JOUFFA YVES (1920-1999)
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La vie et la carrière d'Yves Jouffa sont marquées par ses origines juives et laïques, par les compétences juridiques qu'il a tôt acquises et par la constance d'un militantisme de gauche, longtemps « dissident » par rapport aux grands partis, qui le porta, de 1984 à 1991, à la présidence de la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen.
Yves Jouffa est né à Paris le 20 janvier 1920, dans une famille juive de petits commerçants. Son père, qui sera naturalisé français aux alentours des années 1930, était venu en France avant 1914 pour échapper à l'antisémitisme tsariste ; il a voté communiste toute sa vie. Après de bonnes études au lycée Rollin, Yves Jouffa s'inscrivit à la faculté de droit, milita avec les étudiants socialistes et devint, en 1937, secrétaire de leur groupe lié à la tendance « gauche révolutionnaire » qui dominait la fédération de la Seine de la S.F.I.O. Membre en 1939 du Parti socialiste, ouvrier et paysan, fondé avec Marceau Pivert, il avait déjà une solide expérience des luttes de tendances dans un milieu socialiste influencé par le trotskisme.
Mobilisé pour quelques semaines en juin 1940, il venait d'achever sa licence en droit lorsqu'il fut arrêté avec son père à leur domicile, le 20 août 1941 : c'était la deuxième rafle menée à Paris par la police française. Interné à Drancy, plus instruit que la majorité de ses codétenus, il fut élu par eux « chef de chambre » et placé sous le contrôle du chef de camp juif, nommé, lui, par les autorités françaises. De ce lieu, vite surpeuplé, soumis à la faim et à la peur de la déportation, il sortit le 14 septembre 1942 : une des 817 personnes que fit libérer l'U.G.I.F. (Union générale des Israélites de France), une organisation, par ailleurs contestée, créée par la loi du 2 décembre 1941 et où sa mère avait trouvé du travail. Après avoir vécu de petits travaux, il passa à la clandestinité en juillet 1943, quand le S.T.O. battait son plein, et gagna les F.F.I. d'un maquis de la Sarthe.
Après la Libération, Yves Jouffa s'inscrivit comme avocat à la cour de Paris et entra dans le cabinet d'André Blumel qui avait été en 1936 directeur de cabinet de Léon Blum. Il y apprit beaucoup, et en particulier à édifier une double carrière : celle d'un grand avocat civiliste spécialisé dans les problèmes de la construction (il enseigna cette matière à l'École spéciale d'architecture de 1968 à 1983) et celle d'un avocat militant dans le contexte nouveau créé par les luttes anticolonialistes. Il y retrouvait des amitiés à coloration trotskiste et syndicaliste. C'est ainsi qu'il plaida, principalement, mais pas exclusivement, pour les militants algériens du M.N.A., notamment Messali Hadj, pour des syndicalistes guadeloupéens, accusés en 1969 de complot contre la sûreté de l'État, pour des Néo-Calédoniens. C'est ainsi qu'après Mai-68 il devint le défenseur d'Alain Krivine et de plusieurs militants de la Ligue communiste révolutionnaire, avant de soutenir, en 1975, devant le Tribunal permanent des forces armées, ceux qu'on désignait alors comme « les mutins » de Draguignan.
Il cherchait en même temps une voie pour faire progresser un pôle politique de gauche, indépendant du P.C.F. et de la S.F.I.O. Un des fondateurs de l'U.G.S. (Union de la gauche socialiste) en 1957, il adhère en 1960 au P.S.U. : il sera candidat pour ce parti, en 1967, dans le XIe arrondissement, où sa famille avait vécu. En vain. Comme d'autres, il conclut à l'inefficacité électorale de ces dissidences et adhéra après 1971 au nouveau Parti socialiste, le parti de François Mitterrand.
Mais il ne s'intéresse plus guère à l'action électorale. C'est vers la défense des droits où le poussait son métier d'avocat qu'il se dirige. Dès 1971, il est élu au comité central de la Ligue des droits de l'homme, où il se fait connaître. En 1981, l'année de la victoire de la gauche, il entre à la Commission consultative des droits de l'homme créée auprès du Premier ministre. En 1984, il succède à Henri Noguères dans les foncions de président de la Ligue. Une organisation en cours de rajeunissement dont il souhaite qu'elle soit « la bonne mémoire et la mauvaise conscience de la gauche ». Il va y apporter ses qualités propres : sa rigueur financière (il rétablit les finances de la Ligue et trouve auprès du ministère de la Culture les crédits nécessaires pour en restaurer le siège), sa sensibilité aux questions sociales (il est, depuis 1988, membre du Conseil économique et social), son intransigeance sur les questions qu'il juge de principe et son honnêteté intellectuelle : alors qu'il n'en approuvait pas au départ les perspectives les plus radicales, il soutient vigoureusement la campagne pour le droit de vote des étrangers aux élections locales ; fondamentalement laïque, il encourage ceux qui pensent que l'école de la République ne saurait éliminer les jeunes filles qui viennent à elle, au motif qu'elle veulent porter « le foulard » ; partisan de la guerre du Golfe, il annonce qu'il démissionnera s'il est mis en minorité sur cette question où la L.D.H. est par ailleurs divisée et où sa bonne foi est respectée. Et son témoignage au procès de Klaus Barbie force l'admiration.
Officier de la Légion d'honneur, il était peut-être plus sensible encore à l'honneur d'avoir été élu président de l'Amicale des internés et déportés du camp de Drancy. Lorsqu'il quitta la présidence de la Ligue en 1991, pour raisons de santé, il continua à militer pour la mémoire des persécutions racistes, pour le droit à la nationalité ancré dans la tradition française. Bref, il devint et resta président d'honneur de la Ligue.
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Écrit par
- Madeleine REBÉRIOUX : professeur émérite à l'université de Paris-VIII
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