4 3 2 1 (P. Auster) Fiche de lecture
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Né sous le signe de Dickens, qui prête à 4 3 2 1 l'ampleur de ses fictions biographiques, Ferguson est aussi fait de ses lectures. Dostoïevski lui enseigne qu'un livre peut changer une vie. Puis il s'enchantera, dans l'océan des œuvres de Montaigne, Cervantès, Swift, Kleist, Thoreau, Melville, Kafka, Babel, Baldwin et de la poésie française, que l'un des Ferguson traduit comme le fit le jeune Auster. Le lecteur engendre tôt l'écrivain, qui oscille selon les versions entre journalisme et fiction romanesque, séduit par la lecture à rebours que permet le journal et par l'étoilement de ses récits divers : 4 3 2 1 garde trace de ce désordre. Mais, le plus souvent, la vocation de romancier l'emporte. Une œuvre de jeunesse figure dans le roman, d'autres sont citées ou résumées et commentées, créant échos et chevauchements avec le texte cadre. Les frontières sont de même poreuses entre les romans d'Auster, certains personnages des précédents paraissant dans celui-ci. Son Carnet rouge (1993) devient LeCarnet écarlate de Ferguson, « livre sur un livre » qui noue l'abyme réflexif à l'hommage intertextuel comme au récit national et à l'énigme d'une autre Amérique possible, que désigne La Lettre écarlate de Hawthorne (1850). Enfin, le roman que le lecteur achève devient soudain celui qu'écrira le seul survivant des quatre héros : auteur et personnage fusionnent, la fiction devient effraction dans le monde réel.
« Vivre dans les pages d'un livre » tout en étant « le héros de sa propre vie » : le projet de Ferguson est aussi celui de Paul Auster écrivain, qui se démultiplie et se déforme dans son quadruple personnage. Il lui prête des éléments de sa propre vie, pour mieux se ressaisir en s'altérant, s'inventer en s'effaçant, dans une narration à la troisième personne qui fait de soi un autre et un absent, raconté par une voix anonyme. Si le roman de l'auteur fictif Ferguson est achevé en 1975, 4 3 2 1 est publié en 2017 aux États-Unis. Un bloc de passé imaginé surgit comme d'outre-tombe et relance le devenir, dans une quête toujours recommencée du sujet augmenté par ses masques.
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Écrit par
- Anne BATTESTI : maître de conférences en littérature américaine à l'université de Paris-X-Nanterre
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