noirs
- 4. Singularités et trous de ver
- 5. Signatures électromagnétiques des trous noirs
- 6. Détection des trous noirs stellaires
- 7. Détection des trous noirs intermédiaires
- 8. Détection des trous noirs géants
- 9. Détection des trous noirs primordiaux
- 10. Collisions de trous noirs et ondes gravitationnelles
- 11. Visualisation numérique des trous noirs
- 12. Imagerie directe d’un trou noir supermassif
- 13. Trous noirs et futur de l’Univers
- 14. Bibliographie
- 15. Sites internet
TROUS NOIRS
Article modifié le
Différents types de trous noirs et processus de formation
En théorie, il peut exister des trous noirs de toutes tailles et de toutes masses, allant de microtrous noirs aussi petits qu’un proton (de l’ordre de 10-15 m), mais ayant la masse d’une montagne (un milliard de tonnes), jusqu’à des trous noirs supermassifs aussi grands que le système solaire (quelques dizaines de milliards de kilomètres) et rassemblant l’équivalent de plusieurs milliards de Soleils, en passant par les trous noirs « ordinaires » issus de l’évolution d’étoiles, dont les tailles sont de quelques dizaines de kilomètres pour des masses comprises entre 3 et 80 MS.
Pour que ces types très différents de trous noirs puissent réellement exister dans l’Univers, il faut cependant que des mécanismes astrophysiques plausibles expliquent leur formation.
Pour les trous noirs ordinaires, la théorie générale de l’évolution stellaire, élaborée tout au long du xxe siècle, apporte une réponse convaincante. Par suite de l'effondrement gravitationnel du cœur des étoiles lorsque tout leur combustible thermonucléaire (hydrogène, hélium...) est épuisé, l'évolution stellaire aboutit très généralement à l'expulsion plus ou moins violente de leur atmosphère gazeuse (dilution en nébuleuse planétaire ou explosion de supernova) et à la formation d'astres résiduels très condensés. Les naines blanches et les étoiles à neutrons appartiennent à cette variété étrange de corps compacts dans lesquels la matière qui les constitue est devenue suffisamment « rigide » pour stopper l’effondrement gravitationnel avant qu’un trou noir ait pu se former. À terme, plus de 99 % de toutes les étoiles doivent former des naines blanches (résidus compacts des étoiles de masse inférieure à 10 MS) ou des étoiles à neutrons (résidus d’étoiles plus massives). Cependant, deux résultats fondamentaux de l’astrophysique stipulent qu’une naine blanche ne peut pas dépasser une certaine masse critique, égale à 1,4 MS (limite dite de Chandrasekhar) et qu’une étoile à neutrons ne peut supporter son propre poids au-dessus d’une autre limite, comprise entre 2 et 3 MS (limite dite de Landau-Oppenheimer-Volkoff).
Or, environ une étoile sur dix mille a une masse initiale supérieure à 40 MS. Les modèles d'évolution indiquent que, au bout de quelques millions d'années seulement, ces étoiles développent un cœur de matière dense dépassant 3 MS. Dès lors, la compression gravitationnelle ne peut plus être compensée par les forces de répulsion des électrons (cas des naines blanches) ou des neutrons dégénérés (cas des étoiles à neutrons), et l'effondrement continue à écraser le cœur sur lui-même sans plus rencontrer de résistance : un trou noir de type « stellaire » se forme alors, de masse forcément supérieure à 3 MS. L’implosion du cœur s’accompagne d’une « hypernova », c’est-à-dire d’une violente éjection des couches gazeuses de l’étoile focalisées dans deux jets de plasma ultra-énergétiques.
La formation d'un trou noir stellaire en deux étapes est également possible. Il existe en effet des couples serrés d'étoiles à neutrons, dont la distance qui les sépare décroît au cours du temps au point de provoquer à terme leur collision à des vitesses de l'ordre de 100 000 kilomètres par seconde. La coalescence de deux étoiles à neutrons forme un objet dépassant la masse critique (2,5 à 3 MS), donc voué à s’effondrer aussitôt en trou noir stellaire. Sa formation s’accompagne, comme pour une hypernova, d’une puissante éjection de plasma.
Les télescopes observent justement de brusques explosions de rayons gamma réparties dans l’ensemble de l’Univers observable. De tels « sursauts gamma », restés longtemps mystérieux, s’interprètent désormais soit comme des explosions d’étoiles massives sous forme d’hypernova, soit comme des fusions d’étoiles à neutrons, accompagnées dans les deux cas de la formation de trous noirs stellaires. Une confirmation de ce modèle de sursauts gamma a été acquise lors de l’événement GW170817 (GW pour gravitationalwave, « onde gravitationnelle », les chiffres indiquant la date du 17 août 2017), au cours duquel les astronomes ont d’abord détecté le train d’ondes gravitationnelles caractéristique de la fusion de deux étoiles à neutrons puis, deux secondes plus tard, un sursaut gamma et, dans les heures et les jours qui ont suivi, l’émission de rayonnements électromagnétiques résiduels dans toutes les gammes de longueurs d’onde.
Comme les étoiles initialement plus massives que 40 MS représentent moins d’un millième de toutes les étoiles et que les couples d’étoiles à neutrons sont rares, on estime qu’une galaxie comme la nôtre, qui comprend de 200 à 400 milliards d’étoiles, doit avoir déjà formé quelques dizaines de millions de trous noirs stellaires.
À plus grande échelle, des amas denses et compacts d'étoiles, dits « globulaires », peuplent en nombre les halos galactiques (régions entourant les galaxies spirales). Les plus massifs d'entre eux peuvent subir l'effondrement gravitationnel de leur région centrale, la coalescence simultanée de plusieurs étoiles formant des trous noirs dits « intermédiaires », dont la masse est comprise entre quelques centaines et quelques milliers de MS.
Par ailleurs, le centre de la plupart des galaxies abrite des trous noirs géants, rassemblant l'équivalent de millions – pour les trous noirs dits massifs – ou de milliards – pour les trous noirs dits supermassifs – de MS. Plusieurs mécanismes de formation sont envisagés. Les trous noirs peuvent se former d'un coup, par effondrement d'un très gros amas d'étoiles, ou bien progressivement, à partir d'un trou noir stellaire qui grossit en attirant peu à peu de la matière. Pour une galaxie dont le cœur est riche en nourriture potentielle (étoiles et gaz), les calculs théoriques faits en supposant un taux d'alimentation optimal du trou noir montrent que, sur une période de 10 milliards d'années (ce qui correspond à peu près à l'âge des galaxies), un trou noir initialement stellaire peut atteindre 1 milliard de MS et devenir aussi volumineux que notre système planétaire.
Diverses observations effectuées à partir de 2010 impliquent cependant que les mécanismes de croissance progressive d’un trou noir stellaire ou d’effondrement d’un amas d’étoiles ne peuvent expliquer l’existence des trous noirs supermassifs. La galaxie naine NGC 1277 abrite, par exemple, un trou noir gigantesque, dont la masse est estimée à 5 milliards de MS. On voit mal comment cette galaxie, quatre fois plus petite que la Voie lactée et aussi pauvre en matériaux stellaires et gazeux, aurait pu alimenter un trou noir géant à partir d’un germe de masse stellaire.
Par ailleurs, il est avéré que les premières galaxies se sont formées plus vite qu’on ne l’imaginait – résultat confirmé par les observations obtenues dès juillet 2022 par le télescope spatial James-Webb, faisant état de galaxies existant déjà 300 millions d’années seulement après le big bang (et non 1 milliard d’années comme estimé auparavant). Une bonne fraction de ces galaxies primordiales, comprenant les quasars, ont abrité dès leur jeunesse des trous noirs géants de plus de 1 milliard de MS.
Un trou noir initialement stellaire, même « bien nourri », n’aurait pas eu le temps d’atteindre cette taille. D’autres processus de formation ont donc été mis en jeu.
Au cours des premiers millions d’années ayant suivi le big bang, avant l’apparition des premières étoiles et des premières galaxies, l’Univers était à l’état de gaz diffus, au sein duquel de très vastes inhomogénéités ont pu s’effondrer gravitationnellement pour former directement des trous noirs supermassifs. Un autre processus met en scène des trous noirs « primordiaux » qui se seraient formés encore plus tôt dans l'histoire de l'Univers, non par effondrement gravitationnel, mais en raison des pressions et densités gigantesques qui régnaient alors dans le plasma primitif. Les calculs montrent qu’une première génération de trous noirs de l’ordre de 1 million de MS aurait pu être engendrée dès les premières secondes après le big bang.
Dans les deux cas, ces trous noirs dits primordiaux ont pu constituer les germes gravitationnels autour desquels les futures galaxies se sont agglomérées lors du milliard d'années qui a suivi, et expliquer pourquoi certaines d’entre elles – notamment les quasars – ont pu rapidement développer en leur centre un trou noir supermassif.
Notons que la théorie des trous noirs primordiaux prédit également la formation de trous noirs microscopiques, ayant la taille d'une particule élémentaire. De tels « microtrous noirs » – encore hypothétiques – sont aussi appelés « trous noirs quantiques », car à cette échelle interviendraient certains phénomènes de physique quantique, absents dans les objets macroscopiques, qui pousseraient ces microtrous noirs à s’évaporer au cours du temps plutôt qu‘à grossir. Le « rayonnement de Hawking » permettrait à un microtrou noir de rayonner très faiblement, donc de perdre de l’énergie et de s’évaporer avec une extrême lenteur en émettant un spectre électromagnétique caractéristique. L’évaporation serait d'autant plus rapide que la masse du microtrou noir est faible : un trou noir d’une tonne s'évaporerait en un dix milliardième de seconde, un trou noir de 1 million de tonnes subsisterait trois ans et un trou noir de 1 milliard de tonnes pourrait vivre 14 milliards d'années (âge actuel de notre Univers), auquel cas nous pourrions en observer aujourd’hui l’évaporation finale.
Dans les années 2000, certains chercheurs ont évoqué la possibilité de créer artificiellement des microtrous noirs lors d’expériences effectuées au Cern (Organisation européenne pour la recherche nucléaire), au cours de collisions à haute énergie entre particules élémentaires. L’idée avait suscité à l’époque quelques inquiétudes auprès d’une partie du public. Cependant, les énergies effectivement atteintes dans le grand collisionneur de hadrons (LHC pour Large Hadron Collider) du Cern sont 1 000 milliards de fois plus faibles que celles requises pour fabriquer des microtrous noirs, du moins dans le cadre de la physique actuellement connue. Et, si ce type de réalisation avait été envisagé dans le cadre de modèles très spéciaux issus de la théorie générale des cordes (qui a pour ambition de remplacer la relativité générale afin de décrire la gravitation à très petite échelle) et comportant des dimensions supplémentaires de l’espace, ceux-ci ont été depuis invalidés expérimentalement.
Accédez à l'intégralité de nos articles
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean-Pierre LUMINET : directeur de recherche émérite au CNRS, laboratoire d'astrophysique, Marseille
Classification
Médias
Autres références
-
PREMIÈRE IMAGE DU TROU NOIR DE NOTRE GALAXIE
- Écrit par Jean-Pierre LUMINET
- 1 695 mots
- 2 médias
Le 12 mai 2022, la collaboration du réseau international de radiotélescopes EHT (Event Horizon Telescope) a révélé au public l’image de Sagittarius A* (SgrA*), le trou noir supermassif situé au centre de notre Galaxie (la Voie lactée), à 27 000 années-lumière de la Terre. Avant cette date, son...
-
PREMIÈRE IMAGE TÉLESCOPIQUE D'UN TROU NOIR
- Écrit par Jean-Pierre LUMINET
- 1 010 mots
- 1 média
Prédits dans le cadre de la théorie de la relativité générale, les trous noirs sont certainement les objets les plus mystérieux du cosmos. En raison de leur nature même de pièges à matière et à lumière, ils ne sont pas directement observables. Si les effets indirects qu’ils induisent sur leur...
-
TROU NOIR DE MESSIER 87
- Écrit par Bernard PIRE
- 363 mots
- 1 média
Deux cents ans après que Pierre-Simon de Laplace a imaginé l'existence d'étoiles si denses que la lumière ne peut s'en échapper, les astronomes de la N.A.S.A. présentent en 1994 des indices significatifs en faveur de la découverte d'un trou noir. Les observations de la galaxie elliptique...
-
TROU NOIR DE NGC 1365
- Écrit par Bernard PIRE
- 363 mots
- 1 média
Grâce au télescope spatial NuSTAR (Nuclear Spectroscopic Telescope Array), une équipe internationale d'astronomes, conduite par Guido Risaliti, professeur à Florence (Italie), a observé la rotation extrêmement rapide du trou noir situé au centre de la galaxie NGC 1365. Ce trou noir, dont la masse...
-
ASTRE ou OBJET CÉLESTE
- Écrit par Marc LACHIÈZE-REY
- 1 244 mots
Le nom d'« astre » s'applique à tout corps céleste. Pour l'astronome de l'Antiquité, il désignait l'une des quelques milliers d'étoiles suffisamment brillantes pour être visibles à l'œil nu ou l'une des sept planètes (du grec planêtes[asteres],...
-
ASTROPARTICULES
- Écrit par Pierre BAREYRE
- 2 126 mots
- 1 média
...en évidence à haute énergie par les détecteurs au sol. Markarian 501 a présenté en 1997 des bouffées de forte intensité dans les domaines X et gamma. Les sources ont pour origine des phénomènes dans des galaxies dites à noyau actif où un trou noir central supermassif (1 milliard de masses solaires)... -
CHANDRASEKHAR SUBRAHMANYAN (1910-1995)
- Écrit par Bernard PIRE
- 1 022 mots
- 1 média
...l'effondrement dû aux forces gravitationnelles est le phénomène marquant de leur vieillesse. C'est ainsi qu'apparaissent naines blanches, étoiles à neutrons ou trous noirs, extraordinaires objets où les conditions physiques qui y règnent sont si extrêmes que les interactions fondamentales « habituelles » agissent... -
EINSTEIN ET LA RELATIVITÉ GÉNÉRALE, LES CHEMINS DE L'ESPACE-TEMPS (J. Eisenstaedt)
- Écrit par Bernard PIRE
- 961 mots
Si les principes et les conséquences de la théorie de la relativité restreinte ont été souvent, et parfois de façon excellente, vulgarisés, la complexité mathématique de la théorie d'Einstein de la gravitation – appelée relativité générale – est telle qu'elle n'est appréciée que d'un petit nombre...
- Afficher les 26 références
Voir aussi
- ONDE ou RAYONNEMENT ÉLECTROMAGNÉTIQUE
- COLLISIONNEURS DE PARTICULES
- ASTROPHYSIQUE
- CHAMP GRAVITATIONNEL
- RADIOGALAXIES
- FORCE, physique
- TEMPS, physique
- CHAMPS THÉORIE QUANTIQUE DES
- OBSERVATOIRES ASTRONOMIQUES
- RADIOTÉLESCOPES
- CHARGE ÉLECTRIQUE
- ÉTOILES À NEUTRONS
- MIRAGE GRAVITATIONNEL
- VIRGO, expérience scientifique
- LIGO (Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory)
- ROTATION, astronomie
- COLLISION, astronomie
- SCHWARZSCHILD RAYON DE
- HORIZON DES ÉVÉNEMENTS
- VOYAGER, sondes spatiales
- ACCRÉTION, astrophysique
- RELATIVITÉ GÉNÉRALE
- EFFONDREMENT GRAVITATIONNEL
- HULSE RUSSELL ALAN (1950- )
- CYGNUS X-1
- LONGUEUR D'ONDE
- AMAS GLOBULAIRES
- MOMENT CINÉTIQUE ou MOMENT ANGULAIRE
- PENROSE ROGER (1931- )
- SINGULARITÉS, mathématiques
- TÉLESCOPE SPATIAL
- SURSAUTS GAMMA
- TROUS NOIRS STELLAIRES
- HYPERNOVAE
- TROUS NOIRS INTERMÉDIAIRES
- TROUS NOIRS MASSIFS ET SUPERMASSIFS
- TROUS NOIRS PRIMORDIAUX
- TROUS NOIRS MICROSCOPIQUES ou MICROTROUS NOIRS
- CALVITIE THÉORÈME DE
- TROU DE VER, astrophysique
- FONTAINE BLANCHE, astrophysique
- SOURCES X BINAIRES, astronomie
- NOYAU ACTIF DE GALAXIE
- M87 GALAXIE
- KERR ROY (1934- )
- RUFFINI REMO (1942- )
- CARTER BRANDON (1942- )
- GW170817, signal d'ondes gravitationnelles
- BEKENSTEIN JACOB (1947-2015)
- HOOFT GERARD 'T (1946- )
- MALDACENA JUAN MARTÍN (1968- )
- RAYONNEMENT DE HAWKING
- EVENT HORIZON TELESCOPE (EHT), réseau de radiotéléscopes