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VIOLENCE (notions de base)

La violence est-elle innée ?

La question première posée par les philosophes à ce sujet est celle de savoir si les hommes n’ont fait que prolonger une violence omniprésente dans la nature ou si l’espèce humaine a engagé notre planète dans une violence inconnue jusqu’alors. L’enjeu d’une pareille interrogation est évidemment considérable puisque, selon la réponse apportée, un espoir peut se dessiner ou, au contraire, un sentiment de fatalisme peut nous gagner. Si la nature est violente, il faudrait « dénaturer » l’homme pour qu’il puisse rompre avec ce déterminisme. Est-ce possible ? Et si c’est possible, est-ce souhaitable ? Mais si, à l’inverse, c’est l’homme qui a introduit la violence dans une nature qui en ignorait les manifestations, il devient envisageable de le transformer par l’éducation et/ou de modifier en profondeur les sociétés violentes qui ont existé depuis l’apparition de l’espèce humaine.

Nombre de penseurs ont partagé la thèse de Joseph de Maistre (1753-1821) qui considérait la violence comme la grande loi de la nature : « Déjà, dans le règne végétal, on commence à sentir la loi : depuis l’immense catalpa jusqu’à la plus humble graminée, combien de plantes meurent, et combien sont tuées ! Mais, dès que vous entrez dans le règne animal, la loi prend tout à coup une épouvantable évidence [...] Au-dessus de ces nombreuses races d’animaux est placé l’homme, dont la main destructrice n’épargne rien de ce qui vit » (Les Soirées de Saint-Pétersbourg, 1821). Avec l’homme se manifesterait simplement une dramatisation de cette loi qui s’impose à tous les êtres vivants : si les animaux se tuent entre espèces, seuls les primates tuent les membres de celle à laquelle ils appartiennent ; et, si, dans un « état de nature », des agressions ponctuelles peuvent survenir, elles sont sans commune mesure avec ce qui est apparu avec notre espèce. Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) a résumé dans un superbe oxymore ce qu’il en était de cette « violence » naturelle avant la naissance des sociétés historiques : « Partout régnait l’état de guerre et toute la Terre était en paix », écrit-il dans son Essai sur l’origine des langues (posthume, 1781). L’intuition rousseauiste d’une explosion de violence liée à l’apparition de l’agriculture et à la sédentarité a été vérifiée par les paléontologues. L’explication en est simple : lorsque nous étions nomades, il nous suffisait de nous emparer de nos modestes biens pour fuir un ennemi jugé trop dangereux. Mais, si nous avons semé nos champs, nous sommes condamnés à défendre les armes à la main les terres qui assurent notre subsistance.

Cette thèse rousseauiste éclaire de façon pertinente les affrontements violents entre les groupes, mais elle laisse dans l’ombre ce qu’il en est de la violence intragroupe. Rousseau considère à son propos la propriété comme responsable des inégalités qui nourrissent la violence de nos sociétés, les riches n’hésitant pas à user de la force pour préserver leurs privilèges, tandis que les hommes privés de biens se révoltent contre ceux qui en possèdent la plus grande partie. Mais cette explication est-elle convaincante ? S’attaquer à toutes les inégalités, n’est-ce pas un rêve dangereux qui retire à la société tout son dynamisme ? C’est ce que semble redouter le personnage de Calliclès dans le Gorgias de Platon (env. 428-env. 347 av. J.-C.). Une lecture sommaire de son discours peut nous laisser croire qu’il prend modèle sur la « loi du plus fort » qui régnerait dans la nature et qu’il nous inviterait à nous « ensauvager » : « La nature nous montre partout, chez les animaux et chez l’homme, dans les cités et dans les familles, qu’il en est bien ainsi, que la marque du juste, c’est la domination du puissant sur le faible et sa supériorité admise. » Mais[...]

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Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

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