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887 (R. Lepage)

Considéré à juste titre comme une personnalité marquante de la scène internationale contemporaine, Robert Lepage, metteur en scène, scénographe et comédien québécois, a donné au Théâtre de la Ville, dans le cadre du festival d’Automne à Paris, sa dernière création, représentée pour la première fois en juillet 2015 à Toronto. Son titre numérique et énigmatique renvoie à la numérotation de l’immeuble qu’il occupait dans sa jeunesse au sein d’une famille modeste, avenue Murray, dans le quartier Montcalm de Québec. Cette localisation sert de point de départ et de cadre à une plongée singulière dans les mécanismes naturels et aléatoires de la mémoire intime et collective, pour lutter contre l’oubli.

Je me souviens…

Comme il l’avait fait pour certains de ses spectacles, dont Les Aiguilles etl’Opium en 1991 ou Le Projet Andersen en 2005, Robert Lepage est seul en scène. Il se fait tour à tour narrateur, conférencier ou interprète des personnages évoqués dans ce récit, dont la conception témoigne une nouvelle fois de sa maîtrise scénique, repérable depuis ses débuts, qui associe de manière organique les nouvelles technologies aux moyens artisanaux du théâtre. Elle se traduit d’emblée par la présence d’un module architecturé astucieusement transformable, représentant les façades de l’immeuble qu’il habita, miroir d’une société, dont la vie des occupants se reflète à travers les baies vitrées grâce à des vidéos miniaturisées. Cette boîte magique permet à Robert Lepage de localiser les différentes évocations de ses souvenirs personnels placés sous l’influence très présente d’un père, ancien militaire de l’armée canadienne devenu chauffeur de taxi, dont la voiture sillonne sous différentes formes le spectacle. Alternent les scènes d’intérieur et d’extérieur, variant les échelles au gré des situations, depuis son approche du théâtre pratiquée à travers des jeux enfantins avec sa sœur, ses rencontres parfois anecdotiques et savoureuses de voisinage, jusqu’aux premières angoisses artistiques, dont l’apprentissage de textes, et au regard porté sur l’actualité du pays dans les années 1960.

Parallèlement à ses confidences intimes, l’artiste québécois tisse en effet un panorama de la situation politique et sociale de l’époque, marquée notamment par un fort courant indépendantiste. En particulier avec les actions, parfois violentes, du Front de libération du Québec (F.L.Q.) créé au début des années 1960 pour lutter contre les déséquilibres économiques et politiques constatés au sein de l’État canadien. Une situation en partie également héritée des oppositions entre langues identitaires, pratiquées par les deux communautés de citoyens vivant autour du fleuve Saint-Laurent. Un exemple est fourni ici par le beau poème de Michèle Lalonde (1968), que le comédien Lepage tente laborieusement de mémoriser à l’occasion d’une Nuit de la poésie, et dont le titre fait référence à l’invective lancée par les anglophones aux francophones s’exprimant dans leur langue dans les lieux publics : « Speak White ». Sans oublier le célèbre « Vive le Québec libre », lancé dans l’euphorie d’une visite officielle à Montréal le 24 juillet 1967 par Charles de Gaulle, représenté dans le spectacle par une marionnette s’agitant dans une poche de veston.

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