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NŪRĪ ‘ABD AL-MALIK (1921-1998)

Essayiste et nouvelliste irakien, ‘Abd al-Malik Nūrī, fervent admirateur de Joyce, de Tchekhov et de Dostoïevski, publie plusieurs recueils de nouvelles durant les années 1950 : La Dernière Lanterne, Omar Beg, La Serveuse, la Souris et le Printemps, Le Mur muet (1953), Le Petit Homme (1953) et Le Chant de la terre (1954). Suivront en 1980 Les Contes d'automne. On lui doit aussi un essai sur la « tragédie de l'art » et deux pièces de théâtre : Les Messagers de l'humanité (1946) et Le Bois et le Velours (1980).

‘Abd al-Malik est le chef de file de l'école réaliste irakienne. Le réalisme irakien fait son apparition dans les années 1950, qui marquent l'apogée d'une bourgeoisie au conservatisme étroit et à la conception prosaïque de la vie et de l'art. L'esthétique de ‘Abd al-Malik Nūrī et de ses disciples rompt aussi avec les outrances du romantisme arabe et se donne pour objectif essentiel la description de la vie réelle de l'homme dans son travail et dans son combat social. ‘Abd al-Malik Nūrī utilise à cet effet une langue populaire, truffée de termes dialectaux, capable d'être comprise par le prolétariat. Il opte pour la nouvelle, qui non seulement est plus facile à publier dans les journaux mais permet aussi, par son symbolisme, par ses raccourcis et ses sous-entendus d'attaquer, sans être inquiété par la censure, l'ordre établi et les valeurs islamiques. Les autorités, qui ont pourtant compris les intentions de l'écrivain militant, l'obligent à démissionner, en 1955, du poste de magistrat (auquel il avait eu accès après ses études de droit à l'université américaine de Beyrouth).

Les personnages de ‘Abd al-Malik Nūrī sont des gens du peuple et des petits-bourgeois qui incarnent les classes vaincues vivant dans un monde absurde et maudit : rues boueuses et puantes qui donnent la nausée, maisons croulantes et sombres... Ainsi, l'héroïne de La Serveuse, la Souris et le Printemps voit de la boue, « dans les cours, dans les chambres, sur les visages, sur les bras nus de ses petits frères, dans les ruelles, partout, un univers de boue ». Elle aime se perdre dans la rêverie afin d'oublier la misère du présent, mais ses rêves ont de pénibles dénouements. Le héros du Mur muet, Sitar Efendi, est un poète qui n'a pas sa place dans une société abjecte et terre à terre. Pour vivre, il est obligé d'amuser par ses pitreries des notables grossiers et cruels. Le Petit Homme évoque les désarrois d'un enfant qui ne sait que faire pour assister sa mère mourante. Il court vers la maison de sa sœur, mais il tourne en rond, s'égare et ne cesse de se demander : « Où est la maison ? » Le « petit homme » est le symbole de l'intellectuel irakien qui cherche en vain sa voie dans une société où tout craque et se meurt. Le Chant de la terre, enfin, raconte les épreuves d'un journaliste qui quitte son village pour s'installer dans la « cité maudite de Baghdād » où il vit comme un chien galeux, sans foyer pour le « tirer à lui par des liens humains ». Un soir, au bord du Tigre, il croit, dans son désespoir, entendre la terre chanter, la terre trempée de larmes et de sang : « Elle élève ses prières vers le ciel, elle projette ses souffrances à travers l'espace : vers un autre monde, un monde lointain, un monde qui n'est pas celui des hommes. »

Un réel amour des prolétaires, une générosité passionnée qui cherche à éveiller les somnolents, un art sûr et débordant de vie, telles sont les qualités qui ont assuré à ‘Abd al-Malik une place éminente dans la littérature irakienne contemporaine.

— Sayed Attia ABUL NAGA

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Écrit par

  • : docteur ès lettres (Sorbonne), agrégé de l'Université, interprète à l'O.N.U., Genève

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