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NAIPAUL VIDIADHAR SURAJPRASAD (1932-2018)

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V. S.Naipaul - crédits : Marc Gantier/ Gamma-Rapho/ Getty Images

V. S.Naipaul

Né le 17 août 1932 à Chaguanas, dans l'île de Trinidad (Antilles), Vidiadhar Surajprasad Naipaul appartient à la communauté indienne dont les aïeux ont quitté le sous-continent pour remplacer sur les plantations antillaises les esclaves noirs émancipés en 1834. Son père Seepersad, journaliste à Port of Spain, écrivait des nouvelles (The Adventures of Gurudeva and Other Stories [1976]). Le recueil LettersBetweenaFather and Son (1999) permet de replacer dans un contexte plus intime les rapports ambigus que le fils entretenait avec un père adulé pour son courage mais dont la créativité fut désespérément bridée par l'étroitesse de la société coloniale. Le jeune frère de Naipaul, Shiva, est aussi devenu romancier (La Rumeur des cannes). L'un de ses neveux, Neil Bissoondath, est également écrivain à succès. Dès son plus jeune âge, V. S. Naipaul souffre du complexe colonial et désire ardemment fuir les Antilles où, comme il le dit dans son récit The Middle Passage (1962, La Traversée du milieu), « rien de grand n'a jamais été créé ». Titulaire d'une bourse, il part étudier à l'université d'Oxford. Une fois diplômé, il réalise des émissions à la BBC, travaille pour différents journaux, commence à écrire ses premiers romans et voyage sur les cinq continents, retournant en Inde sur les traces de ses ancêtres, parcourant l'Afrique pour jeter un regard désabusé sur l'ère des indépendances, les Antilles, l'Amérique du Nord et du Sud, le monde musulman... Mais toujours il retourne en Angleterre qui est devenue son pays d'adoption. Le prix Nobel de littérature lui est attribué en 2001. Il meurt à Londres le 11 août 2018.

Un portrait amer du monde colonial

Dans ses premiers romans (The Mystic Masseur, 1957[Le Masseur mystique], The Suffrage of Elvira, 1958), qui ont pour cadre Trinidad, il observe sans complaisance les politiciens déculturés et cyniques. Miguel Street (1959), série de vignettes inspirées par CanneryRowde John Steinbeck, met en scène les habitants d'un quartier populaire de Port of Spain, excentriques souvent sympathiques et roublards, parfois à la limite de la démence, anéantis par l'aliénation coloniale.

A House for Mr. Biswas (1961, Une maison pour M. Biswas) est souvent considéré comme une œuvre allégorique de la situation de l'Antillais pauvre qui, à force de persévérance et de chance, parvient à « bâtir sa propre maison ». Avec ses rêves de grandeur, Mohun Biswas se trouve pris au piège d'une belle-famille tentaculaire dominée par la toute-puissante Mrs Tulsi. Utilisant ses gendres comme des travailleurs sous-payés, celle-ci étend progressivement son emprise sur une tribu haute en couleur souvent perçue par la critique comme une métaphore de la plantation esclavagiste. Dans ce chef-d'œuvre, comme dans Miguel Street, Naipaul parvient à équilibrer satire, dérision, tragédie et une certaine sympathie pour des personnages finalement plus victimes qu'acteurs de leur condition. La seule gloire de Mohun Biswas lorsqu'il meurt d'une crise cardiaque, c'est d'être devenu propriétaire d'une bicoque construite avec des éléments de récupération et pour laquelle il a dû contracter une montagne de dettes encore impayées. Journaliste local aspirant à devenir écrivain, le protagoniste n'a pu aiguiser son style que dans de misérables articles à sensation. Malgré leur vision nostalgique du continent de leurs ancêtres, les personnages de ce roman sont largement déculturés. Naipaul évoque le choc qu'il a ressenti lors de son premier séjour en Inde lorsqu'il découvrit lui aussi que le pays de ses ancêtres ne correspondait pas du tout à ses rêves de pureté et d'enracinement. An Area of Darkness (1964, L'Inde sans espoir) et India : aWounded Civilisation (1977, L'Inde brisée) traitent de ces voyages vers la désillusion.

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Dans les romans suivants (Mr. Stone and the Knights Companion, 1963 et The Mimic Men, 1967[Les Hommes de paille]), l'atmosphère s'assombrit. Les personnages virent désormais à la caricature : ces « imitateurs » ne sont que des fantoches incapables de rivaliser avec leurs modèles venus de la « mère patrie ». Nés dérisoires, ils sont condamnés à poursuivre une existence où toute grandeur, toute authenticité leur est refusée, comme elle l'est aux jeunes élites postcoloniales évoquées dans les nouvelles qui constituent A Flag on the Island (1967, Un drapeau sur l'île). Naipaul n'éprouve guère de sympathie pour les structures politiques issues des indépendances. In a Free State (1971, Dis-moi qui tuer), suite de récits mi-documents, mi-romans, traite des conséquences de la décolonisation en Afrique. Les responsables africains y apparaissent tout aussi corrompus et inauthentiques que les coopérants européens poursuivant leur exil doré alors que tout s'écroule autour d'eux. La mégalomanie du président de la Côte d'Ivoire est stigmatisée dans « Les Crocodiles de Yamoussoukro », récit qui, avec « Prologue to an autobiography », constitue le volume intitulé Finding the Centre (1984, Sacrifices).

Le roman Guerillas (1975, Guérilleros) dresse un tableau sombre du « Black Power » dans une île des Caraïbes au tournant des années 1970. Le militant noir (inspiré de l'histoire véridique de Michael X) s'enferme dans une forteresse de violence, de sadisme sexuel et d'autodestruction en se coupant du peuple qu'il est censé servir. L'auteur n'éprouve aucune sympathie pour ces extrémistes, pas plus qu'il n'en a pour les intégristes musulmans de toutes sortes qu'il fustige dans le récit Among the Believers : an Islamic Journey (1981, Crépuscule sur l'Islam). Il condamne tout autant les fondamentalistes chrétiens des États du Sud qu'il stigmatise dans A Turn in the South (1989, Une virée dans le sud).

Dans le superbe roman A Bend in the River (1979, À la Courbe du fleuve), un commerçant indien d'Afrique de l'Est reprend un comptoir au bord d'un grand fleuve qui rappelle beaucoup le Congo alors que le chaos règne après le départ des colonisateurs. La scène finale dépeignant des gens sur une embarcation à la dérive au milieu des jacinthes d'eau qui envahissent le fleuve devient une allégorie des Africains abandonnés sans secours après les indépendances.

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